Fyctia
3 Où sont vos chaussures ?
- Vous connaissiez Huguette ?
Damien sursauta. Il était sur le trottoir, attendant que le feu pour les piétons passe au vert. C'était une vieille dame habillée tout de noir qui venait de lui poser cette question.
- Je vous ai vu sortir de l'église, lui apprit-elle. Je suis une amie d’Huguette.
Il hocha la tête, les yeux rivés sur le petit bonhomme rouge.
- Vous êtes de la famille ? Huguette n'avait pas grand monde, hormis une nièce. Mais elle est décédée il y a bien longtemps. Une tragédie ! Enfin... Sa nièce avait des enfants je crois bien. Vous êtes l'un d'entre eux ?
Damien secoua la tête. La grand-mère poursuivit son monologue tandis qu'ils traversaient la rue encombrée de voitures à l'arrêt.
- Pauvre Huguette ! Un cancer ! A son âge ! Mais dites-moi, comment l'avez-vous connu ? Vous êtes si jeune !
Elle s'exprimait tout en point d'exclamation. Sans lui demander sa permission, elle le prit par le bras. Une autre dame arriva derrière, toute essoufflée.
- Marie-Françoise, attends-moi, s'époumona-t-elle. Oh ! Mais qui est ce beau jeune homme ?
Gêné, il profita de cette intervention pour récupérer son bras.
- Figure-toi qu'il connaissait Gueguette ! Je lui demandai justement comment c'était possible.
Les deux le regardèrent avec des yeux avides. Il sentit ses joues s'empourprer.
- C'était ma voisine, bredouilla-t-il. On habitait sur le même palier.
- Ah ! C'est donc vous !
- Moi ?
- Vous dont elle parlait si souvent. Son voisin si serviable et bien élevé.
En effet, il rendait parfois service à Mademoiselle Huguette. C'est elle qui avait insisté pour qu'il l'appelle ainsi. Il ne comptait plus le nombre de fois où elle lui avait demandé de réparer son vieux poste de radio. Il avait beau lui expliquer qu'il vaudrait mieux en acheter un nouveau, elle ne voulait rien entendre. Elle aimait les vieux objets.
Perdu dans ses pensées et dans son chagrin, Damien descendit du trottoir pour s'écarter des deux mamies. Il ne vit pas la voiture en train de se garer.
- Attention ! crièrent les deux vieilles.
Le côté du pare-chocs heurta Damien qui tomba à la renverse. Heureusement, au moment de l'impact la voiture était déjà presque à l'arrêt, le choc ne fut pas violent.
- Non mais ça va pas la tête de traverser la route comme ça ! cria une voix haute perchée.
Damien cligna plusieurs fois des yeux. Ce qu'il voyait n'avait aucun sens : une paire de pieds nus aux ongles vernis en jaune, sauf les petits orteils qui étaient peints en vert pomme.
- Ça va ? Vous n'avez rien ?
Il releva péniblement la tête et tomba nez à nez avec un visage rond entouré d’une chevelure noire de jais. La femme portait un imperméable noir. Il comprit que c’était la conductrice qui venait de le renverser.
- Mon garçon, ça va ? s'enquit l'amie de mademoiselle Huguette, horrifiée.
Il jeta un coup d’œil aux deux vieilles. Elles avaient chacune la main sur la poitrine, comme si leur cœur menaçait d'en sortir si elles ne le retenaient pas. Il s'en voulu de leur avoir fait si peur et se releva prestement.
- Ça va, ça va ! Je n'ai rien.
Un homme d'un certain âge, le passager de la voiture, s'était joint à leur petit groupe.
- Et votre voiture ? demanda Damien à la conductrice. Elle n'a rien ?
Elle le détailla des pieds à la tête, les yeux tout écarquillés puis éclata de rire.
- Vous n'êtes pas Hulk non plus, dit-elle entre deux éclats de rire.
Il se sentit stupide d'avoir posé une question pareille, ce qui ne l'empêcha pas de faire une remarque tout aussi incongrue.
- Vos chaussures... Vous êtes pieds nus...
- Ah oui... lança la femme, comme si elle venait seulement de s'en apercevoir. Chaussures très jolies, mais très inconfortables.
- Tu vois ce qui arrive à conduire pieds nus Clarisse, grommela le passager aux cheveux grisonnant.
Clarisse... Entendre ce prénom lui fit comme un électrochoc. Il la regarda avec plus d’attention et la reconnut aussitôt pour l’avoir déjà vu en photos. Ce n’était autre que la petite nièce de Tante Huguette.
- C'était ma faute, assura Damien. Tout va bien, je ne me suis même pas cogner la tête.
Et il partit d'un pas pressé, s'efforçant de ne pas boiter pour ne pas démentir ses paroles.
*
Le prête recommença ses prières devant le trou qui accueillerait bientôt le cercueil de mademoiselle Huguette. Damien n'écoutait pas, il n'était pas croyant pour un sou. Il préférait se remémorer les souvenirs qu'il avait de sa voisine. Il sentit ses yeux piquer en pensant que ce serait là sa dernière demeure. Fini les goûters le dimanche après-midi, fini les conversations animées, fini cette amitié qui durait depuis trois ans...
- Il fait une chaleur étouffante, je vais mourir dans cet imperméable, chuchota quelqu'un à sa droite.
- Chut, souffla une voix grave.
Il voulut foudroyer du regard l'impertinente qui osait parler de mort de manière aussi frivole alors qu'on était en train d'enterrer son amie mais la personne avait le visage baissé. Il n'apercevait qu'une chevelure noire. La femme était en train d'enlever son imperméable, dévoilant une tenue plus que saugrenue en de telles circonstances. Il reconnut la prénommée Clarisse. Il regarda ses pieds. Elle portait des talons qui n'avaient rien de « très jolis » selon lui.
*
Son imperméable retiré, Clarisse attrapa le col de sa chemise et la secoua pour provoquer un semblant de courant d'air, tout en jetant des coups d’œil à droite, à gauche pour vérifier que personne n'avait remarqué sa tenue. Raté ! L'homme qu'elle venait de renverser se tenait là, les yeux rivés sur ses pieds. Elle le vit faire une grimace puis sursauter quand leurs regards se croisèrent. Il y avait tellement de tristesse dans celui du jeune homme. Subitement, ce fut comme si la solennité de l'instant la frappait enfin. Elle baissa la tête et écouta le prêtre sans bouger jusqu'à ce que le cercueil soit mis en terre.
Ceci fait, elle alla remercier le prêtre, accompagnée de son frère cadet, Vincent. Secondé par leur père, c’est lui qui avait organisé les funérailles.
Quelques personnes ayant assistées à l’enterrement avait décidé d’aller boire un café pour se remémorer leurs meilleurs souvenirs de la défunte.
- Vous voulez y aller ? demanda Vincent.
- Allez-y tous les deux, suggéra Clarisse. Tu ramèneras Papa, Vincent ?
- Pas de problème. Mais tu es sûre que tu ne veux pas venir ?
- Oui.
Elle ne se sentait pas de taille à affronter ce genre de réunion, pas après avoir croisé le regard de ce jeune homme.
Elle embrassa son frère et son père puis partit sans se retourner.
3 commentaires
Augustecrivain
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Il y a 8 ans
Juulyy
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Il y a 8 ans
F.V. Estyer
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Il y a 8 ans