Fyctia
En route pour l'aventure
Elle :
Vendredi 22 mars 2024
Lors de notre conversation au sujet de ma clé USB, nous avions découvert que chacun de nous tenait un journal, ce qui prouve que nous étions jusque-là, sans le savoir, sur la même longueur d’onde.
Et moi, la veille, j’étais tombée par hasard sur son journal intime. Je dis bien « par hasard ». Par étourderie, il avait laissé traîner son cahier une seule et unique fois dans la salle de séjour. Passant par là, et succombant à ma curiosité naturelle…
Puis, le soir-même, nous avons fait un remake de « règlement de comptes à OK Corral » au cours duquel chacun a lu à voix haute le journal de l'autre, dans une sorte de duel absurde et déchaîné. Aucun de nous n’a gagné à ce petit jeu et nous avons fini par en rire. Cependant, j’ai été très émue quand j’ai lu ce qu’il a dit sur le deuil de son épouse. Je ne m’étais pas doutée qu’il ait pu souffrir autant, et cela m’a fait mieux comprendre sa façon d’être.
Cette confrontation, que nous avons, l'un comme l'autre, jugé inutile de narrer par écrit, a permis de remettre les pendules à l’heure, de discuter entre nous et d’exprimer certains non-dits, sans toutefois tout dévoiler de nous-mêmes. A partir de là, notre relation s’est apaisée.
Désormais, nous nous appellerons par nos prénoms, mais, tout en continuant à nous vouvoyer. Peut-être par peur de tomber trop vite dans une sorte de familiarité ? Nous avançons l'un vers l'autre, à tâtons, dans une sorte de pudeur que nous ne saurions expliquer.
Bien entendu, nous avons décidé de continuer à relater tous les deux dans notre journal la suite des événements.
Par ailleurs, Bruno avait commencé à lire le premier de mes romans et apparemment, il en avait apprécié les premiers chapitres, surtout le côté humoristique et il m'a affirmé qu'il ne s'était pas du tout endormi.
Ce matin-là, dans les premiers jours du printemps, nous avons pris la voiture et mis le cap sur la Normandie, partant à l’aventure pour cette fameuse enquête non officielle, sans savoir, ni l’un ni l’autre, vers quoi nous nous dirigions.
Le printemps est en avance cette année et notre route, ressemblant à une carte postale, était jalonnée de pommiers en fleurs exhibant leurs pétales aux délicates nuances de rose et de blanc et de vaches normandes aux yeux cerclés de noir.
Faisant fi de l’autoroute et l'éloge de la lenteur, Bruno a préféré prendre les nationales, puis les départementales. D'après lui, le chemin comptait plus que la destination et il voulait prendre son temps pour savourer ce voyage.
C'est une DS de 1970 bleu métallisé, d’allure flambant neuve qui nous a emmenés. J'ai découvert ainsi que mon conducteur faisait partie d’un club de propriétaires de voitures de collection et que cette automobile, qu’il entretient avec un soin jaloux, était garée dans un box, à quelques encablures de notre immeuble. Et il voulait m’en faire la surprise. Un voyage en DS ! Un retour dans le passé, plein de nostalgie, faisant sûrement référence à une période bénie de son enfance.
Tout cela sous les giboulées de mars, aux ciels de traîne où les éclaircies succèdent aux averses, éclairant alors le paysage d’une lumière vive, sur fond de ciel sombre. Cela me rappelle mes voyages en Irlande où l’on peut, d’après un dicton, vivre quatre saisons en une journée et voir des arcs en ciel presque tous les jours.
Nous avons rejoint Trouville après trois heures et demie de trajet et gagné notre hôtel, un bel édifice du début du XXème siècle. Nous avons deux chambres qui donnent sur la plage, avec une porte communicante. Et nous sommes arrivés juste à temps pour déjeuner au restaurant.
Le repas était délicieux, et nous étions placés à côté de la baie vitrée qui donnait sur la plage. Bruno ne s’était pas moqué de moi. Détendus, nous avons entamé une conversation à bâtons rompus où j'ai encore appris des choses sur lui.
— D'où vient donc cette DS de 1970 ? demandai-je.
— C’était celle de mon père ! Il me l’a léguée à sa mort. Il savait que j’aimais cette voiture. Il paraît qu’à l’arrière, on a le mal de mer à cause de ses suspensions hydropneumatiques. Je n’ai jamais été malade, mais ma sœur, oui, tout le temps !
— Vous avez une sœur ?
— Oui, ma sœur aînée. Elle a cinq ans de plus que moi et habite toujours en Normandie. A Caen, là d’où je suis originaire.
— Vous êtes de Caen ?
— Et oui ! c’est pour cela que l’on m’appelait à la PJ le « poulet normand. Ce sobriquet m’a été attribué par des collègues amis. Et vous, d’où venez-vous ?
— Je suis originaire d’un petit village près d’Yvetot, en Seine Maritime, où mes parents tenaient une ferme.
— Très jolie région, la Haute Normandie. En lisant votre journal, j’ai compris pourquoi vous étiez partie à Paris. Il n’y avait vraiment plus de travail ?
— Aucun qui me convenait, répondis-je rapidement. Et vous, pourquoi êtes-vous parti ?
— Sans vouloir me vanter, lorsque j’ai eu mon diplôme, j’étais très bien placé et je pouvais choisir mon affectation. Et j’ai choisi Paris, parce que cette ville m’a toujours fait rêver. Et, par chance, ils recrutaient au 36.
— Au 36 ?
— Oui, le 36 Quai des Orfèvres, que la Brigade Criminelle, où j’étais affecté, a abandonné en juin 2017. Et alors, on s’est retrouvé dans un bâtiment super moderne, encore au 36, mais rue du Bastion, dans le 17ème arrondissement. Cela a fait un sacré changement. Mais, des changements, j’en ai vécu beaucoup. Le développement technologique a bien facilité les enquêtes criminelles, notamment l’analyse ADN, qui a révolutionné la Police Scientifique. Et cela a démarré juste au moment où je commençais ma carrière et je pense que cela a permis d’éviter bien des erreurs judiciaires. Puis, Internet a également facilité beaucoup de choses.
— Comme dans les séries télé alors ?
— Exact ! Je ne les regardai jamais auparavant, mais maintenant, je me surprends à les voir avec intérêt, et ma foi, elles sont assez proches de la réalité. Cependant, il arrive souvent, que celle-ci dépasse la fiction. Vous n’avez pas idée de la noirceur dont peut faire preuve l’âme humaine.
Son visage s'assombrit un instant. Et je constatai alors que sa façon de s’exprimer était bien différente quand il parlait de son ancien métier. Le vrai Bruno Letellier se révélait à moi, petit à petit, et bien différent de celui du début.
— Mais alors, pensez-vous vraiment que notre petite enquête sur ce garage normand pourrait aider à résoudre le mystère des crimes commis dans notre immeuble ?
— A votre avis ?
— Je pense comme vous, car, sinon, on ne serait pas ici.
— Ça dépend ! On aurait pu avoir simplement envie de prendre l’air… dit-il avec un air taquin.
— Vous me faites marcher… Ou alors ce serait un prétexte pour m’attirer ici... dans un but non avouable.
Il esquissa un sourire énigmatique.
— Vous devriez le savoir, vous qui êtes si futée !
— Hmmm... je ne sais pas comment comprendre cela. Cependant, je propose le programme suivant: on va au garage d’abord et on prend l’air ensuite.
— OK, à vos ordres, détective Alice !
11 commentaires
Mayana Mayana
-
Il y a un an
Catherine Domin
-
Il y a un an
Emeline Guezel
-
Il y a un an
Catherine Domin
-
Il y a un an
François Lamour
-
Il y a un an
Elisa Antoine
-
Il y a un an
Catherine Domin
-
Il y a un an
Gwenaële Le Moignic
-
Il y a un an
Catherine Domin
-
Il y a un an
Laryna
-
Il y a un an