Fyctia
Chapitre 15 - Réveil
Lui :
Dimanche 17 mars 2024
Cher journal,
J'ai besoin de m'épancher aujourd'hui. Mon esprit est tourmenté et plein de questions y tourbillonnent. Il me faut faire le point sur mes sentiments.
J’ai très mal dormi cette nuit. Je suis perturbé par l’objet de mes questionnements.
Celui-ci a un nom qui tient en cinq lettres : ALICE !
Comme je l’ai déjà dit, je ressens de plus en plus envers elle un certain attachement, malgré l’exaspération et l’admiration qu’elle suscite en moi à tour de rôle.
Bien que ses idées bien trop arrêtées, surtout sur les hommes, qu’elle me sort à longueur de journée m’insupportent, je ressens une certaine admiration envers son intelligence et sa vivacité d’esprit, ainsi que sa détermination.
Mais, il y a autre chose. Car si elle est parfois l’objet de mon agacement, elle peut également se montrer touchante, montrant une certaine fragilité qui se révèle de temps à autre.
Comme hier midi. Elle venait de se réveiller tardivement après sa nuit agitée et c’était la première fois que je la voyais ainsi. D’habitude, elle met un point d’honneur à apparaître devant moi lavée et habillée et je ne l’ai jamais vue traîner en pyjama ou en robe de chambre, sauf au moment où je la croise quand elle se précipite de sa chambre vers la salle de bains. D’ailleurs, nous avons déterminé ensemble les modalités de son utilisation. Elle y va en premier pour faire sa toilette et moi j’y vais ensuite. Comme ça, pas de bagarre.
Et, hier midi, pour la première fois, je l’ai vue ébouriffée, comme un petit poussin tombé du nid, les yeux encore englués de sommeil, la marque de l’oreiller subsistant sur sa joue rose. Elle semblait si troublée que je l’ai laissée dans son silence. Elle a à peine touché à ses tartines et a juste bu une gorgée de café. Je lui ai demandé si quelque chose n’allait pas, mais elle m’a dit, les yeux dans le vague, et d’un ton atone, que tout allait bien. Et puis, elle est restée dans sa chambre tout l’après-midi.
Mais qu’a-t-elle donc ? Je crois qu’elle ne tourne pas rond, tout comme moi.
Je dois dire que, depuis son arrivée, elle suscite ma curiosité et, mine de rien, je l’ai souvent regardée à la dérobée, lors de nos repas.
Alice ne fait pas son âge. Elle a soixante ans et en paraît presque dix de moins. Elle est grande, mince, mais avec des formes féminines. Elle a un visage ovale, encadré de cheveux châtains coiffés dans un carré flou, avec une courte frange où se mêlent seulement quelques fils blancs. De grands yeux gris-vert bordés de longs cils éclairent son visage. Elle a un teint pâle, des joues roses, et un joli petit nez retroussé. Seules marques du temps qui passe, quelques pattes d’oie au coin des yeux, et l’arrondi du bas de ses joues peut-être un peu moins ferme.
Mais en fait, presque rien. Quasi intacte, presque préservée. Fraîche comme une rose !
Et, quand je l'observe, une question lancinante me revient en tête : pourquoi n'a-t-elle pas d'homme dans sa vie ?
Pourtant, elle n’est pas mal physiquement, et si elle ne prête pas attention à son apparence, elle a quand même tout pour plaire. Elle est comme un diamant brut qui ne demande qu’à être taillé pour que ses qualités soient révélées au grand jour.
Alors, sous cet air bravache de féministe qu’elle affiche tout le temps et qui m’agace au plus haut point, existerait-il un fond de timidité ?
Tout ceci entretient un parfum de mystère. Qui est réellement Alice ?
Une autre question s’impose à moi : devrais-je vraiment m’attacher à elle d’une manière quelconque ?
Il est temps pour moi de faire une introspection de mes propres sentiments.
Je sors à peine d’un passé douloureux. Depuis le décès de mon épouse, il y a quatre ans, c’est la première fois que je prête vraiment attention à une femme. Elles n'étaient jusque là que des ombres, des silhouettes qui ne suscitaient aucun intérêt de ma part.
La vie est parfois injuste. Corine est tombée malade peu de temps après mon départ à la retraite.
Alors que nous aurions pu vivre des jours heureux tous les deux, elle a succombé à un cancer du pancréas six mois après. Six mois pendant lesquels, impuissant, la voyant dépérir, je lui ai tenu la main jusqu’au bout. Quand elle s’est éteinte, un gouffre vertigineux s’est ouvert devant moi. Un gouffre affectif, que rien ne semblait pouvoir combler.
Alors, comme une maison désormais inhabitée et dont on fermerait les volets, j’ai fermé mon cœur. Le bonheur des autres, comme une lumière trop vive, me paraissait intolérable. Je reconnais que je suis devenu misanthrope, rabougri, un ours râleur et mal léché.
Néanmoins, j’ai continué à recevoir mes enfants et mes petits-enfants, et garder ces derniers de temps en temps rompait ma solitude. Je m’efforçais alors d’avoir l’air gai. Je faisais semblant pour n’inquiéter personne. Mais mon cœur était en miettes. Privé de ma moitié, je restais désolé.
Je le suis de moins en moins, avec le temps. Celui-ci a permis peu à peu de guérir les plaies de mon âme. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Et maintenant, voilà que cette femme, surgie brusquement dans ma vie, brise la routine rassurante qui réglait ma vie. Elle est comme une bouffée d’air frais.
Alors, devrais-je recommencer à m’attacher à quelqu’un ? A elle par exemple ?
M'attacher à quelqu'un, peut-être, mais aimer, c'est encore à voir. Je ne suis pas sûr d’être prêt. Et je ne sais pas si j’aime vraiment Alice. Je la connais si peu, et pourtant quelque chose d’indéfinissable en elle m’attire. Mon regard sur elle a changé. Je regrette sincèrement de l’avoir traitée d’emmerdeuse.
Alors, j’ai un plan. Je vais l’emmener en Normandie, à Trouville, et nous allons enquêter sur ce fameux accident. D’abord, cela me donnera l’occasion de mieux la connaître, et cette recherche menée en dilettantes nous permettra de prendre l’air et aussi, de faire fonctionner nos « petites cellules grises ».
Le « poulet normand » se réveille enfin de quatre ans de coma affectif et émotionnel. Il est de retour.
Qui sait si nous trouverons quelque chose ? Dans le cas contraire, nous aurons quand même passé un bon moment. Dans tous les cas, nous n’avons rien à perdre.
Rien qu’à cette idée, je ressens des petits picotements d’excitation dans tout mon corps.
Il ne me reste plus qu’à la persuader. Bien entendu, ce sera en tout bien tout honneur. Je réserverai deux chambres à l’hôtel. Un petit week-end sympa à Deauville, cela ne se refuse pas !
Et de plus, il flotte autour de tout cela un parfum d’aventure, auréolé de mystère qui m’incite à me lancer dans ce petit périple normand.
8 commentaires
Laryna
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Catherine Domin
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François Lamour
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Gwenaële Le Moignic
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Emeline Guezel
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