Fyctia
Enigme 1bis
De Clem’ :
Mon cher inconnu,
Vous ne pouvez pas savoir le bien fou que ce bref retour dans le passé m’a fait.
Je ne vous ai pas dit ? Je jouais aux échecs étant jeune et cette balade à Washington Square a fait resurgir un parfum d’enfance tout à fait charmant.
J’ai d’ailleurs joué une partie et je dois être un peu rouillée, car j’ai perdu (vous me réapprendrez ?).
Mais je papote, je papote, et j’en oublie mon énigme !
« Que diriez-vous d’une balade abstraite vers celui qui aurait pu être le 6ème Jackson ?
(s’il avait eu des cheveux)
(s’il avait vécu un peu plus vieux)
Pour le trouver, rendez-vous à un endroit dont le nom ressemble un peu au 1er mot qu’un enfant apprend à dire… »
Je relis mon email et hésite à préciser que j’ai dû utiliser son indice… la tonalité du message me questionne aussi. N’est-il pas trop enjoué ? Est-ce que cela ne va déterminer toute la suite de notre relation, la faisant basculer du côté d’une complicité amicale plutôt que du côté de la séduction... ?
Quant à mon énigme, je ne suis pas une spécialiste – et c’est un poil tortueux – mais il devrait bien comprendre que je suis fan de Jackson Pollock. Que j’aime l’art en général. Moma, ça ressemble terriblement à maman, non ? Evidemment, s’il cherche du côté de papa, il risque de finir au Vatican… Je me demande s’il y a des toiles de Pollock dans la chapelle Sixtine.
Tout cela m’a l’air assez bancal mais peut-être trouvera-t-il ces imperfections adorables (on peut toujours rêver).
J’aurais dû acheter un « decision maker » dans cette petite boutique, au lieu d’acheter ce guide de la drague, ça m’éviterait toutes ces hésitations.
Je tente de me raisonner en me disant que ces doutes et ces enthousiasmes éphémères font désormais partie du « jeu ».
J’appuie sur la touche d’envoi. Les dés sont jetés.
***
Il pleut. Le temps s’est réchauffé depuis deux ou jours et ces lourdes gouttes sont de circonstance. Jennifer gare sa grosse voiture sur un trottoir à proximité de la grille du cimetière où plusieurs autres véhicules s’amassent en désordre.
- C’est ta voiture ? demandé-je pour détendre l’atmosphère.
- Non, elle est à mon père. Comme tu as emboutie sa caisse, elle est en réparation, ça c’est un véhicule de prêt.
Encore une fois, j’aurais mieux fait de me taire et de laisser l’atmosphère comme elle était.
Nous sommes au cimetière du calvaire à Woodside dans le Queens. Un des chiens que Jennifer gardait depuis plusieurs années a été écrasé par une calèche à Central Park. Ce jour-là, ce n’était pas Jennifer qui s’en occupait mais une collègue à elle – qui n’a d’ailleurs pas été invitée à l’enterrement. Jennifer m’explique qu’une loi récemment votée à New-York permet aux propriétaires de chien d’enterrer leur animal préféré dans le caveau familial. J’avoue que je ne m’étais jamais posée la question jusqu’à aujourd’hui de ce que l’on faisait de son chien lorsqu’il mourrait (des brochettes n’étant PAS la bonne réponse).
La pluie se fait plus compacte et nous nous serrons sous un immense parapluie noir. Je pense à faire une blague sur ce temps de chien, mais je doute que cette expression se traduise littéralement en anglais et je ne suis pas d’humeur.
Je reçois à cet instant un SMS de Val’ qui m’indique qu’elle nous rejoint directement au cimetière.
Nous entrons par la grille et voyons au loin un attroupement de plusieurs personnes.
- C’est là-bas, indique Jennifer.
Tandis que nous marchons, je vois la skyline de Manhattan se dessiner au loin malgré les nuages denses qui assombrissent l’horizon. La vue est somptueuse et donne l’impression de dominer Manhattan. Dans notre environnement plus immédiat, des milliers de tombes alignées sans aucune décoration nous entourent. Nous arrivons alors dans une partie du cimetière aux sépultures plus aérées.
Les tombes semblent dater d’un autre siècle, la pierre est abîmée et recouverte d’une mousse d’un vert surnaturel.
Une autoroute aérienne délimite la frontière de cette partie du cimetière. Les gens sont silencieux et Jennifer me présente au propriétaire du chien, qui semble ailleurs. Val’ nous rejoint à cet instant-là et se positionne derrière nous.
- J’étais jamais venue ici, dit-elle provoquant quelques regards réprobateurs et plusieurs injonctions à garder le silence.
Je constate que le sol est déjà creusé et qu’une boîte en bois sombre repose à l’intérieur du trou.
Le propriétaire tourne son poignet mais ne semble pas voir sa montre. Son geste est mécanique, désincarné. Il tape alors dans ses mains et indique que la cérémonie va débuter.
Il prend la parole d’une voix forte et tremblotante.
« Wolfy. Mon chien adoré.
Je t’ai adopté alors que tu n’étais qu’un bébé chiot.
Tu as grandi à mes côtés et je savais qu’avec toi, j’étais en sécurité.
Tu étais joueur.
Tu ramenais la balle comme personne.
Ah si tu n’avais pas croisé la route de ce maudit cheval.
Maudit ! »
Il prononce cette dernière phrase en levant son point vers le ciel, comme s’il avait répété ce mouvement.
« Tu étais l’amour incarné. J’ai eu une relation avec toi plus sincère qu’avec aucune des femmes à qui j’ai été marié. »
Je jette un coup d’œil à Jennifer qui est très concentrée. J’entends Val’ pouffer puis simuler une quinte de toux. Je ne sais pas si un enterrement de chien est le lieu le plus approprié pour une punk libraire qui montre ses seins aux policiers. Cependant, elle se calme assez vite et fait mine d’essuyer une larme (quelle grande actrice).
« Je sais que tu as mérité ta place au paradis des chiens et que de là où tu es, tu continueras à veiller sur moi comme tu l’as toujours fait. »
« Wouf wouf wouf w… », finit-il par aboyer, mais son dernier « wouf » s’évanouit dans un sanglot.
« Je vais lire un poème désormais. »
Puis, il se passe une chose plutôt insolite. Avant de déclamer son poème, il sort une balle et la jette dans le trou. Néanmoins, les lois de la physique étant parfois facétieuses, la balle rebondit sur la boîte où se trouve le chien et ressort du trou, s’écrasant mollement aux pieds du propriétaire. Personne ne semble savoir quoi faire et le maître de cérémonie se met à réciter son poème alors que tout le monde se demande quoi faire de la balle.
Finalement, tandis que le poème touche à sa fin, son fils d’environ 5 ans saisit la balle et la jette de nouveau.
« Ce n’est plus la peine de la ramener maintenant », dit l’enfant, sûr de lui.
La balle décide d’obéir et ne ressort pas.
Quelques minutes plus tard, nous retournons calmement à la voiture.
- Une bien belle cérémonie, dit Val’ d’un air paresseusement convaincu.
Une fois devant le véhicule, Jennifer s’arrête, interdite.
- Mais bordel, qu’est-ce que… ? commence-t-elle à dire.
- Ah ben, c’était un 4x4 et mal garé en plus, alors bon. C’est ta caisse ?
Tandis que Jennifer se mord le poing, je me retourne, vers le cimetière, me demandant comment nous allons pouvoir rentrer chez nous avec les quatre pneus dégonflés lorsque je vois un étrange personnage penché et qui semble regarder derrière chaque tombe.
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Fanfan Dekdes
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