Fyctia
CHAPITRE 1 (part 1)
GIA
Il faut vraiment que je prenne le temps de ranger mon appartement.
Je ne sais plus où donner de la tête tellement le désordre s'est imposé dans chacune des pièces qui le composent. Il m'arrive de découvrir des objets dont j'ignorais l'existence lorsque je cherche mes affaires.
A ce qu'il paraît, notre demeure est le miroir de notre état mental. On peut dire que je suis la cible des émissions à la Confessions intimes.
Cependant, l'heure n'est pas à l'ouvrage ce matin, et je dois composer avec mon manque de souplesse et ma fatigue afin de m'extirper de mon salon. Evidemment, il faut que je me rende compte que j'ai oublié mes clés alors que je suis sur le palier de l'immeuble, sinon, ce n'est pas drôle.
Une fois dehors pour de bon, je peux enfin savourer la banalité de la journée qui m'attend. Au programme : travail ennuyeux, déjeuner on ne peut plus gras, travail ennuyeux, et retour à ma caverne d'Ali Baba. Avec en bonus mon activité sportive quotidienne, qui consiste à courir et éviter les gros porcs qui sillonnent les rues en espérant obtenir mon numéro. Le trajet jusqu'à mon lieu d'activité se révèle être le terrain de jeu des gars dans ce genre, pour mon plus grand malheur. Et ce matin, la chance ne semble pas être avec moi sur ce plan là. A croire que le monde entier m'envoie des signaux pour me rappeler à quel point ma vie actuelle est une catastrophe.
Arrivée au magasin de vêtements où je travaille, j'épingle une insigne à mon nom sur mon gilet et finit de vider des cartons contenant la nouvelle collection hivernale. Aujourd'hui, je suis de caisse, et heureusement, c'est le cas d'Anaëlle aussi. Celle-ci n'attend pas que j'ai émergé avant de me partager sa joie matinale, ou joie « anaëllienne », comme j'aime l'appeler.
- Aujourd'hui, Gia, c'est notre jour de gloire !
- Si seulement ta bonne humeur était contagieuse...
Anaëlle, c'est le genre de fille qui pourrait stopper la pluie d'un seul sourire. On a toujours l'impression que tout va bien dans sa vie, et si ce n'est pas le cas, elle sait très bien le cacher. Elle est naturellement optimiste, et à mon sens, c'est de cela qu'est nourrie son âme. Une douceur à mi-chemin entre un enfant innocent et une entité rassurante. Je ne sais pas si elle nous considère comme amies, mais je sais que je ne me porte que mieux depuis que j'ai fait sa connaissance. Elle est comme mon petit éclat de bonheur quotidien au milieu du chaos dans lequel j'évolue.
- La nouvelle collection devrait taper dans l'œil, de ce que m'a dit Meryam. Je ne savais pas que les petites collégiennes adorait à ce point s'habiller en buiseness woman.
- C'est vrai que je n'ai jamais vu autant de blazers en rayon que cette fois ci. Peut-être que dans cette génération, les hauts à citations rigolotes, c'est surfait.
- Ne m'en parle pas ! A leur âge, j'étais persuadée que mes tee shirts à sequins réversibles feraient tourner la tête de tous les garçons.
- Toi au moins, tu t'y intéressais... mon seul coup de cœur de quatrième était un poster grandeur nature de Drago Malefoy...
La sonnerie de mon téléphone nous coupe dans notre moment d'hilarité. En voyant le prénom de ma mère s'afficher sur l'écran, toute envie de rire me quitte.
Pitié, je ne veux pas d'elle maintenant. Tout sauf ça.
- Dis, reprend Anaëlle, je sors samedi soir avec mes amies à une soirée déguisée. Ca te dirait de venir ?
- C'est super gentil, mais je ne voudrais pas te déranger. Je fréquente peu les soirées, je serais plus un fardeau qu'autre chose.
- Ne dis pas de bêtises ! Tu ne sors presque pas à part pour venir ici, ce serait l'occasion de te détendre un peu. Après tout, tu dois bien ça à toi même.
C'est bien la première fois qu'on me dit ça. Jusqu'à présent, mes envies n'avaient jamais été comptabilisées dans la balance. J'hésite un peu, me demandant ce qui me retient exactement. Elle a raison ; je peux bien profiter le temps d'une nuit, me sociabiliser un peu.
- Pourquoi pas ? Tu as raison, j'ai besoin de voir d'autres paysages que mon canapé.
- Tu ne crois pas si bien dire. Je te promet que tu vas t'amuser. Le thème de la soirée, c'est les personnages de fiction. Je compte sur toi pour avoir une tenue éblouissante !
- Ça marche.
Première issue de cette matinée : je doit faire un tour sur la section costumes d'Amazon.
Heure de déjeuner. Assise sur une terrasse de café, je contemple le superbe édifice qui me fait face.
L'Onirique.
Cette école d'animation regroupe environ les trois quarts de mes pensées. Après l'avoir visité lors d'une sortie scolaire, mon obsession naissante pour celle-ci n'a fait que s'amplifier. J'ai toujours eu ce côté un peu niais et dans la lune, et l'idée de transmettre des rêves illustrés à des enfants m'a immédiatement enchanté. Car après tout, si quarante minutes d'images mouvantes et colorées peuvent redonner vie aux sentiments de quelqu'un, je considérerais ça comme la plus belle chose que j'aurais pu créer dans ma vie. Et l'Onirique est tout simplement le lieu où cette envie pourrait se concrétiser.
Aucune personne saine d'esprit ne plaquerait tout pour tenter d'intégrer cet endroit.
Et c'est pourtant ce que j'ai fais.
Car en réalité, je suis coupée du monde et en proie à un quotidien soporifique au possible uniquement à cause d'un déclic. Un déclic, une vision dans laquelle je me voyait assise sur les bancs de cette école.
J'étais en route chez la maquilleuse qui devait s'occuper de moi le matin même de mon mariage, et je suis passée devant l'Onirique. C'est là que je me suis rendue compte que j'étais en train de commettre la pire erreur de ma vie. J'ai demandé au chauffeur de faire demi tour. Et voilà où j'en suis.
Devant mon rêve impossible à atteindre, avec un bagel froid comme repas, et l'espoir que les nuages sombres qui m'obstruent la vie ne seront que passagers.
Et c'est perdue dans mes rêves que s'achève ma journée, le sommeil venant me ceuillir telle une petite fille égarée, qui ne sais plus s'amuser comme les autres enfants de son âge.
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