Fyctia

Une semaine où je suis en pilote automatique, je m'isole de mes amis sans le vouloir. Une habitude tenace quand je suis au plus mal, je cherche systématiquement refuge dans la solitude.

Même Benjamin est mis à l'écart, je m'en veux, car il est vraiment très présent pour moi, mais je ne contrôle pas. La seule chose qui occupe mon esprit est l'opération de ma mère.

Depuis cette révélation, je me suis recentrée sur ma famille. J'ai besoin de passer tout mon temps libre avec eux et je chéris ces moments de complicité qu'on partage.

Pour aider au mieux, je soulage ma mère avec les tâches ménagères. Cela semble bénéfique ! Où peut-être est-ce le fait de s'être enfin confié à moi qui l'a libéré d'un poids, je ne sais pas. En tout cas, elle paraît un peu plus sereine et détendue.

Pour l'instant, mes amis respectent mon choix et mon besoin de solitude. Les connaissant, ça ne va pas durer longtemps, mais de toute façon, c'est mieux ainsi, car je ne suis clairement pas de bonne compagnie.

Quant au lycée, seule Amélie est au courant. Elle me soutient comme elle peut, notamment en me préservant des piques de plus en plus cinglantes de Lucas.

Me provoquer est devenu son passe-temps favori. Malheureusement pour lui, ce n'est vraiment pas la bonne période, étant à fleur de peau, je peux éclater à tout moment. Et sans filtre !

Finalement, je ne sais pas si c'est une brillante idée de rejoindre mon amie à leur répétition. Son rapprochement avec le chanteur l'angoisse énormément. Pourtant, Valentin est quelqu'un de respectueux et attentionné. Exactement ce dont mon amie a besoin pour une première relation.

Mais avec elle, c'est deux pas en avant et quatre en arrière ! Elle a besoin de moi.

Lorsqu'on entre dans la salle de répétition, nous nous installons en silence pour écouter le trio jouer avec sérieux. La stature imposante de Lucas contraste avec la délicatesse de son interprétation, ses doigts puissants glissent avec agilité le long des cordes. Son visage, habituellement fermé, s'adoucit grâce au plaisir qui l'anime. Je perçois enfin cette sensibilité et cette vulnérabilité qu'il tente si bien de cacher. Ce qui me percute, c'est son perfectionnisme. Il a le souci du détail, chaque fausse note où mauvais accords sont repérés et repensés aussitôt pour rendre la mélodie plus harmonieuse. Il paraît tellement se moquer de tout que c'est étonnant de le voir aussi investi et consciencieux.

Même si ça me fait mal de l'admettre, il m'impressionne.

Pendant la pause, j'observe Lucas qui note des paroles à l'arrache sur un carnet noir. Il gratte sur sa guitare quelques notes en fredonnant des paroles incompréhensibles.

— Tu as une nouvelle compo en tête ? questionne Valentin, enthousiaste.

— J'y travaille.

— Cool, montre-nous ?

— Pas encore, je la peaufine.

Une fois la répétition terminée, Sacha me propose de venir le rejoindre au piano pour une cession d'improvisation. Il attache ses cheveux en un chignon désordonné avant de me laisser une place à ses côtés.

Je fais craquer mes doigts et lui montre l'étendue de mes talents, en commençant une mélodie, connue de tous… "Au clair de la lune". Face à mon air sérieux et concentré, Sacha s'esclaffe, me faisant rire également. Tout en me taquinant, il me montre comment jouer "Happy" de Pharrell Williams. Plongée dans cette mélodie joyeuse, je ne pense plus à rien et profite de ce moment de quiétude. Dans notre bulle, on ne prête pas attention au reste du groupe, notamment aux regards appuyés que nous lance Lucas à la dérobée.

Sacha me replace les doigts à plusieurs reprises avec bienveillance.

C'est vraiment technique. Je ne sais pas si j'aurai eu la patience d'apprendre.

— Merde, tu fais quoi mec ?! J'en ai marre de tout me taper. Tu la baiseras plus tard, là, on bosse ! provoque Lucas.

— Retire tout de suite ce que tu viens de dire, menace Sacha d'un ton froid que je ne lui connaissais pas.

— Oh stop ! on se calme. Qu'est-ce qui te prend Lucas ? intervient Valentin.

Là, il va trop loin ! Les mecs, c'est gentil mais je sais me défendre.

— Tu te prends pour qui ? Je ne comprends pas tes potes qui continue de te supporter alors que tu as un caractère de merde et un ego surdimensionné, mais si j'ai un conseil, c'est toi qui devrais baiser pour te détendre au lieu de nous faire chier. Abrutis ! éclaté-je hors de moi.

Je me relève du tabouret et me dirige vers la porte d'un pas décidé, en passant à côté de lui, je le bouscule volontairement.

Bien sûr, il ne bouge pas !

Il m'arrête en m'attrapant par le haut du bras.

— C'est une invitation, me jette-t-il, un sourire railleur aux lèvres.

— Dans tes rêves. fulminé-je en me dégageant de sa poigne.

— Bon vent ! Va pleurer chez ta mère.

Mon corps se fige face à cette réplique.

C'en est trop ! Sa méchanceté gratuite, il va se la reprendre en pleine tronche. Et pas au sens figuré !

Je reviens sur mes pas et lui administre une claque phénoménale qu'il n'est pas prêt d'oublier.

— Pauvre connard !

Je me précipite ensuite vers la sortie, à bout de nerfs. Amélie sur mes talons tente de me calmer.

— Laisse-moi s'il te plaît, j'ai besoin d'être seule.

Voyant qu'il n'y a pas matière à discuter, elle retourne vers le groupe d'un air contrit.

De mon côté, je me cache dans l'arrière-cour derrière les bosquets de la cantine.

• Coucou, petit cœur. Tu me manques trop !

Parfait timing ! Je pensais à lui justement.

• Toi aussi. Dure journée. Ca vas-toi ?

Je pose mon téléphone pour prendre mon livre dans mon sac. A peine mon téléphone repris, je vois l'appel en absence de Benjamin.

• Désolée, pas envie de parler. Je t'aime
• J'ai envie de te voir. J'aime pas te laisser comme ça.

Je vais pour répondre, lorsque j'entends les voix de Valentin et Amélie tout près de moi. Les connaissant, ils vont s'installer sur les bancs de la cantine.

— Ca va aller pour Léna ? demande Valentin, gentiment.

— Je ne sais pas.

— Pourquoi tu es aussi con avec elle sérieux ? Elle ne t'a rien fait, gronde Valentin.

— Lâche-moi, j'ai été soft. Qu'elle laisse Sacha tranquille. se défend pitoyablement Lucas.

— C'est quoi ton problème ? Tu ne supportes pas que des filles s'intéressent à nous plutôt qu'à toi ?

— Mais rien à voir, je m'en fous. Puis c'est bon, arrête de me prendre la tête. Je l'ai juste taquiné sur sa mère. Pas de quoi en faire un drame.

— Si ! Quand sa mère est en train de se battre contre un cancer, ce n'est vraiment pas la meilleure vanne à faire !

Fais chier !

Un silence gênant s'installe.

— Merde, on ne savait pas. Tu es vraiment con Lucas. Comment elle va ? s'inquiète Valentin.

Il est trop adorable ce mec.

— Depuis une semaine, c'est compliqué. Je ne sais même pas comment lui changer les idées. Elle s'isole de plus en plus.

— Tu vas aller t'excuser. Tu as été trop loin. Elle ne mérite pas ta rage et surtout, elle n'a pas besoin de ça en ce moment et tu es le mieux placer pour le comprendre, ordonne Valentin.

— Ne va pas sur ce terrain-là mec ! De toute façon, vous me saoulez là !

— Non Lucas attend ! tente de le retenir Valentin.