Fyctia
Chapitre 5
Je me lève, un peu rouillée, et saute dans un jogging difforme. Comme chaque samedi je reste à la maison, je ne suis pas pressée, je peux attendre un peu avant de prendre ma douche. Je commence donc par prendre un bon petit-déjeuner : un grand café et deux tartines de pain/beurre. Salé, évidemment. Repue, je pars discrètement en quête des vêtements que je souhaite porter après ma toilette. Comme bien souvent, j'ai dû me louper dans mes lessives. Plus aucune culotte de propre dans mon tiroir. J'en pioche une encore humide sur le séchoir et la passe au micro onde une minute, la ressort, la secoue, la renfourne une autre minute, puis quand je l'estime « cuite », l'embarque avec le reste de mes affaires, direction la salle de bain.
Je shampouine et savonne en silence, en plein bilan des évènements de la semaine passée et préparant mentalement la liste des choses à ne surtout pas oublier de faire les prochains jours. Toute à mes réflexions, je ressens plus que je n'entends une présence furtive dans la salle de bain mais ne m'en inquiète pas. J'en ai pris l'habitude il y a bien longtemps déjà, poursuivie jusqu'aux toilettes.
Propre, sèche et habillée d'un simple jean T-shirt, je passe la brosse dans mes cheveux longs dont la coupe est à rafraîchir depuis, quoi... trois ans ? Pas de maquillage, pas de brushing, pas de fioritures, par contre je prends mon temps pour réorganiser les brosses à dents éparpillées et les dentifrices invariablement laissés à l'abandon sans capuchon et passer un coup d'éponge.
De retour dans le séjour, je constate que la télé est allumée et qu'une tornade a laissé les marques de son passage : une boite de céréales à moitié renversée, un bol dont le fond contient encore un restant de lait chocolaté, une petite cuillère toute collante posée sur la nappe initialement impeccable, deux verres d'eau opaques de traces de doigts et de lèvres, un paquet de biscuits éventré et des miettes abandonnées sur et sous la table. Mon soupir exaspéré s'interrompt quand un raffut inattendu me fait sursauter, j'ai pourtant l'habitude des appels incessants à longueur de journée, des cris stridents et du remue-ménage permanent. Hier soir, déjà, alors que je tentais désespérément de me concentrer un minimum sur ma lecture, j'ai été interrompue tant de fois que j'ai fini par laisser tomber. Impossible de mettre en veille les bruits ambiants comme on le ferait avec un téléphone.
L'indépendance n'est plus qu'un vague souvenir, la tranquillité également. D'abord deux, puis trois, puis quatre et finalement cinq, voilà dix-sept ans que je ne suis plus jamais seule, que je partage mon panier à linge sale, que mon binôme en cuisine est invariablement le même et que les dessins animés représentent l'essentiel de mes programmes télé. Mes trop rares séances de cinéma ne sont plus jamais suivies d'un verre accompagné de tapas, mais éventuellement précédées d'un MacDo. J'ai troqué la capitale contre la campagne bretonne. Parfois, la nostalgie me rattrape, mes rêves me ramènent à mes vingt-trois ans et à ma vie de working-girl hyperactive, mais bien que mon subconscient fasse d'étranges parallèles, pour rien au monde je ne remettrais mes choix en question.
Bien sûr, ma vie n'est pas parfaite, mais elle me convient comme ça. Je suis fière de ma petite famille, même si un mariage mixte est loin d'être évident au quotidien. Je partage avec mon adolescente de quinze ans de forts moments de complicité, mes deux gars de onze et cinq ans, me couvrent de câlins entre leurs chamailleries. Mes angoisses tournent exclusivement autour de ce qui pourrait leur arriver à l'avenir, ou des souvenirs de ce qui a failli leur arriver par le passé : choc sceptique avec arrêt cardiaque pour l'un, très grande prématurité et épilepsie pour l'autre, maladie dégénérative invalidante pour mon mari... Dans ce foyer, comme souvent, les filles sont les plus fortes, Girl Power !
Je suis fière et je mesure chaque jour la chance que j'ai. Tant d'hommes et de femmes se cherchent sans se trouver, tant de couples se retrouvent sans enfants malgré leur désir de concevoir, tant de parents se retrouvent prématurément privés de la chair de leur chair ou de leur moitié, si ce n'est des deux. Alors quand mon salon ressemble à la Bande de Gaza, que je dois sortir l'aspirateur pour la troisième fois de la journée, quand les « mots doux » fusent entre frères et sœur, quand j'étends une à une cinquante-six chaussettes sur le fil à linge, ou quand je me retrouve à jouer à cache cache alors que j'avais prévu autre chose, je relativise.
Aujourd'hui, j'ai toujours vingt-trois ans dans ma tête, même si physiquement, je suis moins alerte, moins dynamique. Je n'évolue toujours pas dans les métiers du livre, mais je suis femme de ménage, cuisinière, lingère, taxi, infirmière, institutrice, couturière, animatrice de garderie, psychologue, médiatrice, secrétaire, intendante, coiffeuse, esthéticienne, banquière, décoratrice d'intérieur,... Et un peu doudou aussi, quand mon dernier vient se glisser dans notre lit en fin de nuit pour se rassurer. Ce n'est, certes, pas la vie à laquelle j'aspirais, mais n'est-ce pas mieux ainsi ? L'essentiel n'est pas de suivre le bon chemin, mais de décider que le chemin emprunté est le bon.
***
Je suis désolée pour ceux et celles qui s'attendaient à un vrai thriller... J'ai vraiment essayé, je vous assure !
Quoi qu'il en soit, merci pour vos likes, partages, remarques et commentaires et bonne continuation à tou(te)s !
38 commentaires
Amphitrite
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Il y a 3 ans
Angèle G. Melko (ColibriJaune)
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Il y a 3 ans
Hamlet E. Oxcene
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Il y a 3 ans
Hamlet E. Oxcene
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Il y a 3 ans
Angèle G. Melko (ColibriJaune)
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Il y a 3 ans
Mylee R.
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Il y a 3 ans
Angèle G. Melko (ColibriJaune)
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Il y a 3 ans
Guyanelle
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Il y a 4 ans
Angèle G. Melko (ColibriJaune)
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Il y a 4 ans
Guyanelle
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Il y a 4 ans