Fyctia
Chapitre 26
Le niveau 8 du tapis de course de ma salle de gym parisienne est un traître. Je le hais, c'est clair ! Juste parce le « mode montagne » réel est tout à fait différent.
Bien trop difficile pour moi en somme.
Les cailloux roulent sous mes baskets manquant de me faire trébucher tous les deux mètres, j'ai la tête qui bourdonne et la lèvre supérieure qui sue des litres.
Pire : j'ai beau allonger mes foulées, donner de petites impulsions avec mes bras, j'ai l'impression de faire du sur place.
Le troupeau de jeunes sportifs nous a lâchement abandonné, foulant le sol terreux aussi aisément qu'une horde de gazelles en pleine savane.
Laurent, quant à lui, se trouve juste devant moi et persiste à me faire la conversation. Bien évidemment, vu le peu de souffle que j'ai, je l'économise au maximum et me contente de répondre par onomatopées.
Pas très glorieux, mais je ne peux franchement pas faire autrement.
-On va faire une pause.
Alléluia.
Je lève les yeux et aperçois mon point de vu préféré. Je souffle de soulagement, et tente de ne rien laisser paraître quand Laurent se tourne vers moi, un sourire toujours accroché à ses lèvres charnues. C'est flippant comme il a l'air à l'aise, et un soupçon de honte m'envahit quand le souvenir de son âge me revient en tête.
Et dire que je pensais le semer du haut de mes trente-quatre balais. Je crois m'être légèrement surestimée sur ce coup-là.
Tandis que mon compagnon de course se stoppe au niveau de l'étendue d'herbe verte qui fait face au ciel, je m'arrête quelques mètres plus bas sur le chemin, incapable de parcourir les derniers mètres au pas de course.
Je tousse un peu – en cherchant l'air – puis mets une de mes mains en visière comme si j'observais l'horizon, la seconde sur les hanches l'air complètement détendu.
Pour de vrai, ma bouche à la furieuse envie de se tordre en une grimace peu féminine, mes poumons sont en feu, et j'ai envie de me rouler dans l'herbe fraîche comme un chiot fou.
Cependant, je me contrôle et tente de rester digne. Même la douleur, je peux gérer.
Tout en appuyant comme une dératée sur le côté droit de mon bas ventre pour éradiquer ce point de côté qui me fait mal depuis près d'une demi-heure, j'inspire et j'expire lentement pour rendre un peu d'oxygène à mes poumons. Quand je vois Laurent se rapprocher de moi, je comprends que je ne vais pas pouvoir feinter bien longtemps.
-D'ici, c'est encore plus joli, tu as raison. Au fait, on se tutoie non ?
Essoufflée, mais sans me départir de mon air « je suis une grande sportive et j'adore le jogging en montagne », je lui adresse un sourire crispé. Mais au moment où je souhaite lui répondre, mes poumons – ces salopards – en profitent pour continuer de prendre leur dû comme bon leur semble. La goulée d'air que je prends pour parler m'étouffe à moitié et je baragouine d'une voix rouillée.
-Oui.
Bravo Luce ! Je jette un œil à Laurent qui me dévisage et je suis étonnée qu'il n'est pas encore pris peur. Ma voix d'aspirateur, mon visage luisant et pivoine et mes cheveux en friche – satané vent – n'ont pas l'air de l'effrayer.
Quoique...
-Lucie, tu es sûre que ça va ?
J'ai juste envie de m'écrouler au sol, et de braire comme un âne qui met bas, mais sinon tout va bien.
J'opine poliment de la tête sans un mot. Je ne fais plus du tout confiance à mes cordes vocales ni à mon souffle.
-Tu sais, pour reprendre un peu de souffle, il faut que tu marches en inspirant lentement. C'est mieux que de s'arrêter net.
Et c'est maintenant qu'il voit mon visage virer au bleu qu'il me le dit ?
-Viens, on va là-bas.
De l'index, il me désigne la longue-vue que j'ai utilisé la dernière fois. J'accepte de le suivre toujours sans rien dire et en écoutant les conseils sportifs qu'il me donne. Clairement, vu cette expérience catastrophique, je ne suis pas certaine de réitérer de sitôt.
-C'est normal que tu es du mal à suivre, il faut vraiment y aller à ton rythme. Mais tu verras, tu te sentiras super bien après. Tu m'as dit que tu faisais un peu de sport sur Paris n'est-ce pas ?
Une demi-heure sur un tapis qui ressemble à celui d'une caisse de supermarché ça compte ?
Inspire. Expire.
Je tente à nouveau de m'exprimer et j'ai presque envie de faire une danse de la joie quand je vois que j'arrive à aligner trois mots sans cracher le contenu de ma cage thoracique.
-Oui, mais seulement en salle. Ici...c'est différent.
Il opine de la tête et moi je me sens gourde, alors je change de sujet.
-Que pensez-vous...que penses-tu, pardon, de l'idée du site internet et des photos pour Eva ?
-Je trouve ça bien. Et puis ça me fait plaisir de t'aider. Eva a l'air d'être une sacrée bonne femme. J'ai envie de faire ça pour elle aussi.
Son engouement me fait fondre et je me surprends à le dévisager un peu plus longuement que d'habitude. Laurent est un gentil. Un vrai. Ce genre d'âme que l'on rencontre une seule fois dans sa vie et dont la bienveillance et la gentillesse vous file des gifles. Il doit être un ami parfait.
-Merci.
Je souris quand il tourne les yeux vers moi.
-Ça va mieux on dirait ?
S'il veut parler du fait que ma peau a cessé de suinter ou que je ne respire plus comme si j'avais avalé de travers, oui, ça va mieux. Pour le reste, pas sûre que mes jambes souhaitent me porter encore longtemps.
-Oui, oui. C'est juste le manque d'entraînement.
Je me surprends à jouer la comédie, pour je-ne-sais-quelle raison. Ma sœur serait présente, elle rirait comme une dinde.
« Tu t'enfonces, Luce. »
J'ai presque l'impression d'entendre sa voix de crécelle près de moi.
-Allez, dit-il en claquant ses paumes l'une contre l'autre. Si tu es OK, on se fait deux ou trois petites photos du paysage ici et ensuite on monte rejoindre l'équipe. De la haut, c'est encore plus beau !
Il arque les sourcils dans ma direction, tandis que je le regarde, la bouche ouverte. Quoi ? Il va vraiment me faire courir à nouveau ?
Je l'observe quelques minutes triturer son appareil qu'il vient de sortir de son sac à dos, et prendre un ou deux clichés. C'est de nouveau sa voix qui me sort de mes pensées.
-Lucie ? Tu me dis ce que tu en penses ?
Tout sourire – feint, bien évidemment – je le rejoins, avec des envies de simuler un malaise. Mais, j'en suis incapable. Je vois bien que ça lui fait plaisir que je cours en sa compagnie, et j'ai bien trop de principes pour refuser.
Je pense seulement que je commence à apprécier cette homme autant que je le déteste. C'est mal ? Je ne sais pas. La seule chose que je suis certaine de retenir c'est qu'Eva a intérêt à obtenir des réservations plus qu'elle n'en a déjà fait, puisque j'aurais vraiment payé de ma sueur les photos de son site.
Satané site qui sort tout droit de ma propre imagination.
Finalement, la nature et moi, ça ne fait pas bon ménage. Tous mes neurones liés à l'organisation et au contrôle de tout se sont fait la malle.
Je suis foutue.
6 commentaires
Sylvie De Laforêt
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Il y a 6 ans
Camille Jobert
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Il y a 6 ans
Myjanyy
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Il y a 6 ans
Manon Kaljar
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Myjanyy
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Manon Kaljar
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Il y a 6 ans