Fyctia
Chapitre 26
Sans surprise, l’envoyé des Cieux refusa catégoriquement, même lorsque Lucifer remua le trident dans la plaie. Si la volonté de l’être était louable, il n’avait de temps à perdre. D’un geste, le Diable arracha l’arme du sol et un cri à Caliël, avant de la replanter dans sa seconde épaule. Son hurlement comme garantie et sous la menace que le Diable recommença avec chacun de ses membres, Caliël accepta de livrer son secret.
« Laisse-moi juste mourir une fois qu’elle sera sauvée » acheva-t-il, la respiration lente. « Que je n’ai pas à vivre dans un monde où j’ai collaboré avec le Malin.
— Qui t’a confié ce savoir ? » interrogea Lucifer, estomaqué par les révélations de l’ange. « Je n’en avais jamais entendu parler.
— Est-ce ce qui importe maintenant ? » le recentra son ennemi. « Alors ? Me promets-tu que tu tiendras parole et tueras l’ange que je suis ? »
Le pacte conclut, Lucifer suivit méthodiquement les instructions et plaça Abigail à ses côtés, puis il matérialisa au bout de ses doigts de minuscules scalpels fait de lumière pure. Repoussant le collier et découpant les vêtements de la femme, il se serait volontairement excusé car la robe avait visiblement été choisie avec soin mais préférait cependant la voir survivre elle plutôt que son habit. Resta encore que la femme se vidait de son sang, chose à laquelle il devait remédier au plus vite. Se parcourant le corps à tâtons, il sentit soudainement son portefeuille dans sa poche de veste intérieur et, y glissant les doigts, l’en ressortit et l’ouvrit sur un minuscule rouleau de parchemin glissé à l’intérieur.
« Garde-le, et ne l’utilise que si les choses tournent vraiment mal » Lui avait-on instruit. Au regard des blessures d’Abigail, la situation pouvait difficilement empirer, songea-t-il. S’il devait un jour s’en servir, nulle meilleure occasion. Brisant le sceau de cire, Lucifer déroula le sort et l’apposa à même la douce peau de sa camarade. Si la longueur du rouleau l’eut surpris, les milliers de spores qui s’en dégagèrent et qui vinrent cautériser la plaie en même temps qu’il opérait le fascinèrent bien plus. Il quitta le spectacle à regret, reprenant l’opération sous les directives de Caliël, libérant enfin le cœur de l’humaine entaillé par l’épée de lumière. Soudain, l’ange lui saisit le bras et plongea son regard dans celui de Lucifer : il n’aurait que très peu de temps pour implanter le nouveau cœur, le moindre doute tuerait l’humaine et gaspillerait le cœur qu’il lui offrait.
Un hochement de tête en signe d’acquiescement, une profonde inspiration et Lucifer poursuivit : d’un geste assuré, il découpa les contours du cœur de Caliël et s’en empara pour remplacer celui d’Abigail. L’ange s’évanouit alors, laissant Lucifer seul, suivant méticuleusement ses dernières instructions. En dépit des avertissements, il ne put s’empêcher d’hésiter en prenant du recul sur la scène : il suivait les indications d’un ange à la volonté suicidaire, pour sauver une humaine à laquelle il n’était lié que par la sœur et les récents évènements.
Le manque de temps le rattrapa et Lucifer découpa l’organe humain qu’il échangea avec son homonyme céleste puis, reconnectant les vaisseaux entre eux grossièrement, laissa au sort de soin encore actif de s’en charger. Lui se retourna et implanta le muscle rougeoyant dans la cage thoracique de l’ange. Plus efficace à mesure qu’il s’effaçait, le sortilège refermait la plaie béante dans le torse d’Abigail si rapidement que bientôt, il ne resta plus qu’une longue cicatrice. Usant des dernières lettres de magie, Lucifer arracha le parchemin de l’humaine et le colla violemment sur l’ange, l’agitant d’un sursaut et commençant son office de guérison. Observant la femme avec attention, il attendit ; plusieurs secondes passèrent, longues comme des heures, s’étirant à l’infini. Enfin, le silence se brisa avec une grande inspiration et des toussotements.
Son gémissement soulagea le Diable. D’un geste, il fit disparaître son trident, prit la femme dans ses bras et se plaça sous la déchirure du toit, déployant alors sa voilure. Etrangement faible, il manqua de trébucher et assura sa prise avant de décoller. Une voix l’interpella soudain et lui ordonna alors de respecter sa promesse avant de partir. Sans un coup d’œil envers Caliël, le Diable rétorqua.
« J’ai conclu ma part du marché. Par le cœur humain que tu as dans la poitrine, tu n’es plus un ange. Considère-toi donc mort au regard des Cieux. »
Alors qu’il s’envolait, Lucifer entendit un cri percé par l’ouverture dans la charpente. Un hurlement de haine, de colère et d’un infini désespoir.
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