Adenpart Lux Fero - Le Porteur de Lumière Chapitre 19

Chapitre 19

Ayant réussi, Abigail salua l’homme et ramassa ses affaires pour partir. Devant la vitrine du bar, elle croisa le regard de Carmen qui lui adressa une mimique interrogative. D’une série de moues et de gestes, Abigail lui signa que la discussion s’était bien passée et qu’elle rentrait chez elle. Carmen la félicita alors d’un pouce tendu et d’un sourire profondément heureux, avant de prendre la commande d’une table animée.


Le weekend, bien que déjà entamé, s’acheva sans qu’Abigail ne le voit passer. Elle se retrouva lundi matin, assise sur le bord de son lit, ignorant quoi faire. Levée trop tôt et prête trop tôt, elle patienta lentement. Son sommeil de plomb l’avait totalement reposé mais dès qu’elle eut quitté les draps, une boule de stress se forma dans son estomac et grandit avec les minutes. Une heure avant son rendez-vous, elle en eut assez et partit : mieux valait être en avance qu’en retard, surtout pour un jour pareil.


Lorsqu’elle sortit de son immeuble, la jeune femme sentit une fine couche de neige croustiller sous ses pieds. Les rues étaient couvertes d’un fin voile blanc, dont le ciel avait emprunté la couleur, présageant les flocons à venir. Cela faisait des années que la France n’avait connu d’hiver aussi glacial. Une bourrasque la fit frissonner et la motiva à s‘activer afin d’évacuer le froid qu’elle sentait déjà s’insinuer dans ses jambes. Comme prévu, la neige recommença timidement à tomber tandis qu’Abigail traversait les avenues déserte de la ville où les lampadaires dégageaient un faible halo lumineux, étranges boules de lumière voletant dans les airs. Silhouettes dans le brouillard, les décorations de Noël n’avaient pas encore été retirées, bien que la nouvelle année soit déjà entamée. Abigail l’avait fêté seule, une fois de plus : sa mère ne quittait plus le couvent qu’elle occupait depuis la mort de sa fille ; son père était de l’autre côté de la planète, à célébrer avec sa nouvelle famille. Carmen était passé en coup de vent pour qu’elles échangent leurs cadeaux mais était rapidement repartie travailler. Elle soupira en pensant qu’après cinq ans à passer les fêtes ainsi, elle se serait habituée mais cela lui provoquait toujours un pincement au cœur que d’ouvrir le paquet envoyé par son père, seule dans son salon.


Plongée dans ses souvenirs, ses pas l’avaient instinctivement mené au commissariat et son architecture sévère. Bien qu’elle y travaillât depuis longtemps et qu’elle en connaissait chaque couloir et chaque issue par cœur, pour la première fois, elle se sentait mal à l’aise devant. Comme si elle n’était plus qu’une criminelle parmi d’autre. Elle grimpa les marches en se résignant au fait qu’elle serait traitée comme tel, malgré ses années de service sans le moindre écart. Court réconfort, la chaleur du hall réchauffa son nez rougi par le froid mais, alors qu’elle saluait ses collègues de l’accueil, elle sentit une gêne derrière leurs paroles. Elle dut insister pour qu’enfin, ils lui révèlent ce qui n’allait pas : la rumeur de son incident s’était propagée. Tout le monde y avait été de son mot, certains la dédouanant, d’autre la condamnant. Elle n’était pas rassurée en arrivant mais le peu d’espoir qui lui restait commença à s’écrouler.


Bien que son geste ait été répréhensible et qu’elle le regrettait déjà amplement, la simple ouverture de son dossier allait entraîner sa chute. Elle s’était retenue d’évoluer tout ce temps afin de gagner la confiance de la part de ses supérieurs, une confiance suffisante pour qu’ils la promurent sans prendre pas la peine de le consulter.


Il lui fallut encore attendre une torturante longue demi-heure avant de voir arriver le premier de ses juges. La commissaire Chaunet traversa la pièce sans lui accorder un regard en marmonnant dans son écharpe, un air sombre sur le visage. Peu de temps après, ce fut au tour du commandant Fabre d’entrer, qui la chercha du regard avant de venir la saluer et de lui ordonner de le suivre. Abigail sentit alors son estomac se nouer plus qu’il ne l’était déjà.


Ce qui lui sembla un instant plus tard, elle se retrouva devant ses supérieurs, dans un silence de mort, la cible de tous les regards. Puis, avec une lenteur mesurée, celle qui lui faisait directement face se pencha et sortit un dossier d’un tiroir. Sa simple présence lui révéla à Abigail le jugement qui l’attendait. Elle écouta néanmoins ses juges expliquer que sa bavure leur avait permis de se rendre compte des graves irrégularités dans son dossier, telle que l’absence totale de mention de son lien de parenté avec le préfet de police ou de son séjour en hôpital psychiatrique après le passage à tabac d’un homme ayant mené à sa mort. Le certificat d’aptitude psychologique était manquant, le dossier était scellé… Un cas comme celui-ci ne pouvait être gardé sous silence, d’autant que le préfet était impliqué. Il allait sûrement être démis de sa fonction ou être mis en examen pour falsification et embauche abusive. Bien que cela aille de soi, la commissaire lui précisa qu’elle était renvoyée à effet immédiat et devait s’estimer heureuse que ses années de parfaits services et l’absence de plainte de sa victime penchaient en sa faveur, ou elle aurait pu risquer un procès duquel elle ne serait pas ressortie victorieuse.


Étonnamment et en dépit de la gravité de la situation, la pression que ressentait Abigail s’évapora à l’instant où sa supérieure annonça la sentence. Comme absente, elle les remercia de leur clémence puis quitta le bureau sans rien ajouter. Alors que la porte se refermait lentement derrière elle, une bribe de conversations lui parvint, ses anciens supérieurs s’inquiétaient de ne pas avoir encore retrouvé la dernière victime de leur affaire. L’un d’eux demanda même s’il était possible que le tuer ait cessé son activité mais Abigail n’entendit la réponse qui lui fut donné, pas plus qu’elle ne s’en sentit concernée. Après tout, elle ne faisait plus partie des forces de l’ordre.


Descendant à l’accueil pour saluer ses désormais anciens collègues et récupérer ses maigres affaires, elle franchit bientôt le seuil du bâtiment, son carton dans les mains. En dépit du froid et de la neige, elle resta quelques instants dans l’escalier de pierre à prendre de profondes inspirations. Au fond d’elle, un étrange sentiment de liberté lui permettait d’apprécier l’air glacial dans ses poumons. L’épée de Damoclès qui lui pendait au-dessus s’était enfin abattue, la délivrant de cette constante inquiétude. Jamais encore elle ne s’était demandé ce qu’elle ferait si elle quittait les forces de l’ordre mais en cet instant, Abigail s’en moquait éperdument et partit avec un sourire lui éclairant le visage.


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