Fyctia
Chapitre 16
Le psychologue avait frémi à l’écoute de son récit et, lorsqu’elle eut fini, lui demanda comment avait-elle pu être au courant, si nulle enquête n’avait été ouverte ? Douloureusement, Abigail lui raconta alors que quelques jours après le décès de sa sœur, elle avait revu l’un de ses anciens amis. Le jeune homme l’avait accosté et questionné sur la présence d’un quelconque testament. Il avait insisté, l’avait harcelé pour savoir si sa sœur avait laissé quoi que ce soit derrière elle. Encore fragile, Abigail avait fini par craquer et se mette à pleurer en lui répondant. La délaissant brusquement, il s’était alors précipité dans une ruelle proche en sortant son téléphone. Sous le choc, Abigail quitta les lieux mais quand elle dépassa la venelle, une bride de conversation attira son attention. « Je t’avais dit qu’on ne risquait rien ! » riait l’homme, soulagé. « Elle a crevé sans balancer. Hmf, on est tranquille maintenant. ». Sans qu’elle-même ne sache comment, Abigail s’était retrouvée aux poignes avec lui et l’avait alors frappé encore et encore, jusqu’à ce qu’il confesse. Il lui raconta absolument tout, toutes les horreurs, tous les messages, le calvaire qu’ils avaient infligé à sa sœur. Sa colère décuplée en une rage aveugle, elle avait continué à le frapper jusqu’à ce qu’il s’immobilise définitivement. Par une justice divine, nota-t-elle en mimant des guillemets de ses doigts, l’ancien compagnon de sa sœur avait tout entendu par le téléphone. Ralliant ses amis pour intervenir, ils s’étaient précipités sur les lieux mais avaient alors tous été fauché par un camion en grillant un stop. « Je ne crois pas en Dieu mais ce jour-là… Ce jour-là, j’ai cru en un certain équilibre cosmique… Justice avait été rendue. »
Un silence s’installa lorsqu’elle eut fini. Le psychologue hésita à plusieurs reprises puis, trouvant enfin ses mots, lui demanda de décrire sa relation avec sa sœur. « Comment je pourrais décrire ça ? C’était ma grande sœur. Je me suis bagarrée avec elle autant de fois que nous avons partagé de fous rires. Elle m’a appris à faire mes lacets, elle m’a aidé pour mes devoirs, même quand elle n’y comprenait rien. On a écouté ses groupes préférés pendant des heures, ils sont devenus les miens… Elle aimait le dessin et c’est comme ça que j’ai appris à faire attention aux traits des artistes. Elle me couvrait auprès de nos parents quand je faisais une bêtise puis elle m’expliquait comment mieux faire. Elle m’a conseillé sur les garçons puis sur les hommes. Elle m’a aidé à ranger ma chambre, elle m’a aidé à emménager dans mon premier appartement. Elle était celle qui me repêchait quand la vie essayait de me noyer… Elle était plus présente que mes parents, plus proche que ma meilleure amie… C’était ma grande sœur. »
Abigail sentit le regard du psychologue tandis qu’elle piochait dans la boîte de mouchoirs sur la table basse. Les larmes s’étaient mises à couler seules, sans qu’elle ne puisse l’empêcher mais sans qu’elle ne les refoule. Au fond, Abigail savait qu’elle en avait besoin. Il attendit que ses pleurs se tarissent puis, d’une voix douce, le médecin lui annonça que leur séance se terminait là et qu’il avait suffisamment d’informations pour rendre son rapport. Elle songea à lui demander quelles étaient ses conclusions mais aussi étrange que cela lui parut, elle s’en moquait désormais. L’esprit embrumé, elle serra la main qu’il lui tendait et acquiesça lorsqu’il lui proposa d’aller présenter ses excuses pour au moins se débarrasser de ce mauvais souvenir. Deux hommes attendaient déjà dans la salle d’attente et le regard hostile qu’ils lui jetèrent lui fit deviner que sa session avait été bien plus longue qu’elle n’aurait dû l’être. Cependant, le psychologue dans son dos l’encouragea une dernière fois avant de faire entrer un nouveau patient. Hors du cabinet, Abigail se sentit légère, plus qu’elle ne s’était sentit ces dernières années.
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