Adenpart Lux Fero - Le Porteur de Lumière Chapitre 1

Chapitre 1

« Bonjour, que puis-je faire pour vous aujourd’hui ? »


La formule était conventionnelle, figée, de même que son visage face à la plaignante.


« Alors voilà » commença la femme assise devant elle. « Je me promenais dans la rue et un homme m’a bousculée pour m’arracher mon sac.

— Très bien, on va faire ensemble votre dépôt de plainte. Nom et prénom, s’il vous plaît.

— Ivy Fera.

— Lieu de Résidence ? » interrogea l’agent d’une voix égale.

— Grenade, Espagne.

— Très bien, Mme Fera. Où vous trouviez-vous lorsque c’est arrivé ? »


Tout en écoutant la touriste raconter l’incident, Abigail jeta un coup d’œil à l’heure inscrite sur son ordinateur. Déjà dix minutes qu’elle aurait dû être partie. Cela dit, comme d’habitude depuis quelques mois, elle avait été réquisitionnée pour assurer des heures supplémentaires, tant ses collègues étaient absorbés par une enquête sur une série de crime, que les responsables soupçonnaient l’œuvre d’un tueur en série. Ainsi était-elle passée de la rédaction de rapports à la réception de plaintes ; elle était passée de l’ennui le plus total à une haine généralisée de la population de Marseille. Combien de personnes recevait-elle chaque jour parce qu’elles s’étaient faites voler leurs affaires ? Combien venaient porter plainte contre les violences qu’ils ou elles avaient subi ? Les files d’attentes ne désemplissaient pas, phénomène aggravé depuis le récent appel à témoins lié à cette fameuse enquête.


Derrière l’épaule de son interlocutrice, elle pouvait voir l’agitation qui régnait dans les bureaux de la section criminelle, et elle enviait cette fourmilière humaine. Sa demande de mutation refusée pour la quatrième fois, on lui avait laissé entendre que cela ne servait à rien de réessayer.


Après une longue heure à tenter d’aider la femme face à elle, elle la raccompagna à l’accueil et s’apprêta à saluer ses collègues avant de partir, quand son supérieur la surprit. A son regard désolé, elle comprit qu’elle ne rentrerait pas chez elle tout de suite.


******


« Staan ! Comment vas-tu ?

— On ne peut mieux » répondit-il d’un air également enjoué. « Et vous ? La journée s’est-elle bien passée ?

— Comme d’habitude : on fait avec. Je te sers un café ? » questionna le tenancier avec un haussement d’épaule.

— Volontiers. Noir…

— Avec un sucre et le journal, je sais » conclut le cinquantenaire. « Je te laisse aller t’installer, Carmen t’apporte ça.

— Merci. »


Rejoignant la terrasse, Staan croisa en coup de vent la radieuse serveuse qui le salua et lui assura qu’elle revenait au plus vite. La nuit débutait et, probablement en raison de la fraicheur de la journée, nul autre ne se trouvait à l’extérieur du café bar. A l’horizon, les derniers rayons du soleil mouraient dans une palette hypnotisante de rouges, de roses et d’oranges, cédant leur devoir de lumière aux lampadaires. Des guirlandes d’ampoules tout autour de la terrasse s’allumèrent à leur tour et atténuèrent l’éclat des phares de voitures dans la rue.


Staan vérifia alentours qu’il était seul avant de tirer un carnet de cuir d’une poche intérieure. Il n’eut aucun mal à trouver la page l’intéressant car celle-ci se trouvait gonflée d’une carte, qu’il déplia sur une partie de la table. En dépit des nombreux faits divers qui agitaient constamment la ville, il était parvenu à trier les informations et avait marqué d’une croix les emplacements des incidents qu’il soupçonnait d’être liés au potentiel tueur en série qui secouait l’actualité de la cité phocéenne ces dernières semaines. Marseille était une ville dont la beauté ne rivalisait qu’avec la dangerosité, et une enquête de cet acabit n’aurait pas dû retenir son attention. Hélas, il ne pouvait se défaire d’un doute, comme si son subconscient tentait de le prévenir. Observant pour la énième fois le plan et le chemin de croix qu’il y avait tracé, Staan s’interrogea à nouveau sur la logique derrière l’étrange schéma, mais interrompit sa réflexion lorsqu’il entendit la machine à café se couper à l’intérieur du bar. Sauvé par la finesse de son ouïe, il rangea plan et carnet à l’abri de sa veste bien avant que Carmen ne passât la porte de l’établissement. Il savait qu’un regard sur le contenu de la couverture de cuir ne serait ni souhaité, ni bienvenu. Déposant tasse et journal devant lui, la serveuse lui adressa un sourire puis repartit d’un pas léger.


Il profita du contraste entre la froideur hivernale et la chaleur de sa boisson pour laisser divaguer ses pensées. Malgré les années écoulées depuis son arrivée à Marseille, il ne se lassait pas du bistrot : le bois sombre de la terrasse, dont la teinte s’inversait avec l’éclat du soleil ; la toile de l’auvent qui protégeait tout autant de la pluie que des rayons de l’étoile ; les planches de la clôture à mi-hauteur, au bois en écho à celui du sol et dont la taille laissait profiter allégrement de la vue sur l’avenue. Le bar possédait sa propre atmosphère, son propre univers, et il s’y sentait bien.


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