Fyctia
DE JOYEUSES FUNERAILLES
Huit… Neuf… Dix…
L’arbitre siffle la fin du combat. J’ai gagné. Par K .O.
Cris de liesse du public. Explosion de confettis. Je brandis le poing vers le ciel.
Dix années se sont écoulées. Il est sorti de ma vie. Définitivement.
Au fil des ans, j’ai mené d’autres batailles contre Lui. J’ai dû accepter les changements de mon corps. Le vieillissement prématuré de mes cellules. Apprendre à vivre avec certaines douleurs. S’il ne colonisait plus mon corps, Il y avait laissé sa marque. Le temps avait été mon allié dans cette phase finale et aujourd’hui j’avais appris à m’accepter. A regarder mes cicatrices sans pleurer.
Il avait été un compagnon de vie.
Si pour beaucoup, la maladie n’est pas palpable, pour moi, elle a été une personne à part entière. Elle s’est immiscée dans mon corps, mon quotidien. Elle décidait de mon humeur, cristallisait mes peurs. Elle m’a coupé de certaines personnes qui ont sans doute imaginé que le cancer était contagieux. Elle a provoqué des disputes mais aussi des remises en question... Elle est devenue un membre de ma famille. Pour un temps.
Les fractures laissent des cicatrices, mais il n’appartient qu’à nous d’avancer une fois le combat gagné.
Ce matin, je me suis décidée.
Aujourd’hui, je vais L’enterrer.
J’avais évoqué cette possibilité avec Cath et Béber, lors de notre dernière soirée. Après quelques bières, c’est mon amie qui avait lancé l’idée.
— Et si tu lui organisais des funérailles. Enfin, symboliquement.
Depuis, l’idée avait fait son chemin.
J’avais envoyé un faire-part de décès à mes amis les plus proches, à mes parents et les avais invités à Son enterrement :
O. a la joie de vous faire part de la perte de son Cancer.
Après dix ans d’une vie de couple tumultueuse, Il l’a quittée en ce jeudi 05 mai.
Ses obsèques seront célébrées dans le jardin de O. Dimanche 08 mai à quinze heures.
Pas de fleur, ni de couronne.
Après mûres réflexions, j’ai choisi l’objet qui personnifiait le mieux ce que j’avais traversé. Un objet qui, tant que je le possédais, me relierait à Lui.
Je suis allée à la jardinerie. J’ai acheté une campanule pour décorer la tombe. Hors de question de Lui dresser un mausolée, mais je ne pouvais pas non plus fourrer la boite dans le trou, la recouvrir et oublier toutes ces années. J’avais besoin de ce cérémonial. Il était essentiel à mon cheminement.
S’ Il m’avait lâché la main, j’étais encore incapable de lâcher la sienne. Je pensais à Lui chaque jour. A ce qu’Il m’avait volé. Ce qu’Il m’avait fait endurer. Je peinais à passer à autre chose et même si je menais ma barque, j’échouais encore régulièrement sur les berges de ma colère.
En rentrant, je suis allée la chercher. Ma perruque. Elle était couchée dans son écrin depuis neuf ans. Je me souviens avoir arrêté de la porter très tôt. J’avais préféré assumer mes cheveux courts. J’avais revendiqué mon combat et affiché mon statut de guerrière. Alors, quoi de mieux qu’elle pour le représenter Lui ?
Un demi-sourire mélancolique a éclairé mon visage et accompagné ma plongée au cœur de mes souvenirs. Je me suis remémorée le jour où, après avoir perdu des poignées de cheveux au déjeuner, je m’étais rasée. Je me suis rappelée l’étrange sensation de ma paume de main sur mon crâne nu. Râpeux. Rugueux. J’ai revu mon visage marqué mais déterminé.
J’ai sorti la perruque de sa boîte puis je l’ai brossée une dernière fois, avec tendresse, laissant glisser les mèches dorées entre mes doigts. Je l’ai posée, délicatement, sur un papier de soie avant de l’enfermer à jamais dans son cercueil de carton. Ce moment-là, je l’avais voulu rien qu’à moi. Il ne se partageait pas. Ce deuil, je devais le faire seule. Plus tard nous danserions autour de Son tombeau, mais avant, il fallait que je Lui fasse mes adieux. Que je reprenne le cours de ma vie et que je ne Le laisse plus s’inviter dans mon présent au travers de craintes infondées, de peurs incontrôlées.
Je suis allée dans le jardin.
J’ai creusé un trou à sa taille. Au millimètre près.
J’ai déposé la boîte. Rebouché le trou. Planté la campanule.
J’ai arrosé. Me suis frotté les mains, l’une contre l’autre. Les ai posées sur mes hanches. La tête penchée sur le côté, j’ai observé mon œuvre, et j’ai souri.
Cette plante là ne mourra pas. Elle sera la mémoire de mon combat.
Coup de sonnette. Il est temps de faire la fête.
60 commentaires
Seyana
-
Il y a 3 ans
OPHELIE
-
Il y a 3 ans
Merixel
-
Il y a 3 ans
OPHELIE
-
Il y a 3 ans
Azilizaa
-
Il y a 4 ans
cedemro
-
Il y a 4 ans
OPHELIE
-
Il y a 4 ans
Eric Lebeau
-
Il y a 4 ans
OPHELIE
-
Il y a 4 ans
Christel Charlie
-
Il y a 4 ans