Fyctia
Chapitre 2-Partie 1
AVA
— Icegirl, regarde ce que j’ai trouvé ! Les vieux posters de ton amoureux !
— Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ? D’ailleurs pourquoi tu es allée fouiller dans le garage ?
— Je cherchais des photos de nous avant.
Le « nous » d’avant était tellement différent, à moins que ce ne soit moi. Comme si ma soeur a entendu mes pensées, elle me fait cette révélation :
— Tu étais plus rêveuse et rigolote à cette époque-là. Regarde ce que tu as marqué sur tous les posters ?
En bas de chaque photo du Prince Gabriel Clemens-Rons j’avais écrit au marker : You and I are meant to be… J’avais 16 ans, il en avait 22 ans et comme toutes les filles de mon âge, j’avais a big big crush about the Prince. De toute façon, comment aurais-je pu échapper à son sourire ravageur ? Je visse mes yeux à nouveau sur son visage parfait, ses yeux bleu turquoise et sa fossette si longtemps adorée. Je pousse mes rêves fous d’un revers de la main pour me remettre dans la réalité : que vais-je bien pouvoir cuisiner pour le souper ?
— Je les garde, on ne sait jamais. Ça sera marrant de les montrer à ton mari un de ces jours.
— Si je me marie, rectifié-je, plongeant mes mains dans le congélateur à la recherche des haricots verts.
— T’es irrécupérable Ava ! T’es irrécupérable Ava ! mime-t-elle, collant le poster du Prince sur son visage.
Je ne prête pas attention à ce qu’elle dit et mets l’eau à bouillir, jette les légumes dedans en y ajoutant du sel. J’assaisonne les cuisses de poulet avec des herbes aromatiques, du gingembre et de l’ail avant de les mettre au four. Ce soir, il va falloir que je me couche tôt, une longue journée m’attend demain. Après ma marche sous la pluie, je suis éreintée.
Maman est devant la télévision, emmitouflée dans le vieux plaid gris, un bol de popcorn sur les genoux. Elle rigole. Son rire cristallin flotte dans la pièce, c’est si bon de l’entendre rire ainsi ! Ses longs cheveux sont d’un blond vénitien, un roux légèrement différent de ceux de ma soeur, qui les a plus cuivrés. Plantée devant sa série télévisée favorite, Jane the Virgin, une fois de plus, elle ne peut s’empêcher de rire aux éclats.
— Viens honey, dit-elle en tapotant une place sur le sofa près d’elle.
Même si je ne regarde pas la télé, pour ainsi dire jamais, j’obtempère. Ma tête repose sur son épaule et j’hume le doux parfum de ma mère, une odeur bien à elle, un mélange exquis de tendresse et de fraicheur.
— Ce qu’il est beau ce Rafaël ! lâche-t-elle.
Je laisse mes pensées sur pause, appréciant la simplicité de cet échange avec elle.
— Si j’étais plus jeune, c’est un homme comme lui que je choisirai. Quelqu’un qui a du coeur et qui a de l’élégance.
— Tu es encore jeune maman, tu n’as que 48 ans…
— …Mais je suis vieille et mon coeur est déjà pris.
Je le sais que trop bien ! Maman ne s’est jamais remise de sa brutale séparation de mon père, Graham Davis, un pure british venu s’installer en Amérique, dans l’état de Calbert. Physiquement j’ai tout hérité de lui : les yeux noisettes ourlés de longs cils, les sourcils épais, la peau laiteuse, les pommettes saillantes, les cheveux bruns. Chaque fois que mon regard se heurte au miroir, j’ai l’impression de le revoir.
Mes parents se sont rencontrés un matin dans un café. Une histoire des plus banales, mais à chaque fois que ma mère la raconte, elle a les yeux qui s’illuminent et la magie opère. Elle lisait un de ces romans préférés Au bonheur des dames de Zola, un auteur français. Lui était absorbé par la vue de cette femme qui souriait aux pages d’un livre. Pendant une heure, il était resté là à ne rien faire d’autre que l’observer, à décortiquer la moindre esquisse de ses lèvres. Quand elle s’était levée pour régler l’addition, celle-ci était déjà payée. Le serveur lui apporta le ticket avec un mot griffonné :
« j’aimerai être celui à qui vous offrez ces si beaux sourires ».
Il lui avait laissé son numéro de portable ainsi que son prénom. Le soir, après de longues hésitations, elle l’avait appelé pour le remercier. Leur histoire avait débuté comme ça, avec des mots.
Quand j’ai eu aux alentours de 8 ans, mes parents avaient monté ensemble leur librairie-café. J’en garde encore de bons souvenirs. Je déambulais après l’école dans les lieux sacrés, furetais les couloirs et baladais mes petites mains sur les étalages. Je prenais un livre dont la couverture m’avait interpelée, humais l’odeur des pages neuves avant d’en lire les premières lignes. Jamais maman ne m’interdisait de toucher et de goûter à ce monde merveilleux de la lecture, du moment que j’avais lavé mes mains au préalable. Je finissais toujours par prendre un conte, m’installai sur le tapis au rayon des enfants avant de m’endormir, le recueil serré contre ma poitrine tel un talisman. Plus tard, papa me laissait faire les encaissements sous son oeil aguerri. Alors forcément quand je fêtais mes 15 ans, j’avais exigeai de sa part qu’il me laisse travailler avec lui pendant mes vacances et avoir un salaire. Fièrement je conseillais les clients, m’assurais de ranger les colis livrés en rayon, nettoyais le magasin et faisais même les fermetures de caisse. La librairie était pour moi un sanctuaire, pour mes parents, la réussite de la famille, et surtout pour mon père, un héritage qu’il laisserait à ses enfants. Sauf que le bonheur n’a pas duré.
Charlotte était âgée de 6 ans, moi de 16 ans lorsque nous avons mis la clé sous la porte. Une grande enseigne est venue s’installer en face, anéantissant notre vie au passage, raflant tous nos clients.
Plus de sanctuaire pour moi. La réussite a laissé un gout amer dans la bouche de mon père, l’échec. L’héritage était partie en fumée.
Désormais, tout ce qui nous reste de notre vielle libraire sont les livres écornés avec le temps et les souvenirs qui s’étiolent au fil des années.
— Je crois que le poulet est cuit, dis-je pour me sortir de cette mélancolie qui m’a prise à la gorge. Je vais mettre la table.
Je dépose les couverts un à un, ravalant un sanglot.
Pourquoi ma soeur est-elle partie déterrer les souvenirs ? D’ordinaire j’évite de penser au passé. Il m’est plus facile de le fuir pour ne pas vivre dans les regrets. Le bonheur est derrière moi, enterré il y a 8 ans de cela. Je n’ai aucune envie de ressasser les moments vécus, je suis obligée d’avancer dans la réalité si on veut continuer de survivre. Il va falloir que je mette les points sur les i avec Charly. Je le ferai avant de dormir. Il faut qu’elle arrête de faire ça !
Je monte les premières marches de l’escalier et crie suffisamment fort pour être entendue de ma petite soeur :
— Charlotte, maman, le repas est servi !
Je l’entends qui pousse sa chaise et fait tomber je ne sais quoi sur le sol.
— Je meurs de faim, dit maman en s’installant à table.
Mais pour ma part, je n’ai plus vraiment faim.
10 commentaires
Ade2310
-
Il y a 7 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 7 ans
alexia340
-
Il y a 7 ans
alexia340
-
Il y a 7 ans
stanos974
-
Il y a 7 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 7 ans
Liloluna
-
Il y a 7 ans
Djeems Gufflet
-
Il y a 7 ans
Fanny, Marie Gufflet
-
Il y a 7 ans
Moedora
-
Il y a 7 ans