Fyctia
III. L'horloge biologique (2)
Il m’est impossible de rester auprès de cette horrible femme. Je me lève prestement et me dirige vers la sortie. Derrière moi, une voix criarde et nasillarde m’invective et se confond en excuses. Il est trop tard. Je pars en furie me faufilant dans de petites ruelles.
Après une trentaine de minutes, je rejoins la fontaine et m’assieds sur le bord, n’écoutant que le vrombissement du jet qui percute l’eau dans mon dos. Mes mains et mes jambes tremblent. Malgré la chaleur, une sensation de froid parcourt mon corps et le fait trembler. Je fixe un point au loin entre deux ruelles. Respire profondément, m’ordonné-je. Expire longuement avec douceur.
Après avoir repris le contrôle de mes émotions, mon esprit est attiré par une musique venant de ma droite. Un petit homme joue quelques notes mal pincées sur une mandoline. D’un italien approximatif, un genou à terre, il déclame son amour à une jeune femme qui semble n’avoir d’yeux que pour lui. J’essaie de ne pas rire de la prestation frisant le médiocre par respect pour eux, mais également, pour le courage dont il fait preuve. Je trouve cela touchant.
Les personnes autour de moi, comme en plein duel, dégainent leur smartphone plus vite que leur ombre. Ils semblent filmer la scène très certainement pour la poster sur les réseaux sociaux sous la légende « couple goal ». Le droit à l’image, ils ne connaissent pas ?! Un photographe tourne autour des amants tel un rapace étudiant sa proie. Néanmoins, ils ne semblent aucunement dérangés, et continuent de se dévisager comme s’ils étaient seuls au monde. Je grogne en espérant n’être ni filmée, ni photographiée par inadvertance.
Le tableau qui s’offre à nous est magnifique. Deux êtres sont en communion par les yeux et par l’esprit. Une bulle les protège du monde extérieur. Le lien qui les uni est si fort que le public le ressent. Il suffit de les regarder pour comprendre ce que signifie « aimer ».
Le spectacle prend fin dans un final digne d’un conte de fée, une demande en mariage. Leur bonheur est contagieux. Toutes les personnes présentes sur place sont en suspens, et explosent de joie lorsque la jeune femme émet un « oui » d’une puissance cristalline.
Quelle magie ! Je n’aurais, malheureusement, jamais la chance de la toucher du bout des doigts. Soudain, mon esprit divague, et je ne peux m’empêcher de penser au divorce de ce merveilleux couple dans 10-15 ans emportant avec lui ce souvenir heureux. L’amour n’est que passager ici-bas, m’exclamé-je à mi-voix.
Lorsque je me lève pour m’enfuir gênée par cette agitation et ce tsunami d’émotions, le photographe, qui quelques minutes plus tôt tournait autour des futurs mariés s’approche de moi. Il a les cheveux en bataille et porte une barbe de trois jours. Je le trouve plutôt charmant. Il croise mon regard et me sourit. Oh non, pensé-je. Ce n’est vraiment pas le moment pour être draguée.
— Bonjour, mademoiselle, dit-il.
— Madame !, m’exclamé-je pour lui montrer que je ne suis pas ouverte au dialogue.
— Pardonnez-moi, s’excuse-t-il en bégayant. Je me présente. Je m’appelle Hugo Stanley. Je suis photographe pour…
— Oui, j’ai vu, mais je ne suis pas intéressée, essayé-je de dire avec douceur.
— Oh… Euh… Je n’allais pas vous proposer de vous prendre en photo, ni vous draguer lourdement. En fait, je travaille pour Faith. Vous connaissez ?
— Faith… Comme l’application de rencontre ?
— Exactement. Ce que vous venez de voir est la concrétisation de ce que peut vous offrir nos coachs et event managers.
— Intéressant, mais je ne cherche pas l’amour.
— Oh, pardon. Vous êtes en couple, c’est ça ?
— Non. Je suis juste folle d’amour pour moi-même. Ma vie en solitaire me plait énormément.
— Je vois. Permettez-moi de vous donner cela. Bonne journée !
Le photographe s’éloigne après m’avoir tendu une carte de visite noire sur laquelle était tracé le pourtour d’un cercle rouge. Au centre de celui-ci, une écriture blanche met en avant une adresse URL. Etrange. Ne voyant aucune poubelle à l’horizon, ma conscience écologique me pousse à placer le bout de papier cartonné dans mon sac à main, non loin de mon téléphone. Ce dernier s’allume dans un faux mouvement. Une longue liste de notifications se présente à mes yeux.
Mon téléphone entre les mains, je remarque que toutes mes notifications venaient de maman. Elle m’avait appelée une dizaine de fois, me laissant des messages vocaux. Ce ne serait pas bien la connaître que de croire qu’elle s’était arrêtée là. Des dizaines de messages m’avaient été envoyée de ma génitrice par SMS et sur les réseaux sociaux. Comment peut-on harceler autant quelqu’un ?, m’énervé-je. C’était sans remarquer les mails me demandant de la contacter. Comme un os qu’un chien ne veut pas lâcher, elle n’abandonnerait pas la traque.
Le mobile vibre entre mes mains. Je n’ai plus le choix. Maman serait capable de venir tambouriner à ma porte.
— Que me veux-tu ?, dis-je sèchement.
— Il est vrai que j’ai été un peu trop loin. Mais je ne m’excuserai pas. Je m’inquiète pour toi, Euphemie. Tu as vingt-sept ans, et tu n’es toujours pas mariée.
— Mais…
— Laisse-moi parler ! Tu es à ton pic de fertilité. Il est temps d’avoir des enfants. J’aimerais connaître un jour mes petits-enfants. J’aimerais les voir grandir, et les emmener au parc, au sport, aux cours de musique, … Ce que toutes les grand-mères font. Je souhaiterais également te voir t’épanouir. Il n’est rien de plus beau que l’amour.
— Je vis bien toute seule, maman. Je suis désolée pour toi, mais aucune de ces choses ne sont au programme.
— Quand ça le sera, tes ovules ne seront plus de première jeunesse…
— Même dans dix ans, ça ne sera pas au programme. Et sache que je fais ce que je veux de ma vie. Bonne journée, Maman !
— Ton horloge biologique tourne que tu le veuilles ou non. C’est scientifique. Bonne journée. Passe le bonjour à ce pauvre Jack.
Je raccroche sans plus attendre. Je m’arrête un moment, et regarde autour de moi. La bonne humeur semble ne pas avoir quitté la place. Au loin, une petite-fille donne la main à sa mère, et lui sourit. En passant non loin de moi, je l’entends lui raconter sa journée et ses rêves. Mon cœur se serre. Elle me jette un regard, et je lui souris. Cette scène aurait été si différente avec ma propre mère. D’ailleurs, elle n’a jamais eu lieu, et n’existera jamais.
9 commentaires
Sissy Batzy
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Il y a 4 ans
cedemro
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Il y a 4 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 ans