Fyctia
Chapitre 5 :
– Kalila, reste là où tu es, me secoue Monsieur Millet.
– Je... Je... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je murmure.
– Tu t'es évanouie, me répond-il de sa voix douce, Monsieur Miller.
La dernière dont je me souviens est Ava, me filmant avec son téléphone... En tâtant mon corps de pars et autre, je remarque que mon t-shirt n’est plus par terre, mais sur moi. Les connards.
- Ava est venue me voir, tu es tombée. As-tu mal à la tête ? De ce que les garçons m’ont dit, tu y es tombée assez violement, me demande-t-il tout en gardant sa main chaude derrière mon crâne.
Dans la panique, mes mains tremblantes fouillent agressivement mon sac, cherchant à tâtons la petite boîte familière. Mon cœur bat à toute vitesse tandis que mes doigts s’accrochent enfin aux contours froids de mes médicaments.
- Te souviens-tu de ce qu'il s'est passé ? demande sèchement le prof de SES.
- Pas réellement, je manque d’air, je veux plus d’espace, mens-je.
- Je suis là, je ne te ferai aucun mal, tu vas rester avec moi le temps d'aller mieux, les autres suivent Monsieur Joe. Murmure Monsieur Miller.
Je suis assise à même le sol, recroquevillée sur moi-même, j’ai remplacé sa main par la mienne, son contact devenait insoutenable.
Je ne sais pas combien de temps passe, dix minutes, quinze ou vingt, avant qu'il relance la discussion.
- Tu as froid ? Tu trembles vraiment beaucoup, m'informe-t-il tout en enlevant sa veste en cuir.
- Oui, un peu.
Elle est imprégnée de son odeur, un mélange de sapin résineux, de fraîcheur boisée, avec une pointe subtile de rhum épicé. Cette odeur m’enveloppe, familière et troublante à la foi. Aucune autre ne pourrait lui aller aussi bien.
- Tu sais, je t'ai vue, Kalila. Enfin, j'ai vu ce qu'ils t'ont fait. Tu n'as pas besoin de mentir avec moi.
- Mm. Je ne veux pas en parler
- Je veux que tu saches, que je ne consens absolument pas à ce qu'il s’est passé. Si tu me laisses en parler au principal, ils pourraient se retrouver dans un sacré merdier.
- Ça va aller.
- Non, ça ne va pas aller, au contraire. Pour eux, ce n'est qu'un jeu, une mauvaise blague, rien de ce qui s’est passé n'est grave ni même important, c’est sans conséquence. Tu dois aller en parler !
- C'est plus facile pour moi de cacher ça. De cacher ma vulnérabilité, et mes pensées. De faire comme si tout allait bien. Comme ça, j'évite de faire du mal aux gens qui me sont proches. J'évite de voir le comportement des autres changer envers moi. J'évite de prendre le risque de perdre les rares choses que j'ai réussi à avoir. J’évite le pire, murmurai-je.
- Je ne peux pas te dire que je comprends, car, à mon plus grand bonheur, je suis un homme et non une femme.
- Ava a filmé ce qu'il s'est passé...
- C'est une raison de plus ! Pourquoi ne veux-tu absolument pas porter plainte ! Tu veux que des vidéos, des photos et tout le reste soient sur les réseaux. Tu te vois ouvrir la page Insta et tomber sur ça ? Je sais qu’en tant que prof, c’est compliqué de parler. Mais je suis jeune, je peux essayer de t’aider à arranger les choses.
- Je n'ai plus de réseau à cause de ça depuis bien longtemps...
- C'est à dire ?
- C'est à dire qu'il y en a déjà et qu'une de plus ou de...
- Je t'interdis de finir ta phrase ! En tant que témoin, j’irai parler, m'interrompt-il.
- Monsieur, s’il vous plaît, je ne veux pas d’ennuie !
Je relâche les jambes puis relève la tête. La position recroquevillée est bien cinq minutes mais pas super pour les discussions à cœur ouvert.
Je le vois enfin de plein pied. Il est debout, son corps adossé au même mur auquel j'étais plaquée... Le point de vue qui m'est offert est merveilleux. Je vois quelques tatouages s'échapper de sa chemise retroussée aux manches. Sa peau légèrement mate fait ressortir la beauté de ses yeux gris. Il ne me regarde pas mais je sens sur moi la puissance de son regard.
- Tu as fini de me mater ? m'interroge-t-il.
- Euh, je ne vous matais pas, me dépêchai-je de répondre.
- Je suis peut-être ton professeur de littérature, mais je reste bien plus proche de ton âge que celui de mes collègues, donc en l'occurrence mon comportement s'apparente bien au tien. Pour confirmer les choses. Ne me mate pas, formule-t-il d'une simplicité si évidente.
- J’ai pas compris le lien…
Je rigole presque, le fait de changer de sujet me fait du bien. Il prend une cigarette, la coince entre ses lèvres, puis sort son briquet. Il me propose de tirer un coup.
- On ne va pas me le proposer deux fois, acceptai-je.
- Pour en revenir à ce qu'il s'est passé, pourrais-tu ne pas me prendre plus de temps et répondre à ma putain de question.
- Euh... Laquelle ?
- Pourquoi refuses-tu de te rebeller ? De gueuler un bon coup. Leur faire comprendre que tu n'es pas si faible et si fragile que ce que tout le monde raconte ?
- Ah, celle-là...
- Ouais.
- Tout simplement parce que c'est plus simple.
- Mais encore, insiste-t-il.
- Parce qu'avec le temps, j'ai appris à me protéger, à me protéger des autres et de la violence qu'on m'infligeait. Je me suis éloignée de gens que j'aimais pour leur bien, j'ai arrêté de prendre des risques pour ne pas être déçue. J'ai appris à ne plus compter sur les autres, et à me débrouiller seule, pour ne rien devoir à personne. Mais j'ai aussi appris que parfois la vie est meilleure en étant seule. Puis aussi, en restant dans l'ombre, sans faire de vague, on pourrait être tranquille, sans prise de tête... Dévoilai-je en me forçant du mieux que je le peux pour ne pas que ma voix ne tremble, ou qu'un sanglot ne s’échappe.
- Je comprends ce que tu veux dire.
- Vous faites toujours des réponses si courtes lorsque vos élèves se confient à vous ? Je ne parle à personne, estimez-vous chanceux, pouffais-je
- En fait, c'est ma première année en tant que prof, me confie-t-il.
- D'où la clope, rigolai-je.
- D'où la clope, répète-t-il.
Il se décide enfin de s'asseoir à côté de moi. Ça doit bien faire plus d'une heure que nous discutions.
- Je pense que je vais rentrer maintenant, je lance pour briser le blanc qui s’installe.
- Oui, je pense aussi.
Je me lève, je m'apprête à lui rendre sa veste quand il me dit :
- Garde-la, tu me la rendras discrètement demain en cours.
3 commentaires
Zatiak
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Il y a 2 mois
ninaracely
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Il y a 2 mois
Karla VALON
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Il y a 2 mois