Fyctia
Chapitre 4 - Turbulences
2h00 du matin, et les yeux grands ouverts.
Je nage dans ce lit trop grand pour moi. Je m’imagine Julie, sa respiration lente et profonde à mes côtés. Puis mon cerveau tourmenté se charge du reste du travail : la voilà dans les bras d’une Elena sulfureuse, dans mes propres draps. Alors je fronce les sourcils pour effacer cette vision venue tout droit des enfers. J’ai besoin de douceur, pas d’un nouveau poignard dans le dos. Et en ce qui concerne la douceur… la voix de Betty résonne dans ma tête comme une mélodie réconfortante. La soirée qu’on a passée ensemble – à se promener, discuter, boire un verre, discuter encore, manger, discuter jusqu’à l’hôtel – m’a fait l’effet d’un nuage, d’une bulle de bien-être que je n’avais pas connue depuis des siècles. Rien à voir avec Julie. Pourtant…
Pourtant, je ne peux pas m’imaginer de penser à elle et à ce qu’elle m’a fait. Je ne peux pas empêcher les larmes de me monter aux yeux, dans l’obscurité placardée de mes insécurités. Et je ne peux encore moins m’empêcher de croire que la seule chose qui pourrait me faire du bien en cet instant, c’est une étreinte de Betty. Avec son corps chaud et sa prévenance, avec ses mots pesés et son magnifique sourire.
Comment est-ce que je peux imaginer ça ? Je suis à peine célibataire, et encore sans que ça soit dit, mais je me vois déjà avec une autre. Est-ce que ça vaut mieux que ce qu’elle m’a fait ?
Puis d'un autre côté, Betty n’a rien demandé. Et je ne suis même pas certaine de lui plaire. Comment pourrais-je l’être ? On se connaît à peine. J’ai toutefois l’impression d’avoir plus en commun avec elle qu’avec la moitié de mes exes réunies. Ou alors… est-ce que je me projette de cette manière jusque parce que je viens de traverser cette épreuve avec Julie ? Est-ce que ça aurait été la même chose avec une autre ? Est-ce que je cherche uniquement à me consoler ?
Je me réveille quelques heures plus tard, sans réponse à cette question, mais les yeux encore gonflés de chagrin et d’un sommeil perturbé. Je me tourne et me retourne sous les draps avant de donner raison à ma vessie, et me traîne jusqu’à la salle d’eau en frissonnant. J’ai à peine le temps de me laver les mains que mon portable se décide à sonner – pas mon réveil, non. Il s’agit d’un véritable appel.
Mon cœur s’emballe. Est-ce que Betty est déjà là, et m’attend en bas ? Je traverse la chambre en trois grandes enjambées. Sur mon portable, le nom et la photo de Julie s’affichent en grand. Mon cœur se fend. Je décroche quand même.
— Bonjour.
Sa voix semble posée, calme. Loin de tous les tourments de la culpabilité. Ma gorge nouée m’empêche de lui répondre.
— Je… hésite-t-elle un moment. Je voulais savoir si tu allais bien.
Sérieusement ? J’ai envie de m’agacer dans le micro, de lui demander si elle s’en foutait pas un peu, que j’aille bien ou non, quand elle avait sa tête entre les cuisses d’une autre. Alors quoi, elle s’en inquiète maintenant que je suis loin et blessée ? Par elle-même, en plus ?
Mais non, je ne lui ferais pas ce plaisir. Elle ne mérite rien de moi. Alors je me contente de grogner une réponse approximative en me moquant de la manière dont elle l'interprètera.
— C’est beau, Copenhague ?
Je lève les yeux au ciel. Si elle cherche à me faire sortir de mes gonds, elle a trouvé la bonne méthode pour me faire craquer. Mais pas encore.
— Pourquoi tu m’appelles ? parviens-je finalement à lâcher, la voix rauque.
— Je… hoquette-elle, sans doute surprise de m’entendre et désarçonnée par ma réponse. Écoute, euh… je voulais te dire que je suis passée ce matin à ton appart, récupérer mes affaires. Je pense que c’est mieux ainsi. J’ai mis les clés dans ta boîte aux lettres.
L’information rame jusqu’à mon cerveau, traînant avec elle la lourde vérité qu’elle implique. Julie et moi, c’est fini pour de bon.
— OK, essayé-je de répondre le plus froidement possible.
— Voilà, c’est tout. Bonne continuation, Margot.
Je reste une seconde interdite. Bonne continuation ? Alors qu’elle m’a trahie, qu’elle a fait ressortir mes doutes, mes peurs et mon mal-être ? Dans le genre, j’aurais pu accepter ce genre d’au revoir après une relation plus saine et plus sereine. Pas après la nôtre et la manière dont elle l’a achevée.
— Va te faire foutre.
Je raccroche sans lui laisser l’opportunité de réagir. De toute façon, mon visage est déjà passé en mode arrosage automatique. Mon nez s’est rempli de morve, et je serai bien incapable de poursuivre la moindre conversation sans que les sanglots ne se trahissent dans ma voix.
J’essuie les flots qui dévalent mes joues, me mouche et relis le message de Betty. Mon réveil sonne – pour me consoler, je me fais croire que je n’aurais pas eu meilleure mine en me réveillant à peine.
Et je file rattraper les dégâts sur ma peau, brosser mes cheveux décolorés et enfiler la première tenue propre qui me tombe sous la main. Je privilégie le brossage de dents au maquillage et finis tout juste de m’étaler une crème de jour quand on frappe à la porte. Le reflet que me renvoie le miroir n’a rien de très reluisant, mais tant pis. Une bonne journée m’attend. C’est l’essentiel.
— Surprise ! s’exclame Betty en tendant devant elle un sachet en papier à la délicieuse odeur de cannelle. Je suis passée dans l’une des plus anciennes…
Sa voix se brise quand elle abaisse les pâtisseries et que son regard croise le mien.
— Est-ce que ça va ? Enfin… j’ai pas l’impression que ça aille très fort, est-ce que tu veux en parler ? Je crois que les kanelsnurrers arrivent à point nommé, paraît que ça fait du bien quand on n’a pas le moral.
Un maigre sourire étire mes joues… avant que survienne le débordement de larmes. Débordement de mots. Je lui raconte tout entre deux séances de mouchage. Elle ne dit rien. M’écoute, me regarde. Et quand j’ai enfin fini de déblatérer, Betty pose sa main sur mon bras.
— Je suis vraiment désolée, murmure-t-elle.
Et elle en a vraiment l’air.
— Qu’est-ce que je peux faire pour que ça aille mieux ?
Je baisse la tête. Tout ce dont j’aurais envie, c’est d’un câlin. Je suis, en revanche, incapable de le lui demander. Et à ma grande surprise, c’est elle qui me demande :
— Je peux ?
Tout en délicatesse, elle m’invite à se blottir contre elle. Je n’hésite pas une seconde et me coule contre son buste, dans une odeur de cannelle et de vanille, dans la chaleur de ses bras. J’entends son cœur battre fort dans sa poitrine. Son souffle dans mes cheveux. Chaque courbe de son corps se fond contre le mien et, tout à coup, les larmes ne sont plus qu’un lointain souvenir. À la place, un feu dévorant s’empare de mes joues et de chaque parcelle de contact. Je n’ai plus qu’envie d’une chose : me hisser sur la pointe des pieds et découvrir si sa bouche saurait étancher ma soif d’elle.
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