Alexeï Evna Love at first flight Chapitre 2 - Décollage

Chapitre 2 - Décollage

Une grande Tahitienne m’adresse un signe de la main pour indiquer le siège côté hublot, et il ne me faut pas moins de trois longues secondes de bug intempestif pour comprendre que son adorable sourire n’est pas là pour me distraire, mais pour me demander gentiment de lever mes fesses. Dans la précipitation, je me déplace un peu maladroitement, la frôle en retournant dans l’allée, et elle se faxe tant bien que mal dans l’espace restreint qui lui est alloué.

J’essuie mes yeux encore bouffis de larmes. Mettre les gens mal à l’aise en leur pleurant dessus, ce n’est pas franchement mon genre.


Quand elle s’est enfin attachée et installée, je retourne sur mon siège en avisant la largeur de ses épaules. Elle a beau être collée à la paroi de l’avion, elle déborde sur ma place. Impossible de ne pas la toucher, quelle que soit la position que je tente d’adopter.


— Excusez-moi, reniflé-je plus que je ne parle. Ces avions sont de plus en plus étroits.


— C’est à moi de vous présenter mes excuses, souffle-t-elle en m’adressant un petit regard en coin. Je n’ai pas forcément le physique adapté… Vous auriez été mieux à côté de quelqu’un d’autre.


Je réprime un sourire douloureux. Julie aurait dû se trouver à côté de moi. Et avec ce qu’il s’est passé dans le hall de l’aéroport, il est clair que ça n’aurait pas été mieux d’être à côté d’elle, même si ma bouche s'assèche à la simple pensée qu’elle et moi, c’est fini. Au moins, je ne pleure plus. Pour le moment.


— Non, non, ne vous inquiétez pas.


— C’est gentil.


Elle sourit doucement. C’est plutôt drôle. Cette femme est immense, imposante, elle doit soulever de la fonte tous les jours à la salle, ce qui pourrait lui donner des airs de héros mythologiques, mais non, elle est d’une douceur extrême dans sa voix et dans ses paroles. Sans que je ne comprenne pourquoi, ça me porte un peu de baume au cœur.


L’avion finit de se remplir, ne laissant qu’une poignée de sièges libres. J’imagine que Julie aurait dû être assise dans l’un d’entre eux. J’imagine que je pourrais changer de place pour que mon bras ne soit pas collé à la peau chaude de ma voisine. Aucune de ces deux idées ne me plaît vraiment.


Je profite des annonces relatives à la sécurité pour attraper mon téléphone et le mettre en mode avion. Le portrait de Julie m’adresse un baiser imaginaire, un baiser qui me pince le cœur. Je me promets de rapidement changer de fonds d’écran, puis range mon portable tandis qu’une hôtesse de l’air nous indique les issues de secours. À côté de moi, ma voisine se raidit. Elle frotte la paume de ses mains sur ses cuisses, les doigts étrangement tendus.


— Ça va aller ? lui soufflé-je quand je la surprends à fixer l’appui-tête du siège de devant, les yeux écarquillés et les lèvres pincées.


— Hm, marmonne-t-elle sans parvenir à ouvrir la bouche.


— Première fois en avion ?


Elle secoue subrepticement la tête. Ce n’est donc pas la peur de l’inconnu… Et je doute de vraiment pouvoir l’aider dans ce cas.


L’avion se met en branle et prend tranquillement le chemin de la piste de décollage. J’avais oublié à quel point c’était bruyant.


— Deuxième fois.


Si je n’avais pas eu l’ouïe si fine, je ne l’aurais probablement pas entendue. Et qui se douterait qu’elle essaie de poursuivre la conversation, raide et droite comme elle est ?


— Tout va bien se passer, lui assuré-je. Aussi vrai que je m’appelle Margot et que mon empreinte carbone n’est malheureusement pas terrible – et à chaque fois, il n’y a eu aucun problème. Quelques secousses, parce que sinon ça se serait pas drôle, mais…


L’avion se met à accélérer. Je ne me tais pas pour autant, histoire de la déconcentrer un peu de sa peur – et moi, d’un retournement d’estomac possible avec toutes les cochonneries que j’ai avalées.


— Il faut bien que l’avion décolle. Et puis, il n’y en a pas pour longtemps : normalement, on devrait entendre des mots parfaitement incompréhensibles et sentir le fumet d’une bonne anguille roulée avant même que je n’aie fini de parler.


OK, mauvaise idée de mentionner ça. Mon ventre se tord alors que la pression me colle contre le dossier de mon siège et que le volume sonore augmente significativement.


— Après, je ne sais pas ce que vous avez prévu, mais il y a plein de choses à voir à Copenhague, alors que c’est pas franchement une ville dont on entend parler. Et puis, à cette période, je crois que y a pas trop de touristes, donc ça devrait être sympa pour déambuler dans les musées et dans les rues. Et pour se pelotonner dans les cafés, bien sûr. Vous devez connaître le « hygge » ? C’est…


Soudain, je me rends compte que je suis peut-être en train de la noyer sous un flot de paroles qui ne l’intéresse pas le moins du monde, et que nous sommes deux parfaites inconnues dont les chemins se sont simplement croisés dans cet avion. Mon visage se met à me brûler. La pire phase du décollage est terminée, de toute façon. Je tourne doucement la tête vers l’allée pour qu’elle ne voie pas la honte se dessiner sur mes traits.


— Merci. Moi, c’est Betty.


Une nouvelle bouffée de gêne me traverse, rapidement gommée par un soulagement sincère. Au moins, je ne l’ai pas complètement effrayée ou mise mal à l’aise.


— Désolée, je suis un peu bavarde, je voulais juste…


Je hausse les épaules pour m’autocouper la parole, parce que je sens que je repars dans une logorrhée dont elle se passerait sans doute bien.


— Vous vouliez juste bien faire, c’est cela ? Alors vous avez parfaitement réussi votre mission, ça m’a aidée. Merci.


J’en reste bouche bée. Et possiblement cramoisie. D’habitude, Julie me dit que je parle trop, que… Je la balaye de mon esprit. Elle n’a pas le droit de me faire sentir mal après que j’ai reçu ce qui s’apparente à un compliment.


— Avec plaisir.


— Je déteste les décollages, me confie alors Betty à demi-voix. Mais je dois partir pour le travail, donc je n’ai pas le choix. Vous y allez en voyage ?


J’acquiesce, puis ne peux m’empêcher de lui raconter la moitié de mes plans une fois sur place, ne me gênant pas pour sortir mon carnet de notes et une carte qui lui signifie l’emplacement de chacun de mes arrêts obligatoires. Elle s’intéresse à ce que je dis, me pose des questions, et je me rends compte que cela faisait bien longtemps que je n’avais pas partagé une conversation à double-sens comme celle-ci. Elle me parle aussi des raisons de son déplacement, de cette entreprise qu’elle va voir, du salon d’architecture et de biodiversité auquel elle doit se rendre. Sa voix, douce et chaude, chante dans mes oreilles. Si bien que le vol ne semble durer qu’une poignée de minutes ; l’avion atterrit déjà.


— Si mon partenaire commercial ne m’a pas mangée toute crue… ça vous dirait qu’on se retrouve pour que vous me montriez un peu plus de la ville ? Ou pour un verre. Un café, je veux dire, bredouille-t-elle en attrapant sa valise.


J’acquiesce vivement. Un peu trop, peut-être. Rien à voir avec l’autocollant aux couleurs du drapeau lesbien qui orne sa valise.


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36

36 commentaires

Alma Rose

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Il y a un an

Je découvre ton histoire et j'aime beaucoup les deux premiers chapitres. C'est facile à lire (dans le bon sens du terme !) et c'est d'une douceur. Tout est parfaitement introduit et pas précipité. C'est superbe

Alexeï Evna

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Il y a un an

Merci beaucoup ♥

Emeline Guezel

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Il y a un an

Petit like de soutien 😊. N'hésite pas à passer si tu as un moment 🥰.

Paige

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Il y a un an

Ahaha une mignonne rencontre sous turbulence... mais c'est ce qu'on aime !
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