clecle L'Ordinaire Aube

Aube

Ottilia

— Dis-moi comment te traite Devence.

— C’est tellement différent, commence-t-il. Je ne suis qu’un objet pour elle, je provoque son plaisir, rien de plus. Ce que je ressens avec toi n’a rien à voir.

— J’ai connu ça aussi. J’avais seulement seize ans quand j’ai couché pour la première fois avec Salsian, je pensais qu’il me protégerait… Contrairement à d’autres, il était plus respectueux et il répétait à longueur de journée que celui qui me toucherait commettrait un vol, qu’il mourrait, parce que je lui appartenais.


Arvid déploie sa main dans le creux de mes reins.


— Tu n’appartiens à personne, Ottilia. Tu es libre maintenant.

— Pas tout à fait. Pas tant que je ne peux pas marcher. Mais avec toi, je me sens… Je n’ai jamais connu ça. Cet apaisement.

— Tu peux fermer les yeux, te reposer, te détendre. Je suis là. Je suis près de toi.

— Ne m’abandonne pas.

— Je serai là. Toujours.


Mon esprit s’échappe dans la confusion. Je balbutie, mais clos finalement les paupières. J’aimerais me réveiller demain dans un autre monde sans quitter ses bras.


✂✂✂


— Bonjour, mademoiselle Melville, claironne une petite voix à côté de mon oreille.


Je me redresse d’un coup, stupéfaite de découvrir une paire d’iris bleus, totalement inconnus. Ma main se faufile sur le drap et cherche Arvid. Il n’est pas là.


Je me fige sous l’effet d’une terrible angoisse : l’a-t-on emmené de force ? Pourquoi n’ai-je rien entendu ? Ne s’est-il pas défendu ? Et qui est cette…


— Ne craignez rien, le rémouleur est parti rejoindre Devence Bouria. C’est lui qui m’a donné la clé pour entrer dans votre chambre.


Mes poings se serrent sur la courtepointe, je la remonte sur mes seins nus. Devence ? Arvid est retourné près de la clergesse ? Pourquoi ? Depuis combien de temps ? Aurait-il poussé le vice au point de s’adonner à une relation charnelle avec elle, juste après moi ? Cette perspective me dévaste.


En cédant la clé, il permet à cette inconnue d’entrer, de me trouver dénudée. Je me sens violée dans mon intimité et la repousse d’un cri de stupeur :


— Qui es-tu ?


Elle ajuste les revers de son col et se fend d’un généreux sourire. Il sonne faux. Comme une parure supplémentaire dans son allure guindée. L’unique agrément dans sa mise est ce long bracelet enroulé autour de son poignet.


Je le sens, c’est son Signant.


D’ailleurs, le métal serpente discrètement sur son avant-bras pendant qu’elle éloigne son visage poupin. Ce dernier rosit devant ma nudité. Sa bouche se ratatine jusqu’à former une boule rougissante, comprimée entre deux joues dodues, encadrées de cheveux mi-longs. Sa robe sombre me le confirme, c’est une clergesse, une jeune fille. Je sais que leur physique ne reflète que rarement l’âge réel des membres du clergé. Celle-ci ne semble pas avoir atteint sa quinzième année.


— Je m’appelle Mari Backa. Je suis ici pour vous aider à faire votre toilette et vous guider jusqu’au jardin dans ce fauteuil.


Un autre fauteuil. Avec des roulettes. Néanmoins plus luxueux que celui déniché par Taraon. Il attend près de la porte d’entrée. Je m’apprête à refuser, à lui ordonner de partir quand elle reprend :


— Lioran vous y attend. Nous sommes rentrés ce matin.


Je ne l’ai jamais vue cette Mari. Lioran est revenu du Cœur et m’envoie une gamine pour faire office de servante ? Contrairement à Brit, je me méfie d’elle. Je devrais sans doute la craindre. On ne défie pas une clergesse, aussi jeune soit-elle, sans prendre un risque pour sa propre vie. Fil rompu, ou pas.


Je décide de taire ma colère au moins le temps de comprendre quelles sont ses intentions à mon égard.


— Le rendez-vous est prévu au troisième carillon, Mademoiselle, prévient Mari l’index levé. Et ça ne va pas tarder. Je peux vous préparer ?

— Pourquoi Lioran m’envoie-t-il une domestique ? pesté-je.


J’aurais dû le prendre comme une marque d’intérêt de sa part. En réalité, je suis incapable de m’en réjouir.


— Je ne suis pas une domestique ! s’offusque-t-elle, les mains sur les hanches. Je suis une apprentie clergesse et Lioran est mon instructeur. Je suis restée longtemps dans le Cœur pour apprendre, c’est pour ça que nous ne nous connaissons pas. Mais nous allons avoir le plaisir de faire connaissance !


Je la scrute, ébahie. Je sais que les clercs sont recrutés très jeunes. Sauf que cette fille empeste la prétention pour son apparent jeune âge. Elle m’est aussitôt antipathique en raison de son ton exagérément enjoué.


— Dans ce cas… amène-moi une vasque d’eau parfumée à la lavande, Mari.


Si la demoiselle offre ses services, autant en profiter jusqu’au bout.


— Vos désirs sont des ordres !


Lioran l’a bien préparée.


Tandis que ses petits pas pressés résonnent sur le pavage et dans le corridor, je me rallonge et enlace mon oreiller. Le retour de mon protecteur me soulage. Il veillera sur moi et empêchera quiconque d’attenter à ma vie. J’espère aussi qu’il pourra m’offrir une solution avant que nous prenions définitivement la fuite pour Torch avec Arvid.


Mais l’écœurement à l’idée que le rémouleur soit retourné chez Devence après nos étreintes ne cesse grossir. S’il l’a fait, c’est pour nous faire gagner un peu de temps, autrement dit une journée de répit avant que la colère de la clergesse ne s’abatte sur lui. Sur nous.


Il n’aurait jamais dû accepter de payer ce prix. Sa décision sonne comme une trahison, tout comme le fait qu’il ait cédé la clé à cette gamine.

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25 commentaires

Le Mas de Gaïa

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Il y a 4 mois

Elle est louche cette Marie. Ça ressemble pas à Arvid de donner les clés à une inconnue.

Mary Lev

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Il y a 5 mois

Arvid a eu raison de retourner voir Devence. Je me sens moins angoissée tout à coup. J’ai hâte de retrouver Lioran. J’espère qu’il va parler de son séjour au cœur. Par contre je me suis fait la réflexion : ça fait un moment qu’on n’entend plus parler de son amie du début (j’ai oublié son nom …) celle qui lui a fait des avances et qui est devenue son ennemie quand elle s’est fait rejeter ? C’est pas qu’elle me manque mais au début j’ai cru que Mari était elle.

clecle

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Il y a 5 mois

Emmelie vit sa vie au Domaine, elle ne fréquente plus Ottilia, ne vient pas la voir. Mais on en entendra parler à nouveau très bientôt.

WildFlower

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Il y a 5 mois

Est-ce vraiment une volonté d'Arvid ou a-t-il été contraint d'une manière ou d'une autre ? 🤔

clecle

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Il y a 5 mois

héhé, tu as raison, les apparences peuvent être trompeuses.

Marie Andree

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Il y a 5 mois

La pauvre, après la tendresse de la nuit, c'est dur de se réveiller seule face à un visage inconnu. Évidemment imaginer Arvid avec Devence la blesse, mais je pense qu'il était obligé de retourner la voir. Je n'ai pas confiance non plus en Lioran !

clecle

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Il y a 5 mois

Arvid est un peu coincé, surtout s'il veut éviter que la colère de Devence s'abatte sur Ottilia 🥺

camillep

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Il y a 5 mois

Ahh mais le pauvre Arvid! Il fait ce qu’il peut 😅

Christelle Emilie

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Il y a 5 mois

Oh non c'était si bien la nuit dernière et voilà qu'au petit matin, ça part de nouveau en sucette 🤦. Arvid aux abonnés absents déja, il va se faire réprimander par Dévence et ça va pas être mignon. Et cette nouvelle clergesse en devenir, je ne la sens pas du tout et le retour de Lioran ne me dit rien qui vaille non plus. 😱 Bref, c'est la cata

clecle

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Il y a 5 mois

Oui 😆 il y a de quoi s'inquiéter un peu, je suis d'accord.
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