Fyctia
19 #Porte-Mors
“Monsieur Minel,
Suite aux vidéos que vous nous avez envoyées, j’ai le plaisir de vous annoncer que vous avez attiré notre attention. Nous aimerions que vous vous présentiez aux prochaines auditions pour Succombe Moi…”
Je n’avais pas besoin de lire la suite. Je savais ce que ça signifiait. Moi, Quentin Minel, allais enfin rejoindre la cour des grands. Hollywood, merde ! Ma putain de consécration ! Mes bras se couvraient de chair-de-poule. J’étais tout excité à cette idée. Le rôle du tueur au regard de velours. Bon, ok, l’histoire est vieille, le film sera certainement tourné en noir et blanc, mais… Il s’annonce comme un renouveau des thrillers historiques, et moi, je pourrais en être le maître. J’en suis l’incarnation parfaite, j’en suis sûr.
“... Cependant, le rôle à pourvoir demande de l’expérience et de la connaissance. Le meilleur jeu sera notre coup de cœur.”
Bordel. Je ne l’avais pas vu venir. En dépit des rôles pitoyables que l’on m’a attribués ces dernières années (comme celui du complice qui meurt dans le premier quart du film), j’ai envie de pleurer. De frapper dans un mur.
C’est sans doute pour ça que je suis là, dans un avion au départ de Paris, direction les États-Unis. Et plus particulièrement la ville de Maddie Reynolds, afin de rencontrer Porte-Bonheur. Une figure que je tiens haute dans mon estime. Nous avons échangé en privé, sur Locked, sur les différentes méthodes d’extraction des dents. Un sujet fascinant, au passage. J’ai rapidement fait le lien avec l’Arracheur, débat qui n’en finit pas dans les médias. Ces derniers m’ont donné la ville, et les images que m’a envoyées Porte-Bonheur sa bijouterie. Tellement con. Tellement stupide.
Au vu de l’engouement que portait l’Amérique, le pays des grands rêves, à cet assassin, je ne pouvais que m’emparer de son succès. Qui sait ? Peut-être qu’il serait le centre du prochain thriller, et que moi je l’amènerais à devenir le meilleur film de tous les temps ? L’excitation est si intense !
Je m’enfonce dans le siège, me laissant sommeiller, bercé par les effluves de ma veste. Ah oui… Cet accessoire indispensable. Je devrais en parler. Je peux pas dormir, merde, je suis trop pressé !
Ma rencontre avec Porte-Manteau ? Un moment inoubliable. Attiré par les chiffres, il ne peut cependant résister à confectionner des vêtements. Des pièces de bon goût. Au détour d’une conversation, il m’a proposé de boire un verre, chocolat chaud parfumé aux noisettes. Le plaisir de toute une enfance. Il a partagé un savoir-faire dans lequel il excelle : la tannerie de peau. Les vestes de cuir humain aux multiples facettes de couleurs. J’adore. Et je n’ai pu m’empêcher de m’y essayer. Sur lui. Et sa peau est d’une douceur incroyable ! Le ton de sa chair est en parfait accord avec mes yeux. Une jouissance.
Je devrais dormir, me reposer. Pour être en forme lorsque je serrerai l’Arracheur dans mes bras, enfouirai mon visage dans son cou. C’est ce que je vais faire.
***
Me voilà. Dans la ville de Maddie, sur le seuil de LA bijouterie. Est-ce que les autres sont déjà venus ici ? Est-ce que je suis le premier à bénéficier de ce privilège ? Dans la vitrine, mon regard bleu électrique qui pétille. Mes cheveux bouclés qui volètent dans le vent. Mon sourire qui croque la vie à pleines dents. Je ressemble à un gamin, ouais. A un foutu gamin en plein extase de recueillir ce qu’il mérite.
Je pousse la porte, découvre une boutique soignée et lumineuse, où trône des meubles couverts de bijoux. De l’or qui rayonne, de l’argent qui m’éblouit, des diamants qui scintillent de milles feux. Et puis, il y a Elles. Attachées pour former des bracelets délicats. Taillées pour servir de pendentifs élégants. Les acheteurs savent-ils qu’il s’agit des dents de leurs voisins, de leurs amis ? Ou bien ne pensent-ils que ce n’est que de l’ivoire, que des dents de requin ou de la défense d’éléphant ?
- Porte-Mors ? C’est toi ?
Perdu dans la beauté que représente ce travail, je ne l’entends pas. En vérité, les consonances de sa voix sont superbes. Lentement, je me retourne, vacillant lorsque je le découvre enfin. L’Arracheur.
Tout juste la trentaine. J’aurais parié un peu plus, à cause de toute cette expérience. A cause de tout ce qu’il a à m’apprendre. Mais il est soigné, élégant dans son costume qui lui va à merveille. Oh ! Il me sourit, me dévoilant une dentition plus que magnifique. Des éclats adamantins. Purs. Innocents. Je rougis, comme un gosse qui n’en peut plus d’attendre. Je voudrais pouvoir parler, pouvoir lui avouer tout ce que je ressens en sa présence.
- Je…. Peux te… Prendre dans… Mes bras ? balbutié-je.
Et sans attendre sa réponse, je m’en fous en vérité, je me jette contre lui. L’enlace avec passion. Impatient de récupérer mon trésor. De gravir un échelon de plus dans les méandres de notre monde. Je crois que je l’étouffe, parce qu’il tente de se dégager, de me repousser. En vain. C’est mon couteau dans la main que je le poignarde, que je le laisse se vider de son sang entre mes bras, qu’il s’éteint paisiblement, les yeux écarquillés - plein de paillettes.
Je l’accompagne dans sa chute vers le sol de la boutique. Regardez-le, ce carrelage, devenu sacré par les flots de sang qui jaillissent de Porte-Bonheur. De l’un des maîtres de Locked.
J’écarte ses lèvres, les effleure. Elles sont si douces. Si accueillantes. Si bien que je suis tout émoustillé à l’idée de caresser ses dents. Son haleine respire la menthe acidulée, la fraîcheur de l’été. Quel plaisir.
Je me relève et trouve rapidement sa mallette, en extirpe le forceps dentaire et le davier. Je me dois de faire vite, ne connaissant pas les avancées de la police sur les dernières heures.
Je retourne à son corps, m’agenouille, prêt à recevoir ma bénédiction, et je commence le travail. L’une de mes œuvres que je considère comme parfaite. Comme un succès émotionnel. Puis, les dents au creux de ma paume, je les emmène dans l’arrière-boutique. Les dépose dans le lavabo, et avec soin, je les brosse. Les lave des traces sanguinolentes. Leurs rends leur opalescence.
Ensuite, je place le corps de l’Arracheur en position fœtale, comme il l’avait fait avec Maddie. Je ne le recouvre pas, je préfère le contempler ainsi. Il ressemble à un ange, à un ange qu’on aurait défiguré, qu’on aurait maltraité. Je sens une larme glisser sur ma joue. Non, je ne suis pas triste, seulement épuisé. Seulement émerveillé.
Soudain, un crissement de pneus se fait entendre dans la rue. Les sirènes l’accompagnent. Sursautant, je ne réfléchis pas un seul instant. Dans un écrin soyeux, je dépose ses dents. Je voulais m’installer sur un tabouret, me préparer pour les sculpter, pour les transformer en l’un des bijoux les plus spectaculaires. Le porter autour de mon cou. Le sentir contre ma peau.
Mais je n’ai pas le temps. La police est venue arrêter l’Arracheur, mettre fin à sa fascinante carrière. Je m’empresse de partir, de m’enfuir pour Hollywood.
10 commentaires
Criminal Minds
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Il y a 8 ans
Bizy
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alexia340
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nawalie
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Valerie27( valeriejchesnay)
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Chlore
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