Fyctia
Chapitre 5
Entre Millie et moi, la réciprocité des orgasmes ne se mesurait pas seulement à nos activités sexuelles. Nos cerveaux aussi étaient sur la même fréquence. Dès qu’elle pensait à quelque chose, je complétais sa réflexion, et inversement. Je pense que c’est pour cette raison que nous nous sommes toujours retrouvés.
Dernier petit bond dans le temps. Nous voilà maintenant à quelques heures avant l’écriture de ce journal…
Je suis planté là, à siroter mon whiskey sec. Je crois bien noyer plus facilement ma solitude en scrutant le contenu du verre qu’en le buvant.
Un père autoritaire et pas très présent, une mère sensible au passé douloureux, qui laissait l’alcool lui chatouiller le gosier au gré des échecs de son existence. Pas de sœur, pas de frère. Voilà sûrement ce qui conduit un type comme moi dans un bar comme celui-ci, au sommet d’un building qui donne l’impression d’être quelqu’un dans ce vaste ensemble qu’est l’univers.
Le serveur, un chauve mal luné, semble vérifier toutes les cinq minutes où j’en suis de ma consommation d’alcool. Sûrement que le rendement avec moi n’est pas top. Je n’y peux rien, c’est comme si j’étais freiné par une sorte de petite voix qui me susurrait qu’il y a de l’espoir, que je ne dois pas baisser les bras. Qu’un jour, je comprendrai d’où me vient ce mal-être constant.
Plutôt que de devoir supporter le regard accusateur du barman, je préfère m’isoler dans un coin de la terrasse, loin de la foule, d’où je pourrais admirer le panorama qui nous est offert (au prix du verre, encore heureux qu’on puisse en profiter gratuitement).
Alors que l’air frais tente de défaire la coupe que j’ai mis dix minutes à perfectionner, histoire de sauver les apparences, je suis interrompu par une sensation étrange. Des frissons se baladent dans mon dos, m’incitant à me tourner la tête.
J’aperçois à quelques mètres une femme seule, vêtue d’une robe bleue magnifique. L’image que renvoie ses courbes est idéal. D’un côté, je n’ai plus envie de cette vie de séduction éphémère et stérile. D’un autre côté, je suis irrémédiablement attirée par ce qu’elle dégage, même si je ne la vois que de trois-quarts. Elle a cette espèce d’aura qui rayonne autour de son être. Je m’approche lentement, d’un pas à la fois hésitant et plein de certitude. À mesure que j’avance, j’admire sa longue chevelure noire et son teint mat.
— Faut pas hésiter, dis-je avec un rictus en coin.
Elle pivote la tête et me sourit amèrement, tandis que je profite de la beauté de ses yeux noisette et de sa bouche en cœur.
— Hésiter à quoi ? demande-t-elle sèchement.
— À se jeter dans le vide.
J’ai un peu forcé le ton narquois à mon goût, ce qui la pousse à partir en secouant la tête, l’air déçu.
— OK OK ! Pardonne-moi ! Je voulais pas que tu le prennes comme ça. C’était pour rire.
Dos à moi, elle marque une pause, puis se retourne en affichant un large sourire. Même ses dents sont blanches et parfaitement alignées. Trouvez-moi les défauts bon sang !
— Moi aussi c’était pour rire crétin ! Tu crois vraiment que je vais me vexer pour un truc pareil. Par contre, faut revoir tes phrases d’accroche en matière de drague.
Quelle actrice ! J’y ai vraiment cru !
Je réfléchis une poignée de secondes, scanne toutes les options dans mon cerveau pendant que le whiskey ne m’a pas encore rongé les neurones et je me dis finalement que la meilleure des solutions, c’est la franchise.
— Ecoute, je sais pas comment te le dire autrement, mais je suis subjugué par ta beauté. Je suis absorbé par ce que tu dégages. Comme si tu étais l’évidence que j’attendais depuis toujours.
Ses yeux brillent de mille feux, ses lèvres sont bloquées sur le mode sourire et j’ai presque l’impression qu’elle tremblote.
— Oh, Jo ! Que c’est bon d’entendre ça !
Jo ?
— Attends, tu sais comment je m’appelle ?
Un brin désemparée, elle s’avance rapidement vers moi pour me coller son visage à deux centimètres du mien.
— Embrasse-moi Jo.
— Mais attends, comment…
Et c’est elle qui m’embrasse pour m’éviter de parler. Je remarque que nos lèvres sont admirablement compatibles. Je pourrais faire ça pendant des heures, des jours, une éternité.
Alors qu’elle retire sa main de ma nuque, elle forme des petites boucles avec ses doigts, me fixe avec intensité et se blottit dans mes bras. Un peu surpris, je l’enlace chaleureusement, voire amoureusement. C’est là qu’elle se repose sur mon épaule et que je suis envahi par le sentiment le plus étrange qui soit. Des flashs rapides, séquencés, viennent percuter mon esprit, ma mémoire.
Deux ans du plus bel amour qui puisse exister sur terre.
L’accident de voiture il y a cinq mois. Le soir même où je devais la demander en mariage. C’était donc pour ça la chemise et la veste de costume.
Oh merde ! Maintenant, j’ai toutes les soirées des cinq mois passés qui s’imbriquent dans ma tête en une seule fois. Mon Dieu, la pauvre ! Ce qu’elle a traversé. Toutes ces soirées à me séduire ou attendre que je la séduise dans l'espoir que je retrouve la mémoire...
Je lui murmure à l’oreille :
— Je me souviens de tout, Millie mon amour…
Sans me lâcher, elle balance sa tête en arrière et reste bouche bée, comme si elle n’y croyait plus. J’acquiesce joyeusement pour lui l’encourager à y croire.
— Oui, je me souviens. Tu es impressionnante de courage mon ange. Tu aurais pu abandonner, mais tu ne l’as pas fait.
— Je n’aurais jamais lâché tant qu’il y avait de l’espoir.
— Mon ange, pardonne-moi, mais je dois partir faire quelque chose en urgence, pendant que ma mémoire fonctionne encore.
— Tu plaisantes là ?
Je souris, l’embrasse sur le front et la rassure.
— Ne t’inquiète pas, attends-moi chez toi et je te rejoins dès que j’ai fini.
Et c’est lorsque je suis arrivé ici que je me suis mis à écrire ce que vous êtes en train de lire. J’ai d’abord cherché la bague, parce que comme un con, en plus de m’être pris un bus ce soir-là, j’avais oublié la bague.
Millie, mon ange, veux-tu m'épouser ? (On ne sait jamais ce peut se passer...)
Je ne m'explique toujours pas cette forme d'amnésie qui nous a malheureusement impacté tous les deux. En revanche, je sais une chose, c'est que nos âmes sont liées, qu'on le veuille ou non. Parce que toutes ces soirées où tu es venue dans ce même bar pleine d'espoir, je t'ai choisi, toi. À chaque fois !
Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais une chose est sûre, on se retrouvera toujours.
C'est ce que moi j'appelle...
L'intrication de nos âmes.
25 commentaires
Marie Andree
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Il y a 9 mois
Jay H.
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Il y a 9 mois
MIMYGEIGNARDE
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Il y a 9 mois
Jay H.
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Il y a 9 mois
Mira Perry
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Il y a 9 mois
clecle
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Jay H.
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Il y a 9 mois