Seb Verdier (Hooper) L’initiation du Ménestrel Faire un choix

Faire un choix

— Vous avez deux options… décréta la Maîtresse. La formule ou… la formule...


Une bonne moitié de l’amphithéâtre rit de ce bon mot.


Maîtresse Tangente, une femme mûre au charme mystérieux, plaisait beaucoup aux élèves, et pas seulement aux garçons. Tout le monde admirait son humour, sa vivacité d'esprit, ses compétences, mais aussi sa belle chevelure sombre, savamment ondulée, qui cascadait agréablement sur ses épaules. Les garçons remarquaient aussi ses courbes (dont son manteau bleu clair masquait à peine la grâce naturelle). Toutefois, ce qui la distinguait surtout c’était la barre de maquillage bleuté qu’elle arborait autour de ses yeux. Soulignant sa maîtrise de la Vue, ce bandeau lui donnait l’impression de porter un masque félin, ce qui accentuait le côté parfois sauvage de son regard perçant.


Debout, sur son estrade, derrière un bureau couvert d’engins de guerre miniaturisés, elle expliquait qu’il y avait deux méthodes pour déterminer avec précision le tir d’une catapulte. La première consistait à retenir des équations d’une complexité largement au-dessus des compétences de l’immense majorité des élèves : des histoires d’accélération, de vitesse, de gravité, d’angle, d’énergie qui se conserve, de frottement, de friction… L’autre consistait à ne faire qu’un avec l’Ether et à utiliser des formules magiques liées au sens de la Vue afin de déterminer le point d’impact précis de l’objet que l’on souhaitait propulser.


La Balance était en transe. Il semblait à l’aise aussi bien d’un côté que de l’autre, utilisant la première méthode pour éprouver les conclusions de l’une, et les résultats de la seconde pour vérifier les calculs de l’autre.


Comme lui, tous ceux qui maîtrisaient la Vue étaient les plus avantagés de même que, dans une moindre mesure, ceux qui avaient des facilités avec le Toucher, devinant certaines réponses à l’avance en jouant avec leurs dons. Les autres ramaient. À l’exception de Diane qui semblait se débrouiller malgré son talent éloigné de ces sens-là. Le Ménestrel, lui, comprit deux ou trois choses fondamentales, alla jusqu’aux multiplications et aux puissances dans un bel effort, mais relâcha toute son attention lorsqu’il fut question de racines, de vecteurs et de fonctions.


Toutefois, à la fin du cours, Maîtresse Tangente lui demanda de rester (ce qui plongea ses camarades dans la perplexité – ou l’envie, car beaucoup auraient bien aimé avoir ce privilège). Elle lui expliqua en quelques mots que, contrairement à ce qu’il pouvait sans doute ressentir dans sa chair, il n’était là que depuis moins d’une semaine. Comme le Ménestrel ne voyait pas où elle voulait en venir, elle eut cette réponse étrange :


— Je vois bien que tu as souvent du mal à voir où les gens veulent en venir…


Comme il fut encore plus perdu que jamais avec cette réponse ambigüe, Tangente donna un petit coup de tête vers le groupe de garçons et de filles qui attendait le Ménestrel à la sortie de l’amphithéâtre, et ajouta : « il y en a, là-bas, qui t’aiment bien… Je suppose que tu n’avais pas remarqué ? »


— Je… je… bégaya-t-il aussitôt en agrandissant ses yeux de confusion. Je ne sais pas. Peut-être…


Mais la Maîtresse secoua ses cheveux comme si elle sortait d’un rêve et reprit le fil de sa pensée :

— Peu importe… Ce que je voulais dire, moi, c’est que personne ne pourrait apprendre aussi vite des choses aussi complexes (et là je parle des formules). Il te reste quelques mois avant les épreuves mais tu n’arriveras jamais à maîtriser les équations, alors voici mon conseil : concentre-toi sur les formules magiques. Je perçois d’ailleurs, chez toi, une certaine facilité à manipuler l’Ether…


— Ah… fut tout ce qu’il put répondre.


— Une sorte de don… lui répondit-elle, le fixant de ses yeux noirs comme la nuit et avec une intensité telle que le Ménestrel n’en avait jamais ressentie auparavant.


Après un instant de silence où elle parut plonger dans ses pensées, elle secoua de nouveau ses cheveux et ajouta, déçue d’elle-même :

— … Mais, même moi, je n’arrive pas à voir si cela sera en bien ou en mal… Curieux…


Praline, qui était revenue sur ses pas et avait entendu les derniers mots de l’échange, glissa à l’oreille du Ménestrel : « Ne t’inquiète pas, ce sera pour le meilleur… J’en suis sûre ! »



Sur le chemin et à la Cantine, le Ménestrel fut bien entendu assailli de questions pour savoir ce que Tangente avait voulu lui dire. Il s’en tira en expliquant qu’elle lui avait conseillé de travailler les formules magiques car il n’aurait jamais le temps d’intégrer les autres.


— À part notre ami la Balance, lança Danseur une fois à table, personne ne le pourrait.


— Pas faux, lâcha Commode.


— C’est vrai que c’est compliqué, renchérit Billy, mais je sens que notre ami ne nous a pas tout dit…


Le Ménestrel rougit. Décidément, avec son sens de l’Odorat hyperdéveloppé, Billy devinait tout.


— Ah, un cachotier ? dit Pétrin, riant et s’attablant en face de lui.


— Bah… Elle a fait des allusions… reprit le Ménestrel, voyant qu’il n’échapperait pas à l’interrogatoire.


— À quoi ? s’enquit aussitôt Millo en souriant.


Comme il était visible que le jeune musicien ne voyait pas bien comment dire des choses que lui-même ne comprenait sans doute pas forcément, Danseur essaya de l’éclairer :

— Attention à Tangente ! Elle a le niveau d’un Mage : elle va d’ailleurs passer les épreuves à la fin de l’année. Ce qu’elle t’a dit est donc important, c’est sûr. Si tu n’as pas bien compris, tu peux nous le dire, on verra si on peut t’aider.


— Elle a parlé… de mon aveuglement… ou quelque chose comme ça…


— De quoi ? firent la plupart de ses camarades, déçus et perplexes à la fois.


— Il paraît que je ne vois pas bien ce qui crève les yeux, surtout avec les gens…


— Ah… reprit Pétrin qui semblait plus expérimenté que les autres dans le domaine des relations humaines. Je crois que je comprends. Si je peux te donner un conseil, c’est que si tu sens que quelqu’un s’intéresse à toi, donne-lui un peu de ton temps. Tu verras… tu comprendras ensuite au fur et à mesure.


— Mais qui s’intéresse à moi ? Je veux dire, en particulier ? demanda le Ménestrel un peu perdu dans ces sous-entendus.


Pétrin donna alors un petit coup de tête sur sa gauche en ajoutant : « regarde, tu vas comprendre ». Le Ménestrel suivit discrètement la direction que son camarade lui avait indiquée : c’était la tablée d’une partie des filles de leur chambrée. Pétrin répéta « tu vas comprendre dans quelques secondes ». Les filles étaient en train de déjeuner. Timide était de dos, Blondine aussi. Mais Praline lui faisait face. Elle le vit et lui adressa aussitôt un petit signe et un sourire. « T’as compris ? » reprit Pétrin.


Le Ménestrel rendit à Praline son sourire, répondit vaguement « Peut-être » et poursuivit son examen de la tablée jusqu’à croiser les yeux de Diane. Il lui fit un sourire identique même si, mais il s’en rendit compte après, elle ne lui avait pas adressé de signe, elle.


— Des fois, y’a rien à comprendre, conclut Billy.



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4 commentaires

Cassiehope

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Il y a 5 mois

Hey merci pour ton soutien !! 😍 Bonne fin de concours ! 🤞

Marie Colençon

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Il y a 5 mois

like de soutien merci pour ton ou tes like je ne sais plus sous mes dernier chapitres
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