Hrod LINH 4 - 4e Lettre de l’avent-suit

4 - 4e Lettre de l’avent-suit

Joanne a déplacé le pot dans un coin, et a rapatrié la petite table ronde à trois pieds au centre de quatre chaises. Gail s’est affairé à couvrir les miroirs de la pièce de foulards et de voiles. J’ai pu remarquer qu’Hannah avait troqué sa tenue de la journée pour une robe violette soignée et qu’elle arborait à présent une croix en or autour de son cou et un bandeau vert pomme dans les cheveux.


Elle a disposé une lampe de chevet assez vieillotte sur la table du salon, non loin de nous. Je m’attendais à ce que l’on dispose des bougies un peu partout et à clore les volets, mais Joanne m’a expliqué que le tout, lors d’une séance de spiritisme, était d’avoir une lumière tamisée. Hannah, qui était celle qui se passionnait le plus pour le sujet entre les deux, est revenue s’asseoir à ma droite.


« En fait, rien nous empêche de le faire en pleine journée, m’a-t-elle dit dans un français accentué, mais on travaille alors… » Elle s’est repositionnée sur sa chaise et elle a soufflé avec un sourire qui trahissait déjà sa pensée : « And it’s more fun lika this. Bouyaa. »


Joanne s’est assise à côté de nous, s’attachant les cheveux, et Gail a remonté ses manches. (Un signe que j’interprétais de suite comme une preuve qu’il ne pouvait rien y cacher.) À l’extérieur, le soleil commençait à tomber. De ma place, j’apercevais par la petite fenêtre de la cuisine la colline d’Arthur’s Seat et son relief vert qui se couvrait de la douceur jaune du crépuscule ; le panorama du salon montrait le versant sud-ouest de Calton Hill et ses vestiges.


Joanne, en accord avec Hannah, a dirigé la séance. Même si Hannah était a priori la spécialiste historique (en prouvait sa bibliothèque qui comportait de nombreux ouvrages d’exception), elles avaient pris toutes les deux l’habitude de faire ainsi. Gail y assistait plutôt régulièrement ; il appréciait ces soirées et se laissait porter par l’ambiance.


D’entrée de jeu, Hannah m’a informé : « On utilise la méthode de la Table tournante, très à la mode à l’époque, peu après 1850 pour l’Écosse. D’ailleurs, c’est littéralement la première mode de l’histoire. Le principe est très simple, tu vas voir : il suffit d’entourer la table (elle me montra), de disposer nos mains dessus, de manière à ce que nos doigts se touchent, et c’est parti… ! »


Gail a allumé la lampe derrière nous, et son faible ampérage a eu du mal à filtrer sa lumière fade ; la quantité de crasse qui s’accumulait sur l’ampoule l’a empêché de répandre sa lueur bien loin, ce qui me laissait perplexe.


Joanne a vu ma réaction et a ri. « Yeah, it doesn’t work much, but that’s good for us. » Une lampe peu efficace : parfait.


Après l’installation, Hannah m’a promulgué un cours historique que je te passerai. Même s’il a été aussi passionnant que la séance elle-même. J’en ai retenu que le spiritisme a gagné l’Angleterre par un médium américain, Douglas Home. La mode venait d’Amérique. Ce qui m’a surpris. En termes de culture, finalement, ce n’était pas spécifiquement du folklore local.

Hannah nous a invités à poser les mains à plat sur le guéridon et à former une chaîne de doigts, homme et femme alternés. Gail était en face de moi, Hannah à ma gauche, et Joanne en contact direct avec moi, à ma droite.


Elle m’a présenté la séance : en tout premier, on ferait le silence. Puis, le calme procuré, on poserait les questions, précises, une par une, la première étant bien évidemment de demander à l’esprit s’il est là. Selon les séances, l’esprit peut mettre du temps à se manifester, dans les quarante-cinq minutes parfois… mais Hannah m’a rassuré et m’a informé qu’avec l’habitude, Joanne arrivait à le convoquer assez vite, en moins de dix minutes. Elles ont porté leur numéro à un si bon niveau qu’elles sont devenues expertes en reconstitution et font des initiations dans les musées, de temps à autre, ou les bibliothèques, pour des petits groupes, avec des petites présentations historiques.


Joanne Houghton a posé ses mains contre la table et la séance a commencé.


Après plusieurs minutes de calme et de silence, la respiration de notre médium est devenue sifflante, puis Joanne s’est adressée clairement à l’esprit potentiel à haute voix, et je me suis dit que si Hannah avait mené l’expérience, il y avait peu de chance qu’un fantôme comprenne son accent d’Aberdeen.


La réponse n’est pas arrivée tout de suite. Mais l’esprit s’est manifesté assez tôt, comme l’avait prédit Hannah ; ça a d’abord été quelques imperceptibles tremblotements de la table, sous nos mains, alors que notre contact avec elle était léger : et dès que j’ai ressenti la vibration, j’ai fait tout mon possible pour ne pas « influencer » son déplacement et rester vraiment inerte.


Et force a été de constater que la table a tourné toute seule d’un cran, dans le sens des aiguilles d’une montre, l’esprit nous indiquant sa présence. Joanne s’est adressé à nouveau à lui et a posé plusieurs questions simples : elle lui a demandé de continuer à faire tourner le guéridon pour répondre, une fois en sens inverse pour la négative, ou bien comme il l’avait déjà fait s’il voulait dire « oui ». Puis, pour les questions nécessitant des réponses plus complexes, Joanne a précisé et lui a demandé de tourner la table d’un cran, une fois pour « A », deux fois pour « B », etc.

Je ne te décrirai pas toute la séance, car elle a été longue. Mais l’expérience m’a complètement emballé ! C’était incroyable ! La table tournait, et dictait, lettre par lettre, les mots : ce qui a pris un certain temps. Elle l’a fait, sous nos yeux stupéfaits et égaillés. YES ou NO étaient les réponses les plus simples (un cran à droite, un cran à gauche). Les réponses aux questions précises nécessitaient d’épeler les mots.


Je n’étais pas sceptique, mais je ne m’attendais pas à autant d’ampleur dans les mouvements de la table, qui pouvaient être démesurés. Même en adhérant, comme beaucoup, à la théorie des micromouvements musculaires que les participants provoqueraient eux-mêmes, l’amplitude, ou la rapidité des réponses m’ont surpris. Plusieurs fois, la table a tourné avec force, si bien qu’en voulant la freiner – pour tester –, je me suis sentis emporté : aussitôt, l’esprit, au lieu de tourner le guéridon, lui a fait frapper le sol et Joanne m’a dit instantanément : « N’essaie pas de l’empêcher de répondre. Il pourrait partir. ». La table a tapé un coup de plus, confirmant ce que venait d’exprimer notre médium.


Il pouvait s’écouler de longs moments entre les réponses, les agitations et les arrêts de la table. De ce fait, la séance a été incroyablement longue, et on a fini à 1 h du matin. Pour te dire.

À la fin de la séance, Joanne a remercié l’esprit, lui a dit au revoir, et l’a congédié gentiment, en douceur. Et on a retiré les mains de la table.


Gail a rallumé la lampe du salon, et Hannah m’a regardé avec un sourire fin et fermé sur ses lèvres...


(... à suivre)

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