Fyctia
3 - 3e Lettre de l’avent-suite
La place de la Halle aux Grains nous attendait à quelques pas au-dehors. On a rejoint la colonne Dupuy et sa fontaine, son angelot doré oublié dans la nuit en haut de son obélisque, coincé entre les commerces et l’immense bâtiment de brique accueillant l’Orchestre national du Capitole de Toulouse.
— J’espère que je ne t’ai pas trop choqué avec mon histoire, m’a dit Linh. Je n’en pouvais plus de les entendre geindre. Ça leur apprendra à écouter les conversations des autres.
— He ben, c’était… hum – inattendu, ai-je dû avouer, avant de partir dans un petit rire cocasse. Je ne sais pas comment tu as fait pour finir ton steak après ça.
— Oh, l’habitude tu sais. Je ne plaisantais pas quand je disais avoir perdu le sommeil après mes premiers cours au sous-sol de la fac.
— Ton histoire… tu l’as vraiment vécue… c’était pas de l’impro ?
Elle a dû lire dans mon regard que je m’inquiétais. Ses yeux m’arrivaient au nez. Et elle m’a embrassé sans répondre. J’étais pris au dépourvu, et je me suis vu reculer légèrement pour lui parler :
— C’est pas pour me rassurer… ça… ça suggère un peu que tu as été la sui…
Linh m’a embrassé de nouveau rapidement pour me faire taire, déposant un baiser d’oiseau sur mes lèvres, puis une nouvelle fois, longuement, fiévreuse, enfonçant ses mains dans mes cheveux. Elle a achevé son baiser par un large sourire et s’est plantée dans mon regard, les yeux grands ouverts. Je n’arrivais plus à penser à rien, comme si elle venait de m’arracher toute idée de ma tête et m’avait totalement sous son emprise. Elle m’a observé, satisfaite de son effet, et s’est blottie contre moi. Ses bras m’ont enserrés la taille.
Après un moment, elle a concédé à me relâcher et s’est redressée, un sourire aux lèvres.
— Je commence tôt demain, je dois y aller. On essaie de se revoir prochainement ? Dans un cadre… plus intime peut-être ? Où on ne sera pas interrompu par des abrutis.
Un frisson me remplissait le ventre. Linh a posé sa main sur mon épaule et m’a mordu la lèvre.
— Allez, je fuis.
Elle a disparu de l’autre côté de la place en quelques pas, dans les lumières des pizzerias et des bars tandis que je la regardais partir, en reprenant mes esprits.
Je me suis senti bien. Heureux et serein. Je suis rentré par le même chemin qu’à l’aller, longeant le canal, sombre et peu éclairé, pour une balade d’une vingtaine de minutes. Remontant le boulevard Matabiau, je remarquais que les planches jetées à la va-vite sur les rectangles creux, à l’ancien emplacement des bancs, donnaient l’impression d’étranges tombes dont les occupants se seraient relevés. Le canal prenait une allure plus sinistre dans la nuit.
Et qu’est-ce que je te disais ? Arrivé dans ma rue, j’ai découvert un immonde échafaudage installé devant la façade de mon immeuble pour refaire le crépi.
Je n’en peux plus de ces travaux… ils s’invitent jusqu’à chez moi. S’ils pensent réussir à cacher les fissures de l’immeuble derrière une nouvelle couche de plâtre…
Mais je me rends compte que cette lettre est bien trop longue. Je te laisserais une note pour que tu la lises le soir d’ailleurs. Si tu la lis le matin, comme chaque fois, tu vas être en retard pour le boulot. Et tu risques d’avaler ton café de travers.
Allez, je te laisse Copine.
RAPH
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