Fyctia
T'aimer
François surgit brusquement, attrapa le serpent et l’écrasa sous sa botte, puis frappa violemment l’homme jusqu’à ce qu’il soit à terre. Il se baissa pour ramasser nos affaires, prit ma main et nous nous mîmes à courir aussi vite et aussi loin que nous pouvions. Mon cœur battait si fort durant cette course que je pensais que le venin du serpent l’atteignait et m’empoisonnait. Je pensais que j’allais mourir, ma main dans la main de François, et qu’il la lâcherait. Mais je ne suis pas morte, en réalité, rien ne m’est arrivé.
Une fois cachés, François me débarrassa de mon écharpe et m’examina avec attention, regarda les morsures une à une, prenait ma température très souvent. Je pensais que j’allais mourir, et pourtant je me sentais en sécurité. Lui aussi s'imaginer me voir périr, mais il ne le disait pas. Nous avons continué à marcher, pensant à la mort, et nous avons marché tellement longtemps que nous avons fini par l’oublier. Après cet évènement, je n’ai plus quitté François. Nous ne nous sommes jamais concertés là-dessus, il ne m’a jamais demandé si je voulais continuer la route avec lui, je ne lui ai jamais demandé la permission de le suivre. Nous avons continué à marcher ensemble car nous pensions que j’allais mourir, et nous avons finalement continué à vivre ensemble.
Ce qui n’a pas changé, c’est que je ne savais jamais où nous allions. Lui, il semblait le savoir, et je ne lui ai jamais posé de questions là-dessus car ça ne m’intéressait pas. Maintenant que j’y repense, je crois qu’il ne savait pas non plus où il allait. Nous avons traversé toute l’Afrique, d’Est en Ouest, comme il le désirait. Puis un jour, nous sommes rentrés. Enfin, nous ne sommes pas vraiment rentrés, car nous n’avions aucun endroit où aller. Il ne pouvait pas se résoudre à revoir ses parents, et je préférais penser que j’étais orpheline plutôt que d’imaginer dans quel état était mon père désormais. De nouveau, nous ne nous sommes pas posé la question de si nous allions nous séparer ou continuer ensemble. Nous nous suivions mutuellement. Nous avons remonté la côte Ouest de l’Afrique, nous avons pris un ferry pour revenir en Europe, et en remontant, doucement, nous sommes arrivés dans une ville, et nous avons décidé d’arrêter de marcher. Plus nous nous rapprochions de la France, plus nous allions lentement. Parfois nous faisions des détours très longs. Une fois la frontière passée, j’avais déjà 20 ans. J’étais partie il y a deux ans, et sur mon dos, le même sac que m’avait préparé mon père, pendait inlassablement.
Lorsque nous sommes arrivés près de Toulouse, nous avons décidé de nous arrêter, pour de bon. Nous étions usés. Avec l’argent qu’il me restait de l’héritage de ma mère, j’ai décidé de louer une petite maison loin de la ville, pour pouvoir nous reposer en attendant de savoir ce que nous devrions faire. Nous y avons passé un an, une année qui est passée terriblement plus vite que celles que nous avions passées à marcher. François avait trouvé un travail grâce à son diplôme, et il me convainc d’essayer de faire des études. L’ironie du sort fit qu’il réussit à me faire entrer à la fac, alors que ce sont ces mêmes contraintes qui l’ont fait fuir de chez lui. Je n’ai jamais su s’il s’était rendu compte du ridicule de cette situation, et je n’ai jamais voulu lui en parler, de crainte qu’il ne culpabilise encore plus.
Je l’aimais. Je l’aimais depuis l’instant où il n’avait été qu’un point au loin dans le désert, depuis qu’il avait passé sa main sur mon front des nuits entières de peur que je le quitte. Je ne l’ai jamais quitté. Il a été patient. Nous nous sommes mis ensemble lors de ma deuxième année d’études, avant cela, nous ne nous étions jamais ne serait-ce qu’embrassés. Encore une fois, nous ne savions pas où nous allions, mais nous étions sur le même chemin, alors nous n’étions pas inquiets.
1 commentaire
Vanessa Covos
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Il y a 10 mois