Fyctia
Chapitre I (1/2)
« Je l’ai abordé.
J’ai cassé notre habitude de nous ignorer.
On ne s’était jamais vu.
J’ai fait un pas. Il m’a aperçue. »
Cheryel, page 1 de leur carnet
Gabriel était levé avant le soleil. Les rayons n’étaient pas encore là qu’il avait les yeux grands ouverts. Il n’était pas fatigué, il avait l’habitude. Comme toujours, il se lèverait, ferait une rapide toilette et partirait travailler. Sans déjeuner, sans même saluer le corps qui était collé au sien. Leurs silhouettes se fondaient l’une dans l’autre. Il les observait toujours sur le mur de son côté du lit. Leurs ombres dévoilées par une lune aussi lumineuse qu’un soleil lui rappelaient ce détail de sa vie. Les habitudes de sa vie. Ces ombres-là se confondaient comme rappel de cet amour qui se devait d’être sempiternel. Il se devait mais, il ne savait plus s’il le désirait.
Depuis des semaines maintenant, il y pensait. Cette réflexion s’était réfugiée dans un coin de son cerveau et ressortait dès qu’il avait un instant de solitude. Et pendant que sa femme dormait, il était bien seul en effet. Il réfléchissait, la main passant sur le vêtement de nuit de sa compagne, distraitement, machinalement. Elle ne s’en rendait même pas compte. A force, des gestes aussi simples qu’étaient les caresses n’étaient juste qu’informations quotidiennes. Elle ne remarquerait que s’il s’arrêtait. Perturbant leur normalité.
Une normalité qui devenait presque une comédie, pourtant il avait peur de devoir la changer. Personne d’autre n’avait autant d’importance qu’elle, il ne regardait pas d’autres femmes, pas mieux les hommes. Oui, son monde, il avait choisi de l’associer uniquement à elle. Il l’aimait. Autant qu’avant ? Il ne pouvait l’assurer, mais il l’aimait.
Cette réflexion se tut pendant qu’il s’apprêtait à aller travailler dans le même schéma continuel. Rien dans le ventre, plus par manque d’envie que de temps. Personne ne le rappellerait à l’ordre, à vingt-huit ans, il était assez grand. Et heureusement.
Il adorait l’air extérieur et croiser des gens qui, comme lui, se rendaient au travail, pressés, ignorant le soleil qui avait enfin daigné les saluer. Il ne pouvait s’empêcher de leur sourire comme salutation. Ignorée, mais il y tenait. Il aimait bien, et au lieu de penser à cette vie qui semblait l’effacer petit à petit, il pouvait réfléchir à celle des autres. Fonctionnaires, commerçants et juste les gens qui se promenaient. Il adorait penser à eux, plutôt qu’à lui. Et c’était d’ailleurs pour cette raison qu’en rentrant dans son café, il puisa un peu pour se sentir heureux. Il lui en fallait peu.
« Tu es en avance Gab, les clients ne se sont même pas encore pointés. Je parie que t’as pas déjeuné encore. »
Il avait vingt-huit ans et était assez grand, certes, mais il ne pouvait échapper à l’attitude paternaliste de son patron qui lui parlait en lui balançant un tablier. Et la grimace qui tordit son visage l’empêcha de donner crédit à l’excuse qu’il décida de sortir.
« Tu sais que je ne raterai surtout pas l’occasion de manger nos délicieux beignets tout juste prêts.
─ A d’autres, à d’autres. Je me demande bien pourquoi Sacha ne te tire pas encore les oreilles pour tout le temps que tu passes avec moi. Franchement, c’est à se demander pourquoi vous êtes mariés. »
Il ne répondit pas, profitant d’un beignet qu’il avait dérobé sous le nez de son bon vieux chef qui secoua la tête. Sacha et lui étaient ensemble parce que, dès leurs années de lycée, ça avait été une évidence. Grâce à elle, il avait pris ses valises et avait accepté que ses parents ne se contenteraient jamais de celui qu’il était. Oui, être avec elle pendant près de dix ans, c’était juste une conséquence certaine de sa destinée. Alors pourquoi quand on lui lançait une pique, il n’arrivait plus à s’en servir pour répliquer ?
« Je pense que c’est parce qu’elle sait que j’ai toujours souhaité de me marier avec toi. Si tu veux me tirer les oreilles, je peux lui demander le divorce sans problème, finit-il par répliquer taquin.
─ Certainement pas, j’ai l’âge d’être ton père. Et puis... Si tu ne veux pas d’une femme comme Sacha, je l’épouse sans problème, moi.
─ Si je comprends bien, tu es trop vieux pour moi mais pas pour elle ? Ta logique est partie aux orties, Carl. Ou alors tu aimes les femmes plus jeunes... Et pour le coup, tu commences sérieusement à me faire peur. Je devrais informer nos jeunes clientes au cas où tu voudrais...
─ Ne dis pas de bêtises, tu vas m’attirer des ennuis. Je voulais juste que tu te rappelles la chance que tu as d’être avec une femme comme la tienne. »
La chance, oui. Il avait de la chance et pour échapper à cette légère remontrance, il rit. Ignorant le regard inquiet de Carl. Il pensait que son attitude étrange, sa manière de regarder dans le vide parfois, de rester trop tard ou de venir trop tôt, était passée inaperçue. Il avait tort, mais personne ne lui demanderait d’en discuter. C’était une passade et on préférait reprocher pour remettre dans le droit chemin. L’écoute n’était que pour les larmes. Et le patron ne poserait aucune question alors que son employé accueillait leur premier client de la journée, un habitué.
La journée se fit alors dans l’oubli des réflexions et elles revinrent seulement quand le travail prit fin. Gabriel était adossé sur le muret en pierre qui donnait sur la grande rivière qui coupait la ville lumière de Othestworld. Il ne la regardait pas, ses pupilles brunes étaient perdues dans le vide dans l’observation des escaliers. Il n’arrivait pas à se détacher de cette impression de n’être plus à sa place. Cette impression qui était là depuis sa première année de vie commune avec Sacha et qui semblait prendre beaucoup trop de parts dans ses réflexions, maintenant au bout de dix ans.
Il n’arrivait pas non plus à comprendre pourquoi il n’arrivait pas à aborder avec elle le sujet, alors que depuis le temps qu’ils se connaissaient, ils n’avaient rien à se cacher. Alors qu’elle lui avait déjà dit qu’elle avait l’impression que leur mariage, leur relation, n’était que la conséquence de leur vie passée et non plus d’une passion partagée. Elle lui avait déjà dit, mais pour elle, ça avait fini par passer. Sans qu’il n’eût réellement à s’impliquer.
Alors oui, peut-être qu’il devait juste attendre de retomber amoureux d’elle, ça viendrait.
1 commentaire
Hajarsbookishworld
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Il y a 2 ans