Fyctia
Shopping
Trois semaines s’étaient écoulées depuis l’incident de la mosquée clandestine. Joe y était tout de même retourné une fois ou deux, de loin seulement, pour observer, mais rien n’avait bougé depuis. Il ne revit plus jamais l’assemblée entrer dans l’immeuble. Il n’avait plus non plus entendu parler de Wen et la police n’avait fait aucun suivi. Le cambriolage était resté sans suite. La mort de Wen n’avait que très brièvement été évoquée dans la presse, qui s’était presque immédiatement désintéressée du cas. Manifestement, les morts accidentelles d'étudiants chinois n’intéressaient personne.
Néanmoins, tout n’avait pas été vain. Joe avait tout de même réussi à se procurer une nouvelle télévision et quelques appareils électroménagers grâce à sa petite arnaque à l’assurance. Le cambriolage avait été l’occasion de faire une fausse déclaration de vol. Il avait acheté pour deux, trois milles euros chez Mediamarkt et avait ensuite modifié les dates sur la facture avec Canva avant de la soumettre à sa compagnie d’assurance, un jeu d’enfant. Personne n’avait vérifié et les flics n’y avaient vu que du feu. Il s’était arrangé pour éviter l’inspecteur Goossens, évidemment.
Lentement, Joe s’était résolu à oublier l’histoire de Wen. Son colocataire Chinois avait été assassiné. Il en était convaincu. Mais si la police ne pouvait rien faire, que pouvait-il faire, lui, piètre petit étudiant et petit délinquant médiocre ? Qui allait le croire ? Et puis, il avait tout de même enquêté, il avait même risqué sa peau en s’introduisant dans une mosquée clandestine. Qui pouvait en dire autant ? Certainement pas les bras cassés du commissariat. Tout cela n’était plus son problème. Il en avait d’ailleurs assez comme ça entre sa copine, ses clients serbes et ses résultats universitaires désastreux.
— A quoi tu penses ? Demanda Géraldine.
— Oh, à rien, mentit Joe.
En réalité, il pensait à beaucoup de choses. Notamment à la dernière fois qu’ils avaient fait l’amour. C’était le matin même. Le soleil était levé mais elle avait demandé qu’on garde les rideaux tirés. Elle avait gardé son haut, au plus grand désespoir de Joe qui adorait toucher la peau de ses gros seins. Cela faisait des années qu’il ne l’avait plus vue réellement nue. Elle faisait des complexes avec son ventre qu’elle ne voulait plus montrer à personne. Il s’était fait une raison et s’estimait heureux de pouvoir partager son corps de temps en temps. Il se rattraperait avec les filles des webcams ce soir. Elles lui donnaient l’excitation qu’il cherchait même si leurs interactions manquaient de sincérité. Sur Chaturbate, il pouvait se laisser aller à toutes ses envies, se faire servir ses fantasmes pour quelques euros, sans réellement participer, il n’allumait jamais sa webcam. C’est probablement cette oisiveté sexuelle qui faisait de lui un piètre amant. Par écrans interposés, elles lui diraient des tas de saloperies et elles s’enfonceraient des tas de trucs en plastique dans les orifices. Ce qu’il n’avait jamais osé demander à Géraldine. Il n’aurait jamais bravé l’interdit de payer des escorts non plus. Il préférait, comme presque tout dans sa vie, rester à distance d’écran. Sur les cinquantaines d'hôtesses virtuelles qu’il avait rencontrées, trois peut-être avaient été si non sincères, au moins amicales et avaient pris la peine de le mettre à l’aise et de le draguer un petit peu avant de se mettre à geindre son nom en se triturant la chatte.
— Tu ne veux pas essayer cette chemise ? demanda Géraldine enjouée. Elle t’ira bien. Faut quand même que tu sois présentable pour ton interview.
Il tenait sur son avant-bras un costume anthracite en laine sur un cintre. Le couple se trouvait à l’Esplanade, le centre commercial de la ville, seule option pour la petite bourgeoisie provinciale du coin, qui venait -surtout le week-end- acheter des abat-jours et des bijoux fantaisies populaires sur Instagram. Faire les boutiques était l’activité préférée de Géraldine. Joe, en parfait mufle, détestait ça. Mais il s’était laissé convaincre pour se changer les idées, surtout aussi pour l’amadouer. Il n’avait aucune intention de passer un entretien d’embauche avec le père de Géraldine, à l’agence de la banque néerlandaise ING de La Hulpe et encore moins d’y travailler.
— Allez d’accord, je vais aussi essayer celle-ci qui me plaît bien.
Mentir était si facile, pensa Joe. Suffisait-il vraiment de servir aux gens ce qu’ils voulaient entendre ? Où fallait-il être deux pour triompher dans la tromperie ?
Après avoir acheté les vêtements, les deux amoureux flânèrent dans la galerie marchande. Ils allèrent chez “Nature et Découverte” et fantasmèrent sur le voyage en Indonésie qu’ils se promettaient depuis des années. Faire du shopping était un sursis pour Géraldine, elle savait que la vraie vie et les déceptions réapparaitraient une fois passées les portes automatiques du centre commercial. Pour se consoler et se donner du courage avant de repartir, elle se fit acheter un smoothie bien trop sucré et bien trop cher. Finalement, elle décida de prolonger son plaisir et essaya d'amener Joe chez Zara. C’est à ce moment qu’il décida d’aller aux toilettes.
— Je dois pisser, prends ton temps je te retrouve après, lui dit-il.
Il poussa la porte des toilettes et s’approcha de l’urinoir au fond de la rangée. Un grand gaillard en veste en cuir entra derrière lui et s'installa à l’urinoir de droite. Joe défit sa braguette et commença à uriner. Soudain le géant s’adressa à lui :
— On se connaît, non ? Demanda le géant, goguenard.
— Non, je ne crois pas, répondit Joe, gêné.
— Mais si, mais si. En tout cas, tu connais mes potes, insista l’homme.
— Non, vraiment… vous devez confondre.
— Oh lala… tu me vouvoies en plus. Dardan, ça ne te dit rien ?
Joe écarquilla les yeux. Oh putain les télés, la dette, le colis est toujours en route.
Le type lui fracassa le visage contre la chasse en métal de l'urinoir. Joe se mit à pisser du sang, le nez cassé.
— Bon, je ne dois pas te faire un dessin. On m’envoie pour que tu paies ta dette. Tu ne comptais tout de même pas t’en tirer comme ça ?
— Non, non, je te jure qu’il y eu un problème. Il avait posé un genou sur le sol et lui montrait les paumes de ses mains, il sentait le sang chaud couler dans le fond de sa gorge.
— Un problème ?
Il lui colla encore une droite et une gauche dans la figure. Et puis lui passa un téléphone.
— Allo ? C’était ton meilleur pote, dit la voix de Dardan au téléphone. Écoute-moi bien, lui dit le Serbe. T’as deux jours pour nous payer les vingt mille que je t’ai avancés. Dans deux jours je reviens te casser les jambes moi-même et puis je m’occuperai personnellement de la petite blondasse qui t’accompagne. T’as compris ?
— C’était dix mille, non ? Demanda Joe.
— Les intérêts de retard, mon grand, on ne t’apprends pas l’économie dans ta prestigieuse université ?
— C’est bon, je te paierai. Je te le jure, supplia Joe.
— Allez c’est bien petit. Va bosser. Quarante-huit heures. Le serbe raccrocha.
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Patrick de Tomas
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Il y a 9 jours
LUCAS
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Il y a 16 jours
NohGoa
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Il y a 24 jours
Amphitrite
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Il y a 25 jours