Jeanne F. Roulez jeunesse ! Nathan

Nathan

Comme annoncé, les douches sont désertes.

Je m’installe alors sous le pommeau et commence à me savonner, à l’affût du moindre bruit. Après quelques minutes, je réalise que je me fais du souci pour rien. Cette nuit est assurément très calme, et la plupart des vacanciers doivent être déjà couchés.

Cette journée est certainement la plus folle que j’ai vécue. Et pour cause, Jo et Mamilie ont fait fort cette fois-ci.

Ce matin, je suis partie heureuse mais un peu angoissée à la perspective de cette aventure. Une fois arrivée sur la plage, je me suis sentie libre. Un véritable sentiment d’allégresse a traversé mon cœur. En revanche, la fin d’après-midi a été catastrophique.

Au souvenir de mon altercation avec les trois culs nus à la réception, je souris. Je devais avoir l’air ridicule avec mon air outragé.

N’empêche… Un camping naturiste. Elles m’auront tout fait !

Je lève les bras au-dessus de ma tête et laisse l’eau couler sur mon corps. Je soupire d’aise tout en me demandant comment je vais bien pouvoir survivre à tout cela. Heureusement que Céline est là. La sentir si heureuse en arrivant, et surtout, constater qu’elle redevenait la petite fille insouciante et curieuse d’avant m’a fait un bien fou. Pour elle, je pourrais faire n’importe quoi. Comme vivre deux mois ici…

Je respire à fond et, comme souvent dans les moments graves, crée une liste dans ma tête que je nomme « Guide de survie chez les culs nus ».

1. Rester le moins de temps possible au sein du camping. Soit, privilégier la plage et des visites de la région.

2. Acheter des paréos. Esprit de résistance oblige.

3. Passer le temps en rattrapant mon retard dans mes diverses lectures en cours. Opération liseuse sous les pins, puisque la piscine m’est interdite.

Bon… finalement, ce n'est pas si terrible.

Quoique… mince ! J’ai oublié nos voisins. Comment les gérer, ceux-là ? Peut-être en les ignorant, tout simplement. Si je ne fais pas attention à eux, j’ose espérer qu’ils ne feront pas attention à moi.

En ce début de mois de juillet, j’accueille avec plaisir le petit vent qui souffle et me fait frissonner. Les quelques bruits inconnus autour de moi, et surtout, l’interdit de se faire surprendre me rendent toute chose, il faut l’avouer. J’ai l’impression d’avoir été propulsée dans un film d’aventure. Vous voyez Indiana Jones ? Vous savez, ce héros affublé d’un chapeau et d’un lasso qui combat sans mal les pires méchants de l’univers ?

Bon, soit, nos situations sont quelque peu différentes. Moi, de mon côté, c’est le manque de pudeur que je combats, armée d’un maillot de bain une pièce et de mon gel douche aux fruits rouges. Une chose est sûre : les vilains culs nus n’ont qu’à bien se tenir.

Une fois propre, je m’entoure de ma serviette, range mes affaires sales dans un petit sac en toile et me pose devant le petit miroir installé là. En une seule journée, ma peau a pris une douce teinte rosée. On dirait que le Sud me fait du bien. J’ai même l’impression que mes yeux verts brillent d'un éclat nouveau.

Je me regarde de haut en bas, étonnée d’apprécier pour la première fois ce que je vois. Avec une légère appréhension, j’ouvre délicatement ma serviette et me reluque plus intimement. Une chose me saute aux yeux. J'ai encore perdu du poids. Beaucoup.

Je pivote d'un côté, puis de l'autre, et soupire de soulagement en constatant que mes fesses, elles, ont toujours leur jolie forme. Même si j’ai considérablement dégonflé du ventre depuis ma grossesse, il reste ce petit renflement qui me rappelle ma cohabitation avec Céline.

Je ne suis pas fan de mon corps. Et surtout, je ne veux plus jamais le montrer à qui que ce soit d’autre que Nathan. Ce serait comme le trahir.

À l’époque de notre mariage, j'étais un peu plus rondelette qu’aujourd’hui. Lui adorait ça. Moi, beaucoup moins. C’est après sa mort que j’ai commencé à fondre. Mes côtes sont devenues de plus en plus visibles sous ma peau laiteuse. C’était probablement la période la plus difficile de ma vie. J’ai eu du mal à remonter la pente.

Après quelques mois, j’étais fatiguée d’entendre Jo et Eva s’inquiéter pour mon état de santé et j’avais surtout peur de donner de mauvaises idées à Céline qui, elle aussi, réduisait instinctivement les portions de ses repas.

Alors, j'ai repris un peu de poids. Doucement mais sûrement. Kilo après kilo. Je ne suis pas encore arrivée à la forme que j’aimerais, mais je continue mes efforts.

Je referme la serviette sur moi en souriant à mon reflet. Ce soir, je ne veux que du positif. Je penserai aux kilos que je veux gagner plus tard !

La nuit est si douce que je décide de faire le grand tour pour rentrer. Je longe la corniche et passe devant la piscine, couverte à cette heure-ci. Plus loin, les eaux de l’étang sont noires et donnent au lieu un côté lugubre. En fond sonore, les grenouilles n’ont pas fini de faire entendre leurs voix. Des milliers d’insectes fourmillent autour des rares lampadaires qui éclairent le chemin.

Un feu de camp entre les roseaux attire mon regard. Je m’approche et me penche sur les rambardes. Les flammes dansent de joie, et, autour d’elles, s’agglutinent une dizaine de personnes. J’apprécie la musique douce jouée par l’un des vacanciers, une guitare à la main.

Il me faut plisser les yeux pour reconnaître le musicien qui gratte les cordes et chantonne pour un auditoire en totale admiration : c’est mon petit voisin blond. Je cherche des yeux les autres membres de sa clique. Le grand tatoué est de la fête, un petit garçon sur les genoux et une femme agrippée à son bras. En revanche, aucun signe de l’homme-reptile aux yeux noirs. Le fameux Antoine.

Toutes les personnes présentes sur les lieux sont en bonnes compagnies, collées-serrées, en amoureux. Je les fixe, un peu nostalgique de cette époque où, moi aussi, je me sentais aimée et protégée.

J’essaie de me rappeler ce que cela faisait d’avoir les bras de Nathan autour de moi. Je ferme les yeux et imagine sa peau effleurer la mienne, son souffle chaud me frôler le cou, ses lèvres glisser sur ma bouche… Je frissonne.

Mon cœur se serre à l’idée que cela n’arrivera plus jamais. Cette pensée me donne la sensation de tomber dans le vide. J’ai de nouveau l’estomac noué. Pour retenir mes larmes, je ferme les yeux et tente d’oublier la douleur. Mais, inéluctablement, le froid de la nuit efface cette sensation de douceur que lui seul savait m’apporter.

Plus le temps passe, et plus le souvenir de mon mari disparaît. Cela me fait peur. Je ne veux pas oublier Nathan. J’aimerais le garder avec moi jusqu’à la fin de ma vie. Il serait si doux de le rejoindre, de fermer les yeux pour toujours et garder à jamais ses bras autour de moi. Mais c’est impossible. Je ne peux pas me permettre d’abandonner Céline.

Son visage angélique apparaît dans mon esprit, souriant et plein de confiance. La gorge serrée, je murmure d’une voix étranglée par la souffrance :

— Reste avec moi, Nathan. Je t’en prie. Ne pars pas encore. J’ai besoin de toi.

Mes paroles ne trouvent aucun écho.

J’ai pourtant ce besoin viscéral de lui parler à voix haute. Comme s’il pouvait m’entendre de là-haut.

En contrebas, un couple heureux émerge de derrière les roseaux. Je reconnais alors Antoine. Il tient par les épaules une jolie fille qui glousse, façon volaille.

Mais qu’est-ce qu’ils fichaient tous les deux dans les roseaux ?

Tu devrais t’en douter, ma belle…

— Ah ! Tu es de retour, toi ! Et pour me dire cela ? Je te jure, Nathan, parfois, tu ferais mieux de te taire. Maintenant, j’ai des images pas très catholiques dans la tête.

Je n’arrive pas à détourner les yeux du couple qui avance vers le feu de camp. Elle est blonde, magnifique. Lui est grand, imposant. Je n’avais pas encore eu le temps de bien le détailler jusqu’à présent. Il est bronzé, comme ses deux acolytes. Et ses cheveux bruns portent les traces du soleil et de la mer. Vu sa musculature, il s’agit assurément d’un sportif.

Ce type respire l’aventure, les grands espaces et l’interdit. Tout le contraire de Nathan, qui était gendarme et qui respectait les règles à la lettre. L’homme de ma vie est mort dans l’exercice de ses fonctions, à moto.

Une colère sourde me prend aux tripes, comme toujours lorsque je repense à l’accident.

Je serre les poings en continuant de fixer mon voisin de tente.

Brusquement, ce dernier relève la tête, et nos regards s’accrochent. Je n’arrive pas à détourner les yeux. C’est étrange à dire, mais cet homme me déstabilise. Il me trouble autant qu’il me fascine.

La blonde à son bras le tire par la main pour le faire asseoir, rompant notre lien invisible par la même occasion. J’ai un pincement au cœur que je ne saurais expliquer lorsqu’elle se plante entre ses jambes et se love dans ses bras.

Qu’est-ce qu’il m’arrive ?

Nathan est le seul homme qui compte dans ma vie. Personne ne pourra le remplacer. Et surtout pas cet hidalgo des roseaux. Je suppose que la fatigue me fait divaguer.

Je me détourne alors avec cette impression singulière de ne pas être à ma place ici. Comme si j’avais dix ans de plus. Dix ans de trop. Je ne suis plus en phase avec la réalité. Et je sais à quoi c’est dû.

Quand Nathan est mort, un bout de moi a disparu avec lui. Pourtant, quand je regarde ce feu de camp qui crépite au loin, avec toute cette vie qui grouille autour, mon cœur me crie de lâcher prise, de vivre de nouvelles aventures.

C’est ma tête qui n’est pas encore prête pour tout cela. Je pense qu’elle a encore besoin de temps. Du temps avec Nathan.


Ce soir-là, je me couche en me recroquevillant sur moi-même et en pleurant doucement. J’expulse cette journée de mon corps de la seule façon que je sache le faire avant de m’endormir paisiblement, le sourire de mon époux gravé dans la mémoire.

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22 commentaires

pauline12110

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Il y a 7 ans

J adore !!!

Elicec

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Il y a 7 ans

Roh j'adore la tournure humoristique de l'histoire du camping ;) bien joué je m'en serai pas douté une seule seconde ! J'aime beaucoup ton personnage principal et son franc parlé ;)

Catherine kakine

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Il y a 7 ans

Comme se faite remarqué ... Et bien on lit ton chapitre et c'est l'explosion de rire

FeizaBabouche

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Il y a 7 ans

Mdrr elles abusent quand même ! Moi je le dis Céline va perdre son innocence plus tôt que prévu ^^

Lana.M

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Il y a 7 ans

Mdr j'aurai pas aimé non plus

Alyana Astrin

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Il y a 7 ans

Oh mon dieu. Les garces ! J'ai rigolé toute seule à la lecture et j'ai dérangé ma propre grand mère tranquillement assise devant la télé. Je les aurais déjà étripé ! Très contente d'avoir repris ma lecture, rien que pour cette scène !!! xP

Jeanne F.

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Il y a 7 ans

Oui, elle aura le temps de si habituer !

Tiltou

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Il y a 7 ans

Et elle y est pour 2 mois

Jeanne F.

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Il y a 7 ans

Merci.

paul geister

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Il y a 7 ans

franchement excellent le coup des naturistes et l arrivée est très bien décrite. on s y croirait.
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