Fyctia

Mava courait en direction du cri. Dans la faible lumière des lampadaires, une silhouette était roulée en boule. Mava s’accroupit près du corps qui tremblait.

— Ça va ? s’enquit-elle.

De faibles gémissements lui répondirent. Elle tira sur l’épaule à sa portée pour mettre le visage de l’inconnu sous la lumière. Son visage se ferma en découvrant Vald. Cet imbécile ne manquait jamais une occasion de les railler. Mava fut bien forcée de constater qu’il avait besoin d’aide. Une tâche sombre s’étalait sur son flanc et les manches de sa tunique étaient déchirées.

— Tu as été attaqué ? demanda-t-elle au garçon.

Le bruit d’une course fit sursauter Mava. L’agresseur revenait-il à la charge ? Elle tira de sa ceinture un poignard à la lame courte. Les contours de la haute silhouette bossue de Jorda se dessinèrent dans le halo du lampadaire. Soulagée, Mava rangea son arme.

— Merde alors ! lâcha Jorda qui fixait Vald. Mon gars, y t’es arrivé quoi ?

Jorda n'était pas le couteau le plus aiguisé du tiroir.

— C’est toi qui l’a mis dans c’t’état ? s’insurgea-t-il de son élocution grossière.

La jeune fille recula d’instinct. La silhouette biscornue de Jorda projetait son ombre sur elle.

— Non, ça n’est pas moi, se défendit-elle, prête à parer un coup.

Jorda la fixa de ses petits yeux. Son front bombé se plissa sous les quelques mèches filasses qui le couvraient.

— Tu n’perds rien pour attendre, grommela-t-il.

Il se pencha et passa le bras valide de Vald par-dessus son épaule. Il voulut le mettre sur ses pieds, mais Vald se mit aussitôt à hurler.

— Tu lui fais mal ! s’insurgea Mava.

— J’le vois bien idiote ! cria-t-il pour couvrir la plainte de Vald. Mais on va pas l’laisser là !

Mava craignait qu’ils ne restent plus longtemps à découvert. Ils transportèrent tant bien que mal le garçon à l’intérieur du silo. Leurs pas résonnèrent sur les grilles d'acier. Ils déposèrent Vald près du rebord en ciment. La douleur dans les reins de la jeune fille s’était réveillée. Elle plaça ses mains dans le bas de son dos et se cambra. Ses yeux passèrent sur les centaines de casiers de stockage, vides depuis longtemps. À travers le toit percé, l’on distinguait quelques étoiles solitaires. Onelle s'approcha de Mava. Ses grands yeux se trouvaient rivés sur Jorda, qui braillait sur un Vald inconscient. Dorah, un garçon chétif, avec un bec de lièvre, intima à Jorda de la fermer.

— Mais y veut pas m’dire c’qui lui est arrivé ! s’offusqua Jorda.

— Tu vois bien qu’il peut pas te répondre, crétin, lui répondit Dorah de sa voix nasillarde.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? souffla Onelle à Mava, inquiète.

— Je n’en sais pas plus que toi.

Le visage fermé, Mava jouait de nouveau avec le collier dans sa poche, mais l’heure n’était plus à l’échange d’offrande.

— Tu crois que c’est un mort-la-faim ?

Mava opina du chef. Les yeux d’ambre d’Onelle s’agrandirent. Elle se tourna vers Bard, resté en retrait. Le garçon ne disait rien, comme à son habitude, mais observait le blessé avec intensité.

Il dépassa Jorda et Dorah, occupés à se chamailler, et s’accroupit près de Vald. Les deux adolescents cessèrent de s’invectiver et reportèrent leur attention sur Bard.

— Aide-moi à enlever sa tunique, il faut que l’on puisse voir ce qu’il a, dit-il à l’attention d’Onelle.

La future guérisseuse s’activa aussitôt. Elle noua ses cheveux fins en une queue de cheval et prit place de l’autre côté de Vald. Avec des gestes prudents, ils retirèrent le vêtement. Le front de Vald se couvrait de sueur et ses tremblements s'intensifiaient.

— Il est brûlant de fièvre, constata Onelle en posant une main sur son front.

— Apporte de la lumière par là, veux-tu ? demanda Bard à Jorda.

De mauvaise grâce, le gaillard rapprocha plusieurs lampes à huile et éclaira le flanc de Vald. Le petit groupe poussa une exclamation horrifiée. Du sang coulait de la plaie en grande quantité.

— Je ne vais pas pouvoir recoudre ça, murmura Onelle, dont le visage avait blanchi.

Elle déchira une large bande de la tunique de Vald et fit pression sur la plaie.

— Ça calmera un peu l’hémorragie, mais ça ne suffira pas, informa-t-elle. Je n’ai rien pour désinfecter…

Elle chercha des yeux une quelconque bouteille d’alcool, mais Jorda ne semblait pas enclin à gaspiller de sa précieuse monnaie d’échange. Il fit mine de n’avoir rien entendu et regarda ailleurs.

— Il faut aller chercher les adultes, décida Bard.

Il se releva et se dirigea d’un pas décidé vers l’entrée du silo. Dorah le suivit, tandis que Jorda s’éloignait pour cacher ses bouteilles. Onelle lui jeta un regard noir. Dès que Jorda eut disparu à la poursuite des autres garçons, Mava se mit à inspecter les environs. Elle revint avec des torchons, un seau d'eau et une bouteille d'alcool dénichés ça et là.

Onelle déboucha la bouteille d’alcool. Mava tint les épaules de Vald tandis qu'Onelle désinfectait les plaies. Le garçon se mit à s’agiter tel un poisson hors de l’eau. Elles peinèrent à le maintenir tranquille. Le pic de douleur passé, ses forces l'abandonnèrent et il demeura inerte.

— Son pouls est faible, fit remarquer Onelle, deux doigts sur sa carotide.

Mava se laissa tomber en arrière, essouflée. Elle ramena ses cheveux au carré derrière ses oreilles.

— Toi qui voulais embrasser Bard ce soir, dit-elle avec un rire nerveux.

— Ne m'en parle pas... soupira Onelle.

Elle épongeait les balafres sur les bras de Bard et sa respiration était de plus en plus saccadée.

— Tu veux aller prendre l’air ? proposa Mava.

— Non, ça va, je verrai pire dans ma carrière.

Mava sourit, Onelle ferait une excellente guérisseuse, malgré ses problèmes respiratoires. Son état de santé se maintenait grâce aux soins de Coutrène. La vieille femme avait fait naître chez Onelle l’envie de devenir guérisseuse à son tour.

Elle fut saisie d’une quinte de toux. Pantelante, elle s'assit près de Mava et sa tête trouva l’épaule de son amie.

— C’est ce qui s’appelle se tuer à la tâche, ironisa Mava.

Onelle eut un petit rire et se remit à tousser. Elle plaqua sa main sur sa bouche pour couvrir sa toux.

— Tu dois respirer profondément, c’est ce qu’a dit Coutrène, rappela Mava.

Elles firent l’exercice en miroir. Le calme de Mava s’imposa à Onelle, qui retrouva bientôt la parole.

— Je m’en veux, avoua-t-elle. Tout à l’heure, quand il est arrivé, je n’ai pas su réagir. J'aurais dû prendre les devants.

Mava ressentit un pincement au cœur.

— Ne soit pas si dure avec toi-même. Tu débutes, ça ira de mieux en mieux.

Onelle sourit et s’intéressa de nouveau au blessé. Les yeux de Vald restaient clos. Onelle imbiba le torchon d’eau fraîche et épongea la peau grêlée. Elle verrouillait dans son cœur le dégoût que lui inspirait Vald. Difficile de croire que ce garçon si méchant se retrouva à la merci de ses bons soins. Onelle entendit Mava se relever. Des éclats de voix indiquaient le retour des autres avec les renforts.