Fyctia
Chapitre 7 - Partie 5
La soubrette les guida vers la dernière porte, qui donnait sur une cour intérieure, à ciel ouvert. Vaste et seulement éclairée par le clair de lune, elle était loin de la courette en terre battue que les jumelles avaient vue à Istria. Cet espace-là était savamment aménagé en zones quadrillées, chacune dédiée à une culture différente. Il y avait des arbres fruitiers, des légumes et toute une partie réservée aux racines. Certaines parcelles étaient vides et semblaient en jachère.
Cet immense espace était délimité par une succession d’habitations qui formaient une grande construction en demi-cercle. Haute de deux étages environ, elle prenait naissance de chaque côté du bâtiment principal et se poursuivait en arrondi, semblable à l’anneau d’une alliance. Ces logements abritaient visiblement les domestiques et les paysans. Aux fenêtres, on se pressait pour les voir. Le long des allées, de nombreuses personnes, sobrement vêtues, s’affairaient autour du potager. La population était diversifiée, mais chaque habitant semblait avoir à cœur de participer à l’effort collectif. Ainsi, personnes âgées et enfants se retrouvaient au coude à coude, les genoux dans la terre, à arroser leurs précieuses plantations.
— Nous cultivons nous-même la quasi-totalité des fruits et légumes, annonça Mary d’une voix qui n’était pas exempte de fierté. Vous noterez que, pendant la journée, les cultures peuvent bénéficier de toute la lumière nécessaire tandis que nous avons tout loisir de les récolter la nuit.
Le petit groupe traversa les chemins en terre au hasard, des regards curieux les scrutant de toutes parts. Les deux sœurs étaient fascinées par l’organisation de cette petite communauté qui vivait quasiment en autarcie. Will en avait la gorge serrée. Plus elle regardait autour d’elle, plus elle constatait à quel point les habitants d’Azilone étaient nombreux. Cet endroit paraissait vraiment important pour leur peuple. Elle n’osait penser à ce qui arriverait si un ouragan se déchainait dans la région… Plus qu’une simple maison, ces murs de pierres épais et ces fenêtres aux volets protecteurs leur permettaient de survivre. Pendant un instant, elle observa, le cœur gros, une petite fille qui essayait de sortir une carotte de terre en tirant de toutes ses forces sur les feuilles, tout en veillant à ce que son doudou ne touche pas le sol humide.
— Vous n’entretenez pas de bétail ? questionna Alex alors que la gouvernante les entrainait déjà dans une autre direction.
— À part des chevaux, ce serait impossible, répondit Mary, un peu gênée. Dans l’enceinte du château, des ruminants auraient tôt fait de brouter nos plants de légumes, et à l’extérieur, leur présence risquerait d’attirer des chatrix.
Alors que le trio regagnait le bâtiment principal, les deux sœurs s’échangèrent un regard perdu.
— Des chatrix ? répéta Willow.
Leur gouvernante n’eut pas l’air de remarquer leur trouble, poursuivant son chemin d’un pas vif.
— C’est comme ça que nous appelons les habitants d’Istria quand ils se transforment. Ils sont vraiment effrayants. D’ailleurs, peu d’entre nous osent quitter le château la nuit à cause d’eux.
Will déglutit avec peine. Elle-même avait failli être confrontée à l’une de ces bêtes sauvages, et elle concevait aisément la menace que représentait l’autre peuple quand la nuit venait à tomber.
— Mais alors, le soleil vous empêche de sortir pendant la journée, et le soir, les chatrix vous obligent à rester dans le château ? réalisa-t-elle avec horreur.
Pour la première fois, Mary remarqua sa détresse et ralentit le rythme pour pouvoir adresser à la jeune femme un regard compatissant.
— Ne faites pas ces mines déconfites, dit-elle avec douceur. Notre peuple préfère rester prudent, mais la plupart du temps, les chatrix ne dépassent pas les frontières de la forêt.
Alex et Will n’ajoutèrent rien, digérant simplement ces nouvelles informations. Les trois femmes gagnèrent l’extérieur du château pour aller visiter les jardins. Ils étaient absolument magnifiques, et de toute évidence, superbement entretenus. Les buissons et les massifs de fleurs formaient de jolies arabesques qui entouraient une fontaine grandiose. Non loin de là, on pouvait apercevoir les écuries où plusieurs palefreniers s’affairaient pour nourrir les chevaux. Contrairement au château d’Istria, il n’y avait aucune trace de remparts ou de pont-levis, et derrière les rangées de haies bien taillées, les collines s’étendaient à perte de vue.
Le reste de la nuit s’écoula à toute vitesse. Mary avait fait crapahuter les jumelles tout le temps qu’elles avaient passé ensemble. Si les deux sœurs pouvaient à présent prétendre connaitre le château par cœur, s’y déplacer en toute liberté paraissait compliqué si l’on considérait les dizaines de paires d’yeux constamment posées sur elles.
— Bien, Mesdemoiselles, déclara la gouvernante alors que la nuit touchait presque à sa fin. Je vais devoir vous fausser compagnie. Ils vont manquer de bras pour fermer les fenêtres avec tout ce qu’il y a à faire en cuisine. Je vous laisse, mais surtout, pas de bêtises, compris ?
À ces mots, la soubrette disparut, non sans leur avoir lancé un dernier regard inquiet. Malgré cette indépendance nouvellement retrouvée, les jumelles n’eurent pas le cœur à participer au diner. D’un commun accord, elles remontèrent dans leur chambre en sentant la fatigue les gagner. Toutes deux avaient la désagréable sensation que la liberté qu’on leur offrait ici était une maigre compensation en comparaison de la vie à laquelle elles devaient renoncer.
Cette visite avait laissé à Willow un goût amer dans la bouche. Les images de ce peuple travaillant la terre, des enfants à la pâleur anormale qui n’avaient jamais vu le soleil, des regards envieux des personnes âgées devant le teint hâlé de sa sœur, la hantaient. Elle se sentait triste pour ces gens, si fragiles, pour qui la moindre fenêtre mal fermée pouvait être synonyme d’une mort certaine... Sans doute son envie de partir se serait-elle faite moins présente si elle avait effectivement su comment les aider...
Alex, quant à elle, était loin d’être aussi sentimentale. Ce nouveau monde plein de mystères suscitait son intérêt et sa curiosité. Les explications qu’elle avait obtenues aujourd’hui ne lui suffisaient pas. Même si ce peuple paraissait pacifiste, une part d’elle lui intimait la méfiance. Emrick avait beau avoir l’air d’un roi magnanime, quelque chose l’empêchait de lui accorder totalement sa confiance.
Les deux femmes étaient pleines de sentiments contradictoires. Pourtant, sans se concerter, et peut-être à cause du lien particulier qui unit une jumelle à sa sœur, toutes deux sentaient bien, au fond, qu’on ne leur avait pas tout dit sur le rôle qu’elles auraient à jouer dans la suppression de cette malédiction...
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Merci d'avoir lu cette histoire !
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À très vite,
Fleur-de-pluie
6 commentaires
T_linda
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Il y a 2 ans
Fleur-de-pluie
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Il y a 2 ans
T_linda
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Il y a 2 ans
Fleur-de-pluie
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Il y a 2 ans
clecle
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Il y a 2 ans
Fleur-de-pluie
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Il y a 2 ans