Fyctia
Chapitre 28 - Fleur Sauvage
Je tire les rideaux sur un ciel d’un bleu éclatant, et tout à coup, l’univers me semble plus vaste, plus grand que mes rêves les plus fous. Le monde ne m’avait montré qu’une fraction de ses merveilles. Le soleil, que je n’avais connu que dans les légendes, baigne enfin mon visage de chaleur, d’une douceur nouvelle. Sous l’éclat brûlant du jour, je réalise que le ciel n’est plus dans mon esprit un plafond lointain, mais une vaste toile d’azur, infinie et vibrante.
‒ Fleur, tu ne vas pas restée collée à la vitre toute la journée ! me rabroue joyeusement Ondine. Viens t’habiller !
Avec regret, j’arrache mon regard de la fenêtre et me tourne vers ma camarade de chambrée, qui me sourit.
‒ Tu as raison, je murmure en décrochant mon uniforme qui pendait à un cintre.
Je suis encore surprise par l’air frais de la surface qui s’engouffre dans mes poumons, bien différent de l’oxygène emprisonné dans les bulles d’air qui entourent nos maisons ou nous servent à transporter des objets sous l’eau.
Tout en m’habillant, je songe à mon fils Alto, qui espionne Surarak pour le compte de Sereia, et me demande s’il va bien. Cela ne doit pas être facile de porter tous les jours un masque, de dissimuler sa véritable identité en plein cœur du danger. Son pouvoir unique de téléportation s’est éveillé lorsqu’il avait seulement douze ans. Des hommes sont alors venus le chercher, et l’ont formé à l’espionnage, bien loin de l’Académie Céleste, car il ne possède pas une magie élémentaire.
Alors que je cherche à dompter mes cheveux, mes pensées glissent vers son père. Il a dit s’appeler Rive et venir de Lakelyn, la florissante ville de l’autre côté de la barrière de corail. Mais quand je lui ai demandé comment était la vie là-bas, il a haussé les épaules et m’a répondu qu’elle n’était pas différente de celle de Coralia. Et puis, du jour au lendemain, alors que j’étais enceinte, il a disparu en laissant toutes ses affaires derrière lui. Ce qu’il lui est arrivé reste encore un mystère pour moi. D’autant plus que lorsque j’ai signalé sa disparition, les policiers m’ont recontactée quelques temps plus tard pour me dire qu’ils n’avaient aucune piste. Personne n’avait entendu parler de Rive, que ce soit à Coralia ou à Lakelyn. C’est comme s’il n’avait jamais existé.
Et pourtant, Alto en est la preuve vivante.
J’enfile mes bottines à lacet et me dirige vers la bibliothèque, car j’ai une heure de libre ce matin. L’Académie a chamboulé mon existence, et je me demande encore ce que je ferais une fois que je serais diplômée. Je ne pourrais pas me contenter de reprendre ma petite vie d’apothicaire. Quoi qu’il en soit, je veux étudier au maximum.
Une fois arrivée dans le sanctuaire du savoir, je me glisse entre les tables, cherchant du regard une place dans ce lieu bondé empli de chuchotements. Les étagères emplies d’ouvrages se dressent jusqu’au plafond. Des rangées de tables de bois sombre s’alignent entre les rayonnages. C’est alors que je heurte du coude un étudiant aux longs cheveux noirs, qui redresse la tête. Il a les traits comme taillés à la serpe et des yeux bleus. Je le reconnais : il s’agit de l’apprenti du Professeur Raylund.
‒ Bonjour, je bredouille. Je vous demande pardon, euh…
‒ Nous n’avons pas été formellement présentés, me dit-il. Je me nomme Raven Skye, de la section Aérienne. Tu peux me tutoyer.
Il me tend la main, et je la saisis.
‒ Fleur Sauvage, de la section Aquatique, je déclare à mon tour.
Raven désigne la chaise en face de lui.
‒ Je t’en prie, assieds-toi.
Je m’exécute, et sors des livres de mon sac. J’ouvre mon manuel d’histoire à la page que je veux étudier.
‒ Je pense que les meurtres dont nous sommes accusés pourraient être liés, me chuchote Raven.
Je sursaute.
‒ Comment ? je m’exclame.
Mon cahier m’échappe des mains et vient s’écraser au sol. Des étudiants se retournent en me fixant d’un air mauvais, un doigt sur les lèvres. Honteuse, je ramasse mes notes et me fais toute petite.
‒ Qu’est-ce que tu as dit ? je demande à Raven.
Il passe une main dans ses cheveux sombres et soupire.
‒ Réfléchis. Nous avons tous les deux été accusés d’un crime que nous n’avons pas commis. Dans ton cas, la police a trouvé cette fiole de poison compromettante.
Je me raidis sur ma chaise.
‒ Dans le mien, c’était le meurtre de mon père. Et dans les deux cas, ces accusations nous ont forcé à fuir nos maisons, nos pays… et à venir ici, en terre neutre.
‒ Raven, j’ai quelque chose à te dire, je murmure en triturant le rebord de mon carnet. La fiole m’appartenait bel et bien. Je l’ai utilisée pour endormir des anguilles électriques afin de récupérer la pierre que j’ai montré à ton maître.
‒ Mais tu n’as rien à voir dans le meurtre de cet homme, n’est-ce pas ?
‒ Non ! Je ne le connaissais même pas.
‒ Bon, ce n’est clairement pas juste un hasard, marmonne mon interlocuteur. Quelqu’un nous a manipulés, nous a poussés à quitter nos villes.
‒ Mais pourquoi nous ?
Raven hausse les épaules, son regard se teintant d’un bleu sombre.
‒ Je ne sais pas encore. Mais il y a quelqu’un… ou quelque chose derrière tout ça. L’Académie… c’est peut-être ici que nous trouverons les réponses.
Un silence s’installe entre nous, chargé de non-dits et d’incertitudes. La vérité semble à portée de main, cachée dans l’ombre de nos accusations, et l’Académie pourrait être la clé pour dévoiler ce qui se tramait derrière nos destins entremêlés.
‒ Attends une minute, lance-t-il. Peut-être que notre arrivée à l’Académie n’est qu’une coïncidence. Peut-être que le tueur… cherchait quelque chose. Après tout, l’ermite de Coralia a été tué après que tu aies récupéré la pierre. Et si c’était ce qu’il cherchait ?
‒ Mais toi, j’avance, tu n’as pas de pierre ?
‒ Non, ce n’était qu’une supposition après tout. Mais cela pourrait expliquer beaucoup de choses.
‒ Alors, nous ne sommes que des pions dans un jeu plus grand que nous.
Raven hoche la tête, son expression grave.
‒ Exactement. Et il est temps de comprendre qui est le maître du jeu.
2 commentaires
Noémie_
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Il y a 3 mois
Mara Jaak Myrabel
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Il y a 3 mois