Fyctia
3. C'est la goutte d'eau (p1)
... qui fait déborder la piscine
Université de Fairmont, abords de ̶l̶’̶e̶n̶t̶r̶é̶e̶ ̶d̶e̶s̶ ̶e̶n̶f̶e̶r̶s̶ la piscine
4 avril 2023 - 12h
L’équipe de natation s’entraînait tous les lundis, mercredis et jeudis, de huit heures à midi, et le samedi toute la journée. Oui, je connaissais leurs horaires d’entraînement, et non, ce n’était pas une information que j’étais heureuse de me rappeler : tout ce que je savais encore sur les nageurs, je m’en souvenais contre mon gré. Si un petit trauma crânien avait pu m’effacer tout ça proprement, j’aurais signé tout de suite. Mais on n’avait pas toujours ce qu’on voulait dans la vie.
Les abords de la piscine étaient déserts lorsque j’arrivai. Elle se trouvait à l’écart des amphis où avaient lieu la plupart des cours, si bien que la grande majorité des étudiants n’y mettaient jamais les pieds durant leur scolarité. Ce qui était dommage, car l’endroit était plutôt sympa. Il n’avait presque pas changé depuis la dernière fois que j’étais venue : le bâtiment de la piscine était moderne, tout en verre et en angles, bien loin de l’esthétique néo-classique du reste du campus. Une petite allée en pierres lisses menait à l’entrée principale. C’était très joli mais un peu faux, comme l’architecture d’un club de vacances, avec ses résidences toutes identiques et ses arbustes bien alignés. La seule chose qui manquait à mon souvenir était le grand saule sous lequel nous nous abritions en attendant que les garçons finissent leur entraînement quand il pleuvait. J’étais triste de voir qu’il avait été coupé. J’adorais cet arbre.
Les environs étaient déserts mais cela n’empêcha pas une petite voix dans ma tête de me souffler que je n’aurais pas dû être là. Ce qui était absurde : j’avais bien le droit de me balader autour de la piscine si le cœur m’en disait. Souhaitant éviter de me faire remarquer par d’anciennes connaissances qui, droit ou pas droit, auraient vu d’un mauvais œil ma présence sur leurs plates-bandes, je choisis de faire le tour par l’arrière du bâtiment. Le plan était de rejoindre le hall d’entrée et d’intercepter Hunter avant qu’il ne sorte. Discrétion, efficacité et rapidité. Idée brillante s’il en était J’eus cependant la mauvaise surprise de découvrir que la porte de l’entrée de service débouchait sur un véritable dédale de couloirs, avec des portes de tous les côtés – la plupart fermées à clé, ou alors donnant sur des débarras remplis de bazar stocké là depuis des années. Un vrai enfer de bric et de bras.
Je finis par tomber sur les vestiaires. Pour tout le temps que j’avais perdu à traîner autour de la piscine, je n’y étais jamais entrée avant aujourd’hui. Je parcourus la pièce du regard avec curiosité. Elle était spacieuse, lumineuse, et étonnamment propre quand on savait qu’elle accueillait régulièrement une quinzaine d’hommes d’une vingtaine d’années. Vide, aussi, ce qui était une chance car bien que je ne fusse pas attachée à ma réputation outre mesure, je n’étais pas encore prête à être considérée comme une déviante sexuelle.
Je serai mon sac en bandoulière contre et traversai la pièce à grandes enjambées, courant presque pour atteindre le hall d’entrée principal. Je fus, cela dit, un peu trop rapide, car une silhouette surgit soudain dans l’encadrement de la porte. Je freinai trop tard et, emportée par mon élan, vis l’inéluctable impact arriver. Je m’écrasai avec toute la classe qui me caractérisait contre quelque chose d’aussi compact qu’un mur en parpaing.
Une douleur aiguë me traversa du front au menton et je sentis une chaleur liquide se répandre sur mon visage.
— Mon nez ! geignis-je en serrant les dents pour m’empêcher de crier.
Je titubai de quelques pas en arrière, grimaçant lorsque le goût et l’odeur métallique du sang m’assaillirent les sens. Je tentai vainement d’arrêter le saignement avec mes mains, sans succès, et mon hémoglobine se faufila entre mes doigts, dégoulinant jusqu’à mes poignets, puis jusqu’aux manches de ma chemise. Ma vision était rendue floue par les larmes qui me piquaient les yeux, mais je parvins tout de même à discerner le mur humain contre lequel je venais de me fracasser la face. Il avait l’air paniqué, les yeux écarquillés, ce qui m’inquiéta d’autant plus à mon tour. Est-ce qu’on pouvait mourir d’une hémorragie nasale ?
— Merde, je suis désolé, je ne t’avais pas vu !
Le timbre de sa voix me surprit. Ce n’était pas celui que j’aurais imaginé pour un mur, pas un mur de piscine en tout cas. Il était trop âpre, trop émotionnel, pas assez froid et hautain. On était plus sur un mur de bibliothèque, si cela faisait sens.
Err. Non, ça ne faisait aucun sens. Et il était possible que je présente les signes d’une commotion cérébrale après la collision dont je venais d’être victime. Mieux valait oublier ça.
Il s’agenouilla et chercha frénétiquement dans son sac jusqu’à en sortir un paquet de kleenex. Il s’approcha de moi avec précaution et m’en glissa quelques-uns dans la main pour que je puisse éponger le massacre. Je songeai à le remercier, mais rouvrir la bouche aurait signifié avaler une nouvelle lampée de mon propre sang et la nausée m’envahissait rien que d’y penser. Je me contentai d’un signe de tête reconnaissant.
Après avoir nettoyé ce que je pouvais, je me tournai, hésitante, en direction du miroir, pour découvrir que j’avais l’air de sortir tout droit du plateau de tournage d’un slasher. Mon nez, mon menton, mon cou, mes mains, et même une bonne partie de mon haut étaient maculés de rouge foncé. Franchement, c’était un look. Il y avait même des chances que Hunter prenne mon petit speech de menace un peu plus sérieusement s’il pensait que j’étais encore recouverte du sang de ma précédente victime.
Si seulement mon nez ne me faisait pas aussi mal ! Je jetai un coup d’œil à M. Le Mur qui se trouvait toujours derrière moi et n’avait pas l’air de savoir quoi faire de sa personne. Je ne croyais pas le connaître - en tout cas pas assez pour le replacer - mais c’était de toute évidence un nageur de l’équipe. Ses cheveux humides, les marques de lunettes autour de ses yeux, et ses muscles supérieurs délicieusement développés en attestaient. Je notai qu’il était parvenu à esquiver la moindre goutte de sang lorsqu’il m’avait filé ses mouchoirs - rien du tout, ni sur son T-shirt, ni sur ses bras. Habile.
— Est-ce que mon nez est cassé ? lui demandai-je en inclinant la tête vers lui.
Il se rapprocha, plissa les yeux, et examina la scène de crime qu’était mon visage. Ses yeux étaient tellement noirs, de près c’en était déconcertant, surtout en contraste avec ses cheveux châtain clair en bataille. Ils n’étaient pas marrons foncés, comme c’est souvent le cas, mais très, très noirs. Ses iris semblaient absorber toute la lumière qui leur parvenait.
Des mini-trous noirs.
Wow. Un de mes circuits neuronaux devait vraiment être endommagé.
5 commentaires
Diane Of Seas
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Il y a un an