Fyctia
Chapitre 3 : Dorian Crowe 1
Chapitre 3 : Dorian Crowe
PARTIE 1
Cela fait maintenant vingt-quatre heures que je tourne et retourne les mots dans ma tête, cherchant ce que je pourrais bien lui dire. Mais tout ce que j'ai, c'est un plan. Un plan qui n'a rien de légal.
J'ai licencié Scott. C'est officiel, je suis au chômage. Mais ça m'est égal. J'ai largement de quoi tenir les semaines à venir. Les dernières. Bientôt, je pourrai compter ces semaines sur les doigts d'une seule main. Et à ce moment-là, je ne lèverai que mes majeurs. Bien haut. Histoire de dire merde à cette vie qui m'a baisé dans tous les sens du terme.
J'allume une cigarette. Encore une. Un paquet par jour depuis le diagnostic.
La fumée emplit mes poumons, les réchauffe. Comme une étreinte invisible. Quand j'inspire, il y a ce court instant étrange entre deux souffles, où tout s'arrête. Où, ironiquement, je me sens vivant. Le monde se met sur pause, tout disparaît. Pendant quelques secondes, je crois être apaisé. Puis, tout s'effondre à nouveau. Je respire encore.
Je n'ai jamais trouvé une telle accalmie ailleurs. Pourtant, j'ai tout essayé : alcool, sexe, drogue. Rien ne m'a jamais suffi. Alors, j'ai commencé à risquer ma vie pour les autres. Des missions payées, bien sûr, mais avec toujours l'espoir secret que quelque chose tourne mal. Que ça se termine enfin. Et pourtant, je suis toujours là.
Pour être honnête, même avec elle je n'étais pas tout à fait rassuré. La peur profonde et ravageuse de l'abandon m'empêchait de l'être durablement. Mais c'est avec elle que je parvenais à me projeter.
J'ai réfléchi longtemps. Partir sans bruit, en laissant des victimes derrière moi, ou tenter de remettre les compteurs à zéro avant la fin. Je ne crois pas en Dieu, mais je crois à l'impact que j'ai eu sur les autres. Alors, la décision est prise.
Je jette un dernier regard à mon appartement vide. Chaque détail est gravé dans ma mémoire, mais à quoi bon ? Une fois mort, tout cela disparaîtra avec moi. Je ferme la porte, enfourche ma moto. Mes mains tremblent, secouées par la peur et la détermination.
Tournent en boucle, les images vagues de toutes les personnes que j'ai profondément blessé par le passé. Et c'est le seul visage qui m'apparait. Celui d'Oriana. La dernière fois que je l'ai vu, elle était encore plus brisée qu'à nos adieux il y a quelques années. Je m'étais promis d'être une de ces personnes de l'ombre. Peu importe ce que je ressens, je partirai sans vagues. Si discrètement que les traces de mon existence seraient invisibles. Hors j'ai failli à ma mission, j'ai laissé des traces mais surtout des cicatrices. Je devais être brisé mais ne jamais briser quiconque parce que je sais ce que ça fait d'être marqué à vie. Alors tel un débris de verre aiguisé, j'entaille tous ceux que j'approche.
***
Oriana
Je gare ma voiture devant la maison et observe les lieux. Rien d'anormal à première vue.
Je frappe à la porte. Un homme m'ouvre, l'air décontenancé.
- Bonjour ?
- Bonjour. Je suis assistante sociale. L'école de votre fille a effectué un signalement. Vous avez dû être informés. Je suis ici pour faire un état des lieux.
Il s'éloigne, laissant la porte ouverte, et appelle sa femme. Je les rencontre dans le salon. La maison semble en ordre, tout comme leurs réponses. Je pose les questions habituelles, formelles, avant de demander à voir la chambre de leur fille.
- Puis-je m'entretenir seule avec elle ?
- Bien sûr, elle est dans sa chambre, répond le père.
- La porte est ouverte, ajoute la mère. Nous la surveillons régulièrement.
Le cœur battant, je monte les marches et pousse doucement la porte de la chambre d'enfant. Lydia est assise sur le tapis, entourée de poupées. La scène m'écrase. C'est exactement ce dont je rêvais petite. Une enfance que je n'ai jamais eue.
Je serre la mâchoire pour contenir mes larmes.
- Salut, Lydia... Tu veux bien qu'on joue un peu ensemble ? dis-je en m'accroupissant près d'elle.
Elle lève les yeux vers moi, un sourire innocent éclairant son visage.
- Tu t'appelles comment, toi ?
- Oriana.
- Wouah ! C'est crop joli !
Elle me tend une poupée.
- Toi, t'es la maman, et moi, le docteur.
Je prends la poupée avec des mains tremblantes. Une larme coule sur son visage de plastique. Je me force à sourire et entre dans son jeu. Finalement, je crois que c'est moi qui ai le plus ri. Tout en jouant, je glisse quelques questions discrètes. Lydia semble heureuse, bien traitée.
Puis elle me regarde soudain avec un regard plus grave.
- Tu veux du chocolat ? demande-t-elle.
- Pourquoi ?
- Quand je suis triste, papa me laisse manger du chocolat.
Mon sourire vacille. Elle se lève et me fait un câlin. Je perds toute trace de professionnalisme et la serre contre moi. Elle est tout ce que j'ai toujours voulu. Tout ce que je n'aurai jamais.
Je ne veux pas la lâcher, même quand ses parents arrivent, inquiets.
Même lorsqu'ils me somment de la faire.
La voix de la mère s'étouffe dans le brouillard de mon esprit. Mais quand Lydia se met à pleurer, je n'ai plus le choix. Je la relâche. Les morceaux de mon cœur m'entaillent de l'intérieur. Je quitte la maison en courant, et une fois à ma voiture, je m'effondre.
Même des années après il a trouvé le moyen de gâcher mon existence. Il est l'océan dans lequel je me noie, qui pénètre mes poumons et m'étouffe. Le visage que je vois dans mes cauchemars quand je me réveille en larmes. Tout ce qui le touche n'est que douleur et promesses rompues.
La raison pour laquelle je me hais depuis des années porte le nom de Dorian.
16 commentaires
Mapetiteplume
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Il y a 4 mois
Alexandra ROCH
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Il y a 4 mois
K.C Sankr
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Il y a 4 mois
Mouna
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Il y a 4 mois
K.C Sankr
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Il y a 4 mois
Aline Puricelli
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Il y a 4 mois
IvyC
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Il y a 4 mois
Mouna
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Il y a 4 mois
Zatiak
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Il y a 4 mois
Mouna
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Il y a 4 mois