Fyctia
Chapitre 1
Je me souviendrais toujours de notre rencontre.
Il pleuvait à verse, ce jour là. La Bretagne avait la pluie triste, et en ces temps-ci, l'humeur générale de Comblessac était à la mélancolie.
Je marchais au bord de la route, une histoire de mouton égaré qu'il fallait ramener à tout prix à son propriétaire ; je m'étais fait embarquer dans cette affaire par mon meilleur ami, qui m'avait lâché juste avant de partir à cause d'une sorte de grippe imaginaire.
Mon parapluie rendait l'âme, et il fallait toute ma combativité pour ne pas marcher dans les immenses flaques qui bordaient mes pas. Je me mis soudainement à prier le ciel, les nuages, la pluie même pour qu'aucune voiture n'arrive dans mon dos : j'aurais été trempé.
Le ciel m'entendit, et, évidemment, un automobiliste roulant fort rapidement passa dans une flaque à toute vitesse à côté de moi.
Trempé comme une soupe, je pestait contre ces maudites voitures qui avaient le mauvais goût de sortir par temps de pluie, quand je la vis s'arrêter cinquante mètres plus loin, revenir et arrière, et une portière s'ouvrit.
En sortit la fille la plus paumée de la création : Antigone.
Pour ne surtout pas faire honneur à son nom, elle avait les cheveux teints en bleus, portait en permanence des boucles d'oreilles fluorescentes aux formes approximatives et avait un maquillage digne d'un panda.
Enfin, je suppose que ça, c'était à cause de la pluie.
Bref, les vieux du village me conseillaient de rester éloigné ; alors, aussitôt, j'ai pensé à prendre la fuite.
Mais elle courait vers moi, en short ( quelle idée de mettre un shirt par ce temps ?! ) avec un air profondément désolé sur le visage.
— Pardon, monsieur, je suis désolée...
Je ne vous avais pas vu, à cause de la pluie... vraiment, je suis confuse...
Paradoxalement avec son look, elle s'exprimait très bien.
— Montez dans ma voiture, je veux me faire pardonner... ou allez-vous ?
— À la ferme des Peroüenn... je dois aider à retrouver un mouton qui a eut la mauvaise idée de de perdre par ce temps...
Elle eut un petit rire, puis m'annonça qu'elle y allait aussi : c'était ses grands-parents qui y vivaient.
Quand nous montâmes dans la voiture, je lui fit remarquer que j'allais la dégueulasser. J'étais couvert de boue, trempé jusqu'aux os.
D'un geste accompagné d'un sourire, elle me désigna ses jambes, qui étaient dans le même état que les miennes : alors sans plus faire de façon, nous entrâmes et nous en mirent partout.
Le reste du trajet fut fort plaisant. Nous parlions, avec en bruit de fond la radio qui crépitait. Elle avait monté le chauffage, et bientôt une délicieuse odeur de chair grillée se répandit dans l'habitacle : je pris sur moi pour éviter de vomir.
Tout en devisant, nous nous mîmes à discuter de nos passions. Bientôt elle me confia qu'elle allait travailler tout l'été à la seule ferme baleinière de Comblessac, voire même de la Bretagne : elle avait eu vent de maltraitance envers ces gracieux animaux, et il fallait qu'elle soit leur sauveuse. Absolument.
Étouffant un rire devant cette déclaration digne d'une enfant de cinq ans, je lui demandais :
— Pourquoi toi ?
— Il y a une légende, à Comblessac... sur moi, et sur les baleines...
Intrigué, je lui enjoint de continuer, mais nous étions arrivés.
Sortant de la voiture, retrouvant avec une joie immense la pluie, de plus en plus violente, je lui criais pour couvrir le bruit du tonnerre :
— Moi aussi, je travaille là-bas ! On va passer l'été ensemble alors !
— Tu en es ravi, avoue !
Je sentais le sourire derrière sa voix. J'allais lui répondre une blague, peut-être un compliement déguisé, mais une vieille personne sortit alors de la maison en faisant de grands gestes avec ses bras.
Elle se rua sur nous, ombre gesticulante et fantômatique, pour bouter hors de sa propriété à coup de canne : le mouton avait été retrouvé, noyé dans la baie ; quand à la toiture, elle venait de s'effondrer.
— Pas le meilleur moment pour rencontrer officiellement tes grands-parents, plaisantais-je quand nous eûmes reprit la route.
Elle sourit sans répondre, puis augmenta le volume de la radio.
Je le baissais sans attendre : le bourdonnement incessant me filais la migraine.
Arrivés au village, elle me déposa à l'hôtel et s'en fut dans la nuit. Je la regardais partir tristement : d'où venait cette boule au ventre, ce sentiment de manque ?
Je ne croyais pas au coup de foudre. Mais au coup pluie ?
Mon été démarrait, j'avais la promesse qu'il serait palpitant, peut-être romantique, et qu'il m'aiderait peut-être à choisir ma voie.
Été 1999, j'avais 19 ans, des rêves, des projets, et des baleines à sauver.
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