Fyctia
Le schéma
Comment avait-il pu passer à côté de cette information ? Fabregas se repassait les derniers jours en tête, les entretiens, les échanges qu’il avait eus avec les différents protagonistes de cette affaire ; à aucun moment il ne se souvenait avoir entendu le prénom de l’institutrice. Bien sûr, en temps normal un prénom ne l’aurait jamais interpellé mais, depuis le début, cette enquête n’avait rien de normal. Les jumeaux de Piolenc hantaient chacun de ses pas et l’ignorer aurait relevé de la faute professionnelle.
Un autre point qui aurait pu paraître anodin dans un autre contexte s’imposa à lui. Le cousin de Solène Gauthier avait choisi comme alias Michel Dumas avant de le changer en Raphaël Dupin.
Quand son ancien supérieur avait évoqué la concordance des prénoms entre les jumeaux et les deux enfants récemment disparus, Fabregas avait creusé un peu le sujet. Il avait lu tout ce qui pouvait se trouver sur le Net sur la signification exacte de ces prénoms. Même si cette recherche ne lui avait pas apporté grand-chose, il en avait retenu une : au même titre que Raphaël et Gabriel, Michel était le nom d’un archange, et ça ne pouvait bien évidemment pas être une coïncidence.
Fabregas aurait dû jubiler d’avoir mis le doigt sur ce point. Tout nouvel élément dans une enquête était toujours le bienvenu, sauf que dans ce cas précis il ne faisait qu’épaissir le mystère. Le capitaine ne cessait de récolter des informations sans réussir à leur donner un sens. Il s’obligea à récapituler les faits par écrit, espérant qu’avec le recul un schéma se dessinerait.
Solène et Raphaël Lessage avaient disparu en août 89.
Trois mois plus tard, le corps de Solène était retrouvé dans un cimetière. Fabregas avait relu le compte-rendu d’autopsie. Il n’y avait aucun doute possible sur l’identité du cadavre. Il s’agissait bel et bien de la fille de Victor Lessage.
Trente ans après, deux autres enfants étaient enlevés, ou tout du moins manquaient à l’appel. Zélie et Gabriel. La première portait un prénom qui se fêtait le même jour que Solène tandis que Gabriel était le prénom d’un archange, à l’instar de Raphaël.
Fabregas inscrivit ensuite les étapes clés des deux derniers jours.
Un nom était revenu à plusieurs reprises depuis le début de l’enquête : Raphaël Dupin. Soupçonné dans un premier temps d’être le jumeau disparu, cette hypothèse avait été écartée par un Victor Lessage catégorique : cet homme n’était pas son fils !
Était-il possible qu’il ait menti ? Fabregas nota sa réflexion dans la marge. Il avait obtenu l’autorisation de faire analyser l’ongle laissé dans la salle d’interrogatoire, mais les résultats ADN ne tomberaient pas avant plusieurs jours à moins qu’il ne fasse accélérer la procédure. Compte tenu des derniers éléments, Fabregas estimait qu’il était en mesure d’obtenir cette requête en urgence.
Il y avait eu ensuite cette lettre adressée à l’institutrice, Solène Gauthier, qui incitait à stopper les recherches. Le capitaine relut ses notes et ratura le mot « incitation » pour le remplacer par « menace » suivi d’un point d’interrogation. La missive était signée Solène et Raphaël. Devait-il en déduire que Gauthier et Dupin l’avaient écrite ou étaient-ce Zélie et Gabriel, pensant incarner les jumeaux, comme la pédopsychiatre l’avait suggéré ?
Restait enfin à intégrer les révélations du directeur de la Rocantine. L’homme avait été relâché deux heures plus tôt après avoir dit tout ce qu’il savait. Fabregas avait vu partir un homme abattu, conscient que sa réputation risquait d’être ternie dans ce village de cinq mille habitants, mais le capitaine n’était pas inquiet pour lui. Biason trouverait les ressources nécessaires pour rebondir. Le fait qu’il soit homosexuel ne serait pas un souci dans une ville de plus grande envergure. Son plus gros problème serait d’expliquer au rectorat pourquoi il n’avait pas reporté les agissements de Dumas. Une enquête serait diligentée pour découvrir quels dossiers scolaires avaient été copiés et dans quel but. Fabregas avait déjà mis un de ses hommes dessus.
Selon Biason, Raphaël Dupin se faisait également appeler Michel Dumas, un autre archange, et disait être le cousin de Solène Gauthier. L’institutrice de Zélie et Gabriel, disparue à son tour et dont l’appartement était parti en fumée avec un cadavre non identifié dans la cuisine, n’avait pourtant jamais parlé de lui aux enquêteurs. Était-elle seulement au courant qu’il était recherché par la gendarmerie ? Fabregas s’était repassé la chronologie des événements et ne se souvenait pas avoir soumis le portrait à la jeune femme. Était-ce ce sujet qu’elle souhaitait aborder avec le Dr Florent ? Interrompue par le directeur de la Rocantine, son supérieur et ex-amant de son cousin, elle avait peut-être préféré se confier ailleurs qu’au sein de l’établissement.
Face à cette liste de faits, Fabregas se retrouvait surtout avec un tas de questions en suspens. Lui qui espérait trouver un schéma dans toute cette histoire n’avait réussi qu’à s’enfoncer un peu plus dans un labyrinthe.
Des prénoms identiques, un suspect aux multiples identités et une institutrice au cœur de l’affaire. C’était finalement tout ce qui ressortait de son analyse.
Fabregas comprenait qu’il devait désormais attendre. Attendre les résultats de toutes les analyses en cours, attendre que ses hommes mettent la main sur Raphaël Dupin ou ne retrouvent la trace de Solène Gauthier. En bref, attendre qu’un nouvel élément démêle enfin cet imbroglio.
– Je vous dérange, capitaine ?
La voix de la pédopsychiatre l’avait fait sursauter. Le Dr Florent se tenait à l’entrée de son bureau sans oser franchir le seuil de la porte. Les deux individus ne s’étaient pas parlé depuis la veille au soir et Fabregas se reprochait d’avoir été aussi glaçant avec elle. Il ne pouvait pas tenir cette femme pour responsable des derniers événements. Elle s’était fiée à son instinct en reportant l’entretien avec Gauthier. C’était un tort, mais Fabregas aurait tout aussi bien pu ne pas suivre son avis et convoquer l’institutrice à la gendarmerie. Personne n’aurait pu deviner ce qui allait se passer.
– Entrez, docteur ! dit-il affable. J’étais justement en train de me dire que vous pourriez m’être utile.
Ce n’était qu’un demi-mensonge. Fabregas aurait certainement fini par réclamer son aide maintenant qu’il avait posé tous les éléments à plat. Le regard de la psy lui amènerait une autre approche et peut-être même qu’une évidence leur sauterait aux yeux ! Le capitaine n’y croyait pas vraiment mais il se sentait néanmoins soulagé par la présence de cette femme. Fabregas était dépassé, il le savait, mais il ne pouvait en aucun cas se confier à ses hommes. Un capitaine se devait d’être le leader d’une équipe. Ses doutes, il devait les garder pour lui s’il ne voulait pas ébranler la motivation de ses enquêteurs.
– Je vous écoute ! dit la psy, en s’asseyant face à lui.
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