TomX LES INAUDIBLES SEUIL DE DOULEUR ./.

SEUIL DE DOULEUR ./.

Le passage souterrain s'élargit brusquement, révélant une cathédrale inversée. Noah s'immobilisa, désorienté par le contraste entre le tunnel oppressant et cette vastitude inattendue.


"Bienvenue dans la Zone S," annonça Issa.


L'obscurité n'était pas totale. Des néons bleutés accrochés aux voûtes diffusaient une clarté spectrale qui révélait les contours flous d'une civilisation submergée. Ancien réservoir d'eau reconverti. Architecture centenaire soutenue par des colonnes massives.


"Zone de Silence," précisa Sara en retirant son masque.


Les parois semblaient absorber chaque vibration. Un vide acoustique presque douloureux. L'air, étrangement dense, résistait aux perturbations sonores comme un liquide visqueux. Noah sentit ses tympans se détendre progressivement, comme des muscles crispés depuis trop longtemps.


Une cinquantaine de personnes évoluaient dans l'espace. Certaines équipées de masques semblables à celui qu'on avait donné à Noah. D'autres communiquaient par gestes élaborés — langue des signes improvisée.


"Hypersensibles," expliqua Issa, désignant un groupe recroquevillé dans un renfoncement tapissé de matériaux isolants. "Blessés permanents. Dommages cochléaires irréversibles. Cette absence totale de vibration est leur seul répit possible."


Des écrans translucides fragmentaient l'espace. Équipements médicaux rudimentaires. Tables de travail encombrées d'outils spécialisés. Un laboratoire clandestin construit à partir de rebuts technologiques.


"Zone S existe depuis sept mois," continua Issa. "L'acoustique naturelle est exceptionnelle. Les formations calcaires absorbent les fréquences. Indétectable aux scanners du Consortium."


Chaque pas de Noah était un phénomène étrange — comme de marcher sur un sol qui s'adaptait pour effacer l'impact.


"Qu'est-ce que c'est?" demanda-t-il, sa voix synthétique émise par le transducteur du masque.


"Mousse polymère ultra-dense. Développée pour les centres de recherche acoustique militaire. Récupérée dans des laboratoires abandonnés."


Une femme s'approcha. Cinquantaine, traits tirés. Cicatrices d'implants auditifs mal retirés sur les tempes.


"Professeur Lin," présenta Issa. "Ancienne chercheuse en neurosciences. Spécialiste des technologies de suppression sonique."


Elle scanna Noah de ses yeux noirs, perçants.


"Patient zéro," articula-t-elle sans produire de son. Son masque traduisit: "L'inaudibilité parfaite. Spectrogramme totalement vide. Fascinant."


Des appareils commencèrent à émettre un bourdonnement grave. Des lumières clignotèrent sur plusieurs consoles.


"Scanner de périmètre," expliqua Sara. "Protocole standard. Vérification d'intrusion."


Les silhouettes convergèrent vers le centre de la cathédrale souterraine. Mouvement fluide, organisé. Routine d'urgence bien répétée.


Un homme âgé s'avança. Barbe blanche contrastant avec sa peau sombre. Autorité naturelle. Le groupe s'écarta pour lui laisser passage.


"Professeur Werner," murmura Issa. "Pionnier des thérapies neuroacoustiques. Mentor d'Amar Nour."


Le nom fit tressaillir Noah. Amar Nour — le père de Leïla et Issa. Le scientifique dont les recherches avaient indirectement mené aux pilules bleues.


"Tout est en ordre," annonça Werner. "Fausse alerte. Interférence électromagnétique causée par les travaux en surface."


Les épaules se détendirent. Les respirations se synchronisèrent à nouveau. Ballet silencieux d'une communauté habituée aux alarmes.


"Venez," dit Issa à Noah. "Il est temps que vous compreniez pourquoi vous êtes ici. Et contre quoi nous luttons."


Ils traversèrent l'espace central vers une section séparée par des rideaux épais. L'éclairage y était plus vif. La température, plus élevée. C'était un laboratoire. Plus sophistiqué que tout ce que Noah avait vu ailleurs dans la Zone S. Microscopes électroniques. Bioréacteurs. Séquenceurs portatifs. Équipements de diagnostic neurologique.


"Comment avez-vous obtenu tout ça?" La question jaillit spontanément.


Sara sourit. "Nous avons nos sources. Des sympathisants dans les institutions. Des agents doubles au Consortium. Des fournisseurs comme Mathias Veil, le marchand de silence."


"Mathias est un opportuniste," nuança Issa. "Mais il a ses raisons. Espérons que ma sœur l'ait convaincu."


Noah s'approcha d'un écran affichant des données complexes. Configurations d'ondes cérébrales. Modèles vibratoires. Projections de réactivité neuronale.


"Qu'est-ce que le Consortium exactement?" demanda Noah. "J'ai toujours cru qu'il s'agissait d'une simple autorité de régulation sonore."


Werner émit un rire sec, sans humour.


"C'est précisément ce qu'ils veulent que vous croyiez. Le Consortium a commencé comme une commission technique après la Grande Compression. En trois ans, ils sont passés de régulateurs à police acoustique. Aujourd'hui, ils contrôlent tout."


"Le son est devenu la nouvelle monnaie d'échange," continua Werner. "Ceux qui contrôlent l'environnement acoustique contrôlent la société entière."


Issa activa une projection tridimensionnelle. Un spectre sonore apparut — cascade verticale de couleurs, fréquences visualisées en couches superposées.


"Voici une empreinte vocale standard," expliqua-t-il. "Celle de Sara, avant traitement."


La projection tournoya, révélant une topographie auditive complète. Pics et vallées en couleurs vives.


"Et voici la mienne," poursuivit Issa.


Une nouvelle image se matérialisa. Similaire mais parsemée de zones grisâtres. Trous dans la tapisserie sonore.


"Inaudibilité partielle," commenta le professeur Werner qui les avait rejoints. "Les pilules bleues ont créé des angles morts acoustiques spécifiques. Portions de votre signature devenues imperceptibles aux algorithmes de reconnaissance."


"Et maintenant... la vôtre," dit Issa en dirigeant le projecteur vers Noah.


L'écran s'illumina.


Rien. Un vide absolu. Absence totale de signature.


"C'est comme si vous n'existiez pas," murmura Sara. "Du point de vue acoustique, vous êtes un fantôme."


Noah fixait l'espace vide, partagé entre fascination et terreur. Sa non-existence graphique le confrontait à une réalité vertigineuse.


"Pourquoi moi?" demanda-t-il finalement. "Pourquoi les pilules ont-elles cet effet sur moi et pas sur les autres?"


Werner ajusta des commandes. Une nouvelle projection apparut — imagerie génétique. Séquences colorées s'entrelaçant comme des rubans dansants.


"Mutation rare. Chromosome 11. Segment responsable du traitement des signaux acoustiques. Vous êtes né avec une configuration neurologique atypique."


Un autre écran s'alluma. IRM fonctionnelle du cerveau de Noah. Zones temporales illuminées de façon inhabituelle.


"Votre cerveau traite le son différemment," continua Werner. "Les champignons mutagènes des pilules ont trouvé un terrain particulièrement réceptif. Symbiose parfaite."


"Le Consortium ne se contente pas de contrôler le son extérieur. Avec le Projet Clarté, ils veulent façonner ce que nous pouvons entendre et qui peut être entendu."

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1 commentaire

NohGoa

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Il y a un mois

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