Fyctia
Ch. 15 : Les herbes hautes...
CHAPITRE 15 : « En enjambant les herbes hautes… »
Dimanche 6 août
Guillaume l’a vue arriver, grande, blonde, et épuisée. D’avoir marché, sans doute, mais pas seulement. Il y avait autre chose, dans ses yeux : une inquiétude comme un puits sans fond. Alors il a su, tout de suite.
Le lendemain était la première pleine lune d’août. Undine s’est posée parmi les hommes et les femmes du groupe, elle a frappé dans ses mains lorsqu’il fallait le faire, s’est levée pour danser et s’est assise pour écouter Mayra jouer de la harpe. Sans dire un mot. Seuls ses yeux parlaient, semblant raconter une histoire longue et compliquée, douloureuse et enfermée…
Quand Lonzo lui a demandé si elle savait jouer d’un instrument de musique, Undine a hoché la tête et a saisi la harpe que la main de Mayra lui tendait. Ses yeux se sont éclairés un court instant, avant que les sons n’emplissent l’air du soir d’une mélodie douce et nostalgique. Guillaume n’a pas reconnu le morceau, il s’est demandé s’il s’agissait d’un air connu ou bien si c’était Undine qui avait inventé cette musique limpide et fluide, semblant sortir des eaux nocturnes tel un flot infini. Comme elle, comme son nom, sans doute une version germanique du prénom « Ondine », c’est ce qu’il a pensé en l’admirant longuement.
Il s’est dit aussi qu’il avait bien fait de l’attendre, au lieu de prendre l’une des femmes que Lonzo lui avait désignées, un mois plus tôt…
Puis, il a regardé la lune ronde et généreuse, dispensant ses rayons d’argent sur l’herbe sauvage et éclairant Undine, magnifique et inespérée.
Cette nuit-là, nuit de lune pleine et ronde, ils ont célébré la femme et la fertilité, et la générosité de l’univers par des chants et des danses. Guillaume ne sentait pas son ventre vide. « On s’habitue au jeûne de la pleine lune » lui a dit Olivier, il constate que c’est vrai.
***
Depuis cinq jours, Guillaume se demande si elle l’a seulement remarqué. Undine est la même avec tous, mais Guillaume veut espérer qu’elle finira par le voir, et que lui, Guillaume devenu depuis peu « Hakim », saura briser ses silences plus longs que d’émouvants sanglots. En la regardant, il oublie Léna mais pas seulement : il oublie vraiment « sa vie d’avant », sent que Undine pourrait constituer le socle de sa nouvelle vie, ici.
Il identifie mal l’origine de son léger accent, mais l’origine est-elle vraiment importante ? Après tout, n’est-ce pas l’âme qui constitue l’essence de l’être ?
Il a remarqué sa poitrine généreuse, son ventre un peu renflé en une posture presque maternelle. De légers cernes violacés marquent sa fatigue, Guillaume voudrait l’aider à porter ce qui semble être trop lourd pour elle.
Pour le moment, il la cherche du regard, ne l’aperçoit ni dans le carré potager, ni dans la cuisine…
15 heures, dans le Salon :
— Tu te sens bien, ici ?
Le regard de Lonzo la perce, mais il ne l’effraye pas. Pas après ce qu’elle a traversé et enduré. Pourtant, Undine peine à lui répondre ; alors il ajoute :
— Tu sais que si tu as besoin de quoi que ce soit, il te suffit de me le demander…
Sa voix est plus douce qu’à l’ordinaire, et le petit Salon la rassure. Elle finit par dire :
— Je me sens en sécurité, ici.
Et c’est une vérité qu’elle habite : loin de tout, enfoncée dans la densité de l’épaisse végétation, Undine ne craint plus rien. Du moins pour le moment, elle et l’enfant à naître sont à l’abri, mais pour combien de temps ?
Les lèvres de Lonzo s’étirent en un mince sourire, il poursuit :
— La Vie est un don, Undine… tu le sais, à présent…
Oui, Undine l’a compris, mais sans mesurer encore jusqu’où peut aller ce don.
— Il faudra que tu le mettes à l’abri.
Il a dit ça en fixant la rondeur de son ventre qu’il compare à une pleine lune, louant sa fécondité…
Dans la chaleur lourde de l’été, le thé aux pétales de rose embaume l’atmosphère de la petite pièce, et Lonzo tend une tasse parfumée à Undine :
— Bois… ça te fera du bien… et lui aussi en a besoin.
Undine se lance, elle ose enfin poser la question qui la taraude :
— Est-ce que mon bébé devra aller dans le Centre de Parentalité ?
Elle ne sait pas au juste où il se trouve, mais elle en a entendu parler. Elle suppose qu’il s’agit d’un bâtiment situé près de La Ferme, auquel n’ont accès que quelques personnes.
Lonzo secoue la tête de droite à gauche :
— J’ai pensé à une autre solution… je comptais justement t’en parler…
15h 30 :
Guillaume-Hakim sait qu’à cette heure-ci, il n’est pas supposé errer dans les couloirs du long bâtiment de La Ferme. Mais une sorte de curiosité le pousse à chercher non seulement Undine, mais encore autre chose… peut-être les quelques affaires qu’il avait dans son sac en arrivant et qui ont disparu, ou bien autre chose. Il ignore ce qui le pousse à ouvrir ainsi une porte après l’autre, dans le silence de l’après-midi, mais il le fait. Il le fait au risque d’être surpris, mal vu, jugé… il est supposé travailler dans le carré potager.
Il ne trouve rien, finit par sortir en enjambant les herbes hautes pour se rendre dans le cellier. Il avance au milieu des caisses en bois remplies de légumes, certaines débordent de tomates et de salades vertes.
Il se demande comment va se passer l’hiver, et si le stock de pommes de terre sera suffisant. À moins que Lonzo ne prévoie d’apporter des pâtes ou du riz, mais Guillaume voit mal comment il pourrait en transporter des kilos à pied, durant trois jours et deux nuits. Il réalise à quel point le lieu est isolé, à quel point ça le protège de son ancienne vie, à quel point ça l’oblige aussi à s’ancrer ici. Ici et pas ailleurs, ici de façon définitive.
Il ne faut pas qu’il y pense sous peine d’être saisi d’un vertige qui pourrait s’avérer incontrôlable et lui faire perdre pied. Alors il avance mais trébuche sur une caisse, s’enfonce plus avant dans les recoins sombres du cellier et finit par chuter.
Il se relève en prenant appui de sa main droite sur une caisse : ses doigts sont soudain remplis de miel collant. Les ruches ne se trouvent pas ici, pourtant… il ne les a toujours pas vues d’ailleurs, Lonzo est resté vague à ce sujet, Guillaume-Hakim n’a pas osé le questionner davantage.
Sa main plonge un peu plus loin, fouille l’intérieur de la caisse, effleure une matière lisse et souple : ce n’est pas un pot en plastique qui se trouve dans la caisse, mais des dizaines de pots. Tous remplis d’un miel qui semble d’origine industrielle…
Guillaume en sort un, le place à la faible lumière d’un interstice dans le vieux mur en bois du cellier : sur le plastique, est collée l’étiquette d’une marque que Guillaume reconnaît au premier coup d’œil, pour l’avoir souvent vue dans les rayons des grandes surfaces, en bas, là où se trouvent les produits dits « bas de gamme ».
Une stupeur l’envahit en même temps qu’une sorte de torpeur… Il a pourtant besoin de toute sa force pour s’en extraire, et quitter la lenteur, la fatigue et la folie…
1 commentaire
Nicole Pastor
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Il y a un an