Fyctia

Kate

Telle l’artiste passionnée qu’elle était, Kate occultait l’ensemble de sa journée pour se consacrer sur ce quoi elle était profondément douée. Ainsi, elle ne s’était pas rendu compte que la nuit était déjà tombée dans les rues de Paris. Ce n’était que lorsque son téléphone sonna pour la dixième fois qu’elle dénia enfin lâcher ses pinceaux colorés. Elle ne répondit pas pour autant. Sans regarder l’écran, elle savait très exactement qui était au bout du fil. C’était en pleine semaine, mais les soirées dignes de ce nom n’attendaient pas le week-end pour se savourer. Et Kate, en tant que célibataire aimée et convoitée le savait très bien. Alors, elle prit juste une poignée de secondes pour regarder l’heure et l’endroit où elle était attendue, et fila sous la douche afin de se préparer pour affronter le deuxième round de la journée.

Redoutable prédatrice, Kate avait sorti le grand jeu. Ses longues jambes les paraissaient encore plus grâce à cette minijupe de cuir, ses seins d’un rond parfait étaient galbés sous un soutien-gorge en dentelle noir, et ses cheveux dorés laissés libres et détachés. Ses yeux, quant à eux, étaient bien trop fardés de noir, sombres à souhaits afin que personne ne puisse s’y perdre dedans. Oui, pour Kate, il était exclu qu’un homme s’octroie le droit de lire en elle, de l’analyser, de la comprendre. Elle montrait uniquement ce qu’elle voulait montrer, omettant volontairement le reste à l’intérieur d’un corps menu et brisé.

Libre, fière et forte.

Telle était décrite Kate par ceux qui posaient les yeux sur elle.

Et cela lui saillait parfaitement. C’était bien plus facile ainsi.

Devant la boîte, le videur l’accueillit comme une vieille connaissance, échangeant baisers et tapes amicales. Et, une fois à l’intérieur, Kate était enfin dans son élément. Les regards se retournaient à son passage. Les hommes l’admiraient, les femmes la jalousaient. Elle avait le don de ne laisser personne indifférent, et c’était exactement le but recherché depuis ce fameux jour où elle se promit de ne plus jamais être transparente.

Depuis, elle menait cette tâche à merveille.

— Kate ! On est là !

Un peu plus loin, un petit groupe lui fit signe. On ne pouvait pas dire que ces gens-là étaient ses amis, car Kate ne laissait jamais personne assez longtemps dans sa vie pour pouvoir les appeler ainsi, mais cela ne l’empêchait pas de les apprécier toutefois.

— Salut, sourit-elle.

— Le nez dans les pinceaux, encore ? plaisanta l’une des filles du groupe alors que Kate s’approchait vers elle pour l’embrasser. Tu nous peins quoi, cette fois-ci ? Des fleurs encore ?

À cet instant, Kate aurait préféré recevoir une pluie de coups de poings s’abattre sur elle. Elle suréleva une épaule, un brin mal à l’aise. Sa sphère privée n’avait rien à faire en dehors de chez elle, et encore moins dans ce club, Et, comme toujours, pour Kate, sa meilleure défense était l’attaque.

— Et toi, le nez toujours dans la coke ou t’as enfin arrêté ? répliqua-t-elle, blessée.

La jeune femme grimaça et en tomba sa mâchoire alors que les autres se mirent à rire, une main plaquée sur la bouche.

— Pfff… souffla Kate avant de tourner les talons.

Piquée au vif, elle ne s’attarda pas à la table. De toute façon, elle n’était pas là pour ça. C’est à cet instant qu’elle décida de partir en chasse, bien déterminée à abréger cette soirée dans les bras d’un beau mâle à appâter.

Quelques regards plus tard, elle ne tarda pas à trouver sa cible. Celui vers qui elle jetterait son dévolu pour le reste de la nuit. Il était là, assis au bar en buvant un verre en toute discrétion. Un bel homme d’une quarantaine d’années. Des cheveux blonds parsemés de blancs, des yeux d’un bleu perçant, une allure de sportif dans un attirail de PDG. Son visage d’une beauté saisissante lui était vaguement familier, pas assez, en revanche, pour comprendre d’où. Oui, cet homme était parfait, à tel point que Kate ressenti des palpitations dans le ventre pour la première fois depuis longtemps. Comme pour de donner du courage, elle inspira profondément et avança d’un pas déterminé vers le bel homme assit au bar avant de s’installer à ses côtés.

— Salut, lança-t-elle avec une voix suave et un sourire charmeur. Tu es tout seul ?

L’homme se retourna, surpris, et prit un moment à la dévisager, ce qui déstabilisa la jeune femme. D’un coup d’œil furtif, elle regarda son annulaire heureusement sans alliance, et sauta dans le grand bain à pieds joints. Jamais encore un homme ne lui avait refusé quoi que ce soit, et Kate était bien déterminée à ne pas laisser ce jour arriver.

— A l’évidence, oui.

Elle afficha un sourire satisfait.

— Je m’appelle Kate, et toi ?

L’homme ne répondit pas, se contentant d’observer la jeune femme sous toutes ses coutures. Kate sentit la boule grandir dans son estomac, ce qui n’aida pas sa confiance à perdurer un peu plus longtemps. En dernière intention, elle prit son inspiration et tenta le tout pour le tout.

— Écoute, je ne vais pas passer par quatre chemins, je ne suis pas là pour t’offrir à boire et encore moins pour danser, lâcha-t-elle, empreint d’assurance. Alors, si tu es comme moi, ne perdons pas de temps et fillons directement chez moi pour passer aux choses sérieuses. Qu’en dis-tu ?

L’homme la regarda d’un air songeur, la main sur une barbe de quelques jours. Et lorsqu’il se mit à sourire en secouant la tête, Kate ne savait plus vraiment quoi faire ni quel comportement adopter.

— J’en dis que… tu es sacrément culottée, comme nana.

Kate se mordit la lèvre et acquiesça avec un sourire en coin.

— En effet, c’est une de mes qualités que je préfère.

L’homme scinda Kate du regard à nouveau, puis se mit à soupirer.

— Je m’appelle John, lui dit-il au bout d’un moment, exactement comme la dernière fois que tu me l’as demandé à ce même tabouret.

Kate fronça les sourcils, mais refusa d’assimiler l’information. Des hommes, elle en avait connu des centaines, c’est vrai, mais jamais au point de les oublier. Enfin, du moins, c’est ce qu’elle croyait.

Elle déglutit en se dandinant sur des hauts talons.

— Tu es en train de me dire que, toi et moi on se connaît ?

— C’est un peu ça.

— Et… nous avons déjà couché ensemble ?

L’homme valida d’un signe de tête avant de rétorquer :

— Oui, et je ne sais pas ce qui est le pire : que tu ne te rappelles pas des deux orgasmes que je t’ai donné, ou que tu convoites deux fois le même homme en deux semaines d’intervalles sans même t’en souvenir.

Kate blêmit et tout sourire s’effaça de son visage.

Son front se couvrit de sueur et ce n’était pas à cause de la chaleur. Elle avait honte. Elle s’en voulait et commençait à se dire que la vie qu’elle voulait à tout prix contrôler était en train de lui échapper.

— Putain. Il faut que je parte d’ici.

Elle ne prit pas la peine d’attendre la réponse de cet homme ni même de se retourner. Pour la première fois depuis très longtemps, elle quitta cet endroit seule, et très certainement malheureuse.