Felicia 🖤 Les feuilles s'envolent en automne 15

15

J’ai passé le restant de ma semaine à passer des coups de téléphone à ma mère et Ellie pour les rassurer sur mon état de santé et à aller me balader en ville. J’ai emmené Mamie au musée de l’Automobile parce que connaissais son affection pour cet endroit et même si je l’ai toujours trouvé désordonné et mal odorant autrefois, je me suis surprise à apprécier ma visite. Puis, nous avons flâné dans les rues malgré la pluie qui martelait nos imperméables. Je tenais fermement ma grand-mère par le bras par peur qu’elle ne tombe, l’eau ayant rendu la route et les pierres glissantes et elle n’a cessé de me morigéner à cause de ça.


« Je vis ici depuis plus de cinquante ans, Bénédicte, je connais ces rues comme ma poche et je sais parfaitement tenir sur mes jambes ».


Me balader ici m'a donné l'impression de pouvoir à nouveau respirer correctement. Mon ancienne vie me semblait tellement lointaine désormais. Comment avais-je pu délaisser Bourton pour aller m’installer dans une ville aussi bruyante et polluée que Londres ?


Je pensais ne jamais avoir la réponse. Jusqu'à cette nuit...


J'ouvre brutalement les paupières, un cri se loge dans ma gorge, j'ai les yeux embués de larmes. Des images atroces défilent dans ma tête à vitesse grand V :


Ma mère brandissant le téléphone portable de mon père devant mes yeux parce qu'elle savait qu’il me laissait aller dessus pour jouer à jeux et que par conséquent, j’en connaissais le mot de passe. Moi pinçant les lèvres et secouant la tête pour lui signifier que je ne ferai pas ce qu'elle attendait moi. Et ces mots que je n'ai jamais pu effacer de ma mémoire "Je n’en peux plus de ne pas savoir, tu comprends ? Je n’en peux plus des mensonges. J'ai mal Beth, tellement mal et toi tu as le pouvoir d'arrêter ça. »


C'était vrai, je voulais que toutes ces disputes cessent, je voulais que ma mère aille mieux, je voulais vivre à nouveau dans une famille normale.


Alors je l’ai fait.


Et j’ai regardé son visage se décomposer en découvrant les messages que mon père envoyait à sa maitresse. J’ai vu la lumière s’éteindre au fond de son regard. J’ai vu sa vie basculer au bord d’un précipice et je sais qu’elle a voulu s’y laisser tomber, plusieurs fois mais elle ne l’a jamais fait. Pour moi. Mais dans mon rêve, cette nuit-là, elle le faisait.


Je rêve fréquemment de mes parents, de notre ancienne maison où nous avons vécu heureux pendant plusieurs années, de mon père qui m’offrait tous les livres que je désirais, de ma mère qui adorait cuisiner pour nous deux, de notre famille merveilleuse avant qu’elle n’éclate en million de petits morceaux.


Mais autrefois, j’avais Liam, il me prenait dans ses bras, me disait que tout irait bien, que j’avais le droit d’avoir mal encore même après tout ce temps. Sauf que désormais il n’y a plus personne, je dois me débrouiller seule.


Alors ce matin au lieu d'hésiter au-dessus de mon portable à envoyer un message à mon ex ou non, j’enfile un jean, un gros pull, mon imperméable, mes bottes de pluie et je sors.


Et je marche, le soleil ne s’est même pas encore levé. Je m’éclaire à l’aide d’une torche trouvé dans la buanderie de Mamie. Mes pieds piétinent dans la terre humide. Les branches dénudées dessinent des ombres partout autour de moi. Une légère brume flotte et donne des allures presque surnaturelles à l’endroit.


Après plusieurs kilomètres, je parviens à distinguer un portillon à travers le brouillard. Il est en piteux état, le bois a verdi, il ondule presque et ne tient plus qu’à l’aide de quelques clous mal enfoncés. Je prends appuie sur mes mains, vérifie que c’est encore stable avant de sauter par-dessus.


Mes pieds me conduisent eux-même ici, sur ce ponton, au bord d'un étang. Assise, les jambes remontées contre ma poitrine, je fixe la surface de l'eau qui ondule lentement. J’attends que les premières lueurs du soleil pointent au-dessus des nuages, pensant qu’elles amèneront à une solution à mes maux.


Et quand ça arrive enfin, j’observe avec précision les grands mouvements et bigarrures du lever du jour. D’immenses reflets rouges et orangés viennent transpercer les arbres, ils se reflètent sur la surface, illuminent les feuilles d’automne échouées sur l’eau trouble, lèvent la pénombre du paysage, créent un mouvement vertical qui vient réchauffer mon visage. Tout se déroule légèrement d’abord puis avec de plus en plus d’intensité. Et soudainement, une boule de feu s’élève et un halo irisé m’oblige à plisser les yeux. Quand je redresse la tête, le soleil a pris place dans le ciel, il n’est pas bien haut, il flotte à peine au-dessus des arbres mais il s’est bel et bien levé.


À ce moment précis, ça s'agite à l'intérieur de moi parce qu'être ici c’est être au milieu de tout et de rien. Un silence apaisant à l’extérieur mais un vacarme assourdissant dans mon crâne. Un paysage à couper le souffle au milieu du bordel qu’est ma vie. Avoir suffisamment d’air pour respirer paisiblement mais avoir l’impression de ne pas le faire correctement. Se sentir libre mais aussi écrasée parce qu’il y a trop de place autour de moi.


Avec tant de silence on réfléchit trop, tant d’espace on se perd, tant de grandeur on s’oublie. Tout d'un coup, je comprends pourquoi ma mère a pris la décision de quitter la campagne, elle avait besoin qu’on lui dicte sa conduite, qu’on lui impose un mode de vie pour oublier ce qui avait failli la détruire ici.


Ce qui me renvoie à ma propre peine. Liam a brisé mon cœur, après avoir comblé tous les vides de mon existence, avoir essayé de panser mes plaies et après m’avoir montré ce qu’était l’amour avec quelqu’un, il est parti et il a tout emporté avec lui.

Ellie m’a dit autrefois que la tromperie ne tuait pas. Mais elle avait tort, elle tue une partie de vous, celle que vous étiez avant, elle scinde votre être en deux, elle vous fait tout remettre en question, jusqu’à l’entièreté de votre existence. C’est arrivé à ma mère et c’est en train de m’arriver aussi. Mais je refuse de laisser ma peine me contrôler. Parce que ce n'est pas moi, je suis une femme joviale, souriante, d'un optimiste à toute épreuve, j'aime les imprévus, ne pas savoir de quoi ma vie sera faite et si cette rupture n'en est pas un alors bon sang, dîtes moi ce que c'est !


Je me suis perdue mais je vais me retrouver. C’est pour ça que je suis ici. Je veux me souvenir de celle que j’étais avant de rencontrer Liam, celle qui préférait les gros pulls aux chemisiers. Les chocolats chauds au thé glacé. Les bottes aux escarpins. Les arcs en ciel de couleur aux faibles éclats de lumière qui filtrent entre les immeubles. Je veux me retrouver entièrement, librement et parfaitement.


D’un geste lent, je récupère le carnet que j’ai glissé dans mon sac à dos. Je l’ouvre à la bonne page et j’écris quelques mots :


Jour 24

Tu me fais tout remettre en question mais contrairement au reste, je crois que c’est une bonne chose.


FIN DU CHAPITRE 15

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3

3 commentaires

Emeline Guezel

-

Il y a un an

Petit like de chez moi 🥰

GwendolineBrument

-

Il y a un an

Joli chapitre, je pense qu’elle est prête à passer à autre chose et reprendre sa vie en main.

Diane Of Seas

-

Il y a un an

💚
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