Fyctia
11.3
Suite :
— Vous ne ressemblez pas à un infirmier, je lui reproche après avoir posé les yeux sur son pantalon côtelé et son épais pull marron.
Il lâche un soupir las. Visiblement je l’agace mais il ne peut pas m’en vouloir d’être méfiante. Il fouille dans son grand sac et fini par en tirer des aiguilles et des flacons à prélèvement.
— Et quel genre de personne se trimballerait avec ça sur lui hein ? demande-t-il en haussant un sourcil.
— Un psychopathe.
Il roule des yeux et avant que je ne comprenne ce qu’il fait, sa main agrippe le bord de son pull qu’il soulève dévoilant une partie de son torse sculpté.
Qui est ce fou qui est en train de se déshabiller dans le salon de ma grand-mère ?
Je le contemple, choquée, retenant un cri sur mes lèvres. Puis je comprends qu’il veut me montrer le tatouage représentant le serment d’Hippocrate sur le bas de son ventre.
Ça ne change rien au fait qu’il est quand même fou.
— OK, je vois. Mais pour ma défense, vous faites quand même très jeune.
— J’ai vingt-six ans et j’ai été diplômé à vingt-deux, vous voulez ma carte d’identité aussi ?
Je me pince les lèvres, il se remet à sourire de manière agaçante.
Je me hisse sur mes bras pour m’asseoir sur le plan de travail, mes pieds pendent dans le vide tandis que je me mets à cogiter.
J’imagine que s’il était là hier soir c’était pour s’occuper de ma grand-mère, la question c’est pourquoi ? Elle n’a pas l’air d’aller mal. Pourtant si Mildred fait venir un infirmier jusqu’à chez elle, c’est qu’elle en a besoin et j’avoue que ce constat m’inquiète. Et si elle avait quelque chose de grave dont elle n’aurait pas voulu parler ni à moi ni à ma mère ? J’ai connu ma grand-mère en forme olympique et naïvement, j’ai toujours pensé qu’elle était éternelle. Je sais que c’est totalement absurde mais personne n’aime imaginer la mort de ses proches. Nous vivons tous comme si la vie ne pouvait pas basculer d’un moment à l’autre en oubliant parfois ce qui compte réellement pour nous.
— C’est donc vous la petite fille chérie dont elle parle tout le temps. Bénédicte c’est ça ?
— C’est juste Beth.
— Vous avez un drôle de style vestimentaire Beth.
Je baisse les yeux sur mes habits, interloquée.
— Je ne vois pas en quoi…
— Vous êtes habillée entièrement en rouge.
— J’adore cette couleur.
— Je trouve ça plutôt étonnant qu’une fille aussi renfrognée porte autant de couleur sur elle.
— Je ne suis pas… eh, c’est super vexant ce que vous dites là ! je m’offusque.
Son sourire s’élargit sur son visage, si je ne le trouvais pas aussi déplaisant, je pourrais presque le trouver mignon. Presque.
Je pourrais rétorquer, me lancer dans une joute verbale, l’envoyer se faire paître mais si je veux lui soutirer des informations, je dois me montrer correcte. Je croise les mains sur mon pantalon comme une bonne petite fille modèle et prend sur moi.
— Peut-être que je suis un peu renfrognée en ce moment mais peu importe. Pourquoi est-ce que vous consultez ma grand-mère au juste ?
Sa manière de m’observer change soudainement, son sourire s’effrite jusqu’à disparaitre complètement sous un voile sombre, ses yeux deviennent ombrageux comme une tempête au coeur de l'océan.
— Ça fait combien de temps que vous n’êtes pas venue la voir ?
Sa question me prend au dépourvue.
— Je vous demande pardon ?
— Si vous vous intéressiez un minimum à elle vous sauriez qu’elle est diabétique.
Il me fusille du regard, je sens l’indignation couler dans mes veines, elle me fait bouillir sur place.
— Je le sais, figurez-vous.
— Ah bon ? Ça m’étonne beaucoup étant donné que je ne vous ai jamais vu dans le coin. Mildred m’a toujours vanté les mérites de sa petite fille parfaite mais il faut croire que vous ne l’êtes pas tant que ça pour l’avoir abandonné pendant toutes ces années.
Je suis abasourdie, sonnée, retournée. Il me faut ouvrir et refermer plusieurs fois la bouche avant de réussir à articuler le moindre mot.
— Je ne sais pas de quel droit vous vous permettez de me juger mais…
— Elle a fait une crise il y a trois ans, me coupe-t-il, elle a atterri dans l’hôpital où je travaillais et c’est comme ça que je l’ai rencontré. Je passais prendre sa tension et lui administrer son insuline tous les jours, parfois, quand le service était calme je jouais aux petits chevaux avec elle et elle me racontait son histoire. C’est comme ça que votre nom est apparu. Elle est restée deux semaines à l’hôpital et après s’être assuré qu’elle allait bien, nous l’avons renvoyé chez elle. La dernière chose qu’elle m’ait dite en partant c’est qu’elle allait regretter de ne plus avoir de compagnie. Ça m’a fendu le cœur, alors je suis revenu.
Il se tient désormais devant moi, son odeur de lavande s’éparpille partout dans la cuisine. Il est agacé, irrité, insurgé, son pouls affolé pulse sous sa peau, ses poings sont crispés le long de son corps. Il n’a plus rien du garçon sympathique que je croyais avoir vu.
— Votre grand-mère va bien mais elle se sent terriblement seule, voilà pourquoi je la consulte.
Mon cœur cogne contre ma poitrine. Je déglutis, le regard plongé dans le sien, en ayant l’impression que mon propre procès vient de se dérouler sous mes yeux. Et devinez-en l’issu ? J’ai été condamnée coupable.
Dire que ses paroles ne me font pas mal serait mentir. La culpabilité me gagne lentement, dangereusement.
Seulement de quel droit se permet-il de me faire la morale ? Il n’a aucune idée des épreuves que j’ai traversé dans ce village pourri ni à quel point y revenir me coute. Alors non, je ne suis peut-être pas la petite fille de l’année mais j’aime ma grand-mère et je ne permettrai pas qu’un inconnu remette ça en question.
Je le repousse d’une main et bondit sur mes jambes pour faire ce que j’ai toujours fait dès qu’une situation dégénérait : fuir.
FIN DU CHAPITRE 11
8 commentaires
C. E. Rivetto
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Il y a un an
Felicia 🖤
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Il y a un an
KBrusop
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Il y a un an
lea.morel
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Diane Of Seas
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Il y a un an
GwendolineBrument
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Il y a un an
Felicia 🖤
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Il y a un an
Hopeless_
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Il y a un an