Fyctia
7.2
Le bar où Ellie se trouve est en réalité bien plus loin que Gladstone Park et dans un coin tellement paumé que les transports en commun le desservent très mal.
Je me gare sur le parking mal éclairé dont elle m’a partagé la localisation puis, lui envoie un rapide texto pour la prévenir de mon arrivée. Bras croisés, sourcils froncés, je patiente en agitant la tête sur le rythme de la chanson qui passe à la radio. Les minutes s’égrènent et ma meilleure amie continue de se faire désirer. Son silence m'inquiète plus qu'il ne m'agace, ce n'est pas son style de ne pas répondre à mes messages.
Je sors de la voiture en trombe, le coeur battant, brave la pluie qui inonde la chaussée et pénètre dans le pub en claquant des dents, les cheveux et les baskets trempés. À l'intérieure c’est sombre et ça suinte la friture. Un mec s'acharne à gratter sa guitare électrique sur une scène improvisée au fond de la salle. Impossible de caractériser ce qu'il fait comme étant de la "musique", ça serait une offense aux plus grands artistes de ce monde.
Il ne me faut que quelques secondes pour repérer Ellie, assise sur un tabouret près du bar, le dos vouté, elle trempe un bâtonnet de poisson dans de la sauce blanche. Pas besoin d’être inspecteur pour voir qu’elle ne va pas bien. Ma poitrine se relâche, au moins elle ne s'est pas attirée d'ennuis.
Je la rejoins en quelques enjambées et lâche un grognement d'ours mal léché en me faisant bousculer par un homme complètement saoul.
Quelle idée Ellie a eu de venir se perdre ici alors qu’elle habite en plein cœur de Londres ?
Je tapote son épaule, elle lève un regard affligé vers moi et un éclair d’espoir traverser ses iris marrons avant de s'éteindre subitement.
— Oh, c’est toi…
Impossible d’ignorer la déception dans sa voix. Je tire un tabouret pour me laisser tomber à côté d’elle. Anthony Bridgerton passe au second plan, là c'est une situation critique.
— C’était qui le sale type cette fois ?
— Steve
— Et qu’est-ce qu’il a fait ?
— Homme marié, sa femme est venue taper un scandale ici me collant la honte de ma vie.
J’ouvre la bouche, puis la referme et finis par lancer la première chose qui me vient :
— Les mecs ça craint.
— Carrément. Enfin... - elle fait tourner son reste d'alcool dans le fond de son verre - j’imagine que je n’ai pas trop de raison de me plaindre, le mien ne m’a pas quitté au bout de cinq ans de relation en me disant que je ne lui suffisais plus pour m'avouer juste après m’avoir trompé avec sa prof. Attend il l’a fait avant ou après t’avoir quitté ?
— Avant, je marmonne.
— Splendide connard honnête.
Je grimace.
— Ravie de t’aide à relativiser
Elle ricane amèrement et vide son verre d’une traite.
— Serveur, je peux en avoir un autre ?
L’homme derrière le bar hoche la tête. Il est aussi étrange que le bar dans lequel il travaille avec sa coupe lisse de garçon "parfait" et ses grosses lunettes à monture écaillée, il n'a absolument pas la tête de l'emploi. On croirait plutôt qu'il s'est perdu.
— Toi aussi tu devrais en prendre un, me conseille Ellie.
— Je conduis, je te rappelle.
— Ah ouais… Bah prend-toi quelque chose, histoire de me dire que je ne suis pas venue ici pour rien.
Je fronce les sourcils, tout en la dévisageant. Ellie n’a jamais eu de petit copain, enfin jamais rien de sérieux, elle est toujours tombée sur des nigauds et collectionne les déceptions comme Leonard Dicaprio enchaine les rôles depuis qu'il a dix-sept ans. Elle a pendant longtemps envié la stabilité que j’avais avec Liam sauf qu’aujourd’hui, c’est moi qui l’envie. Elle n’a besoin de personne. Elle est son propre roc. Et moi je suis là, à patauger et à essayer de faire tenir les fondations de ma vie qui sont en train de s’effondrer les unes après les autres.
— Faites-lui une tisane à la camomille, s’il vous plait.
Ses paroles me parviennent de loin. Ce n’est que quand la tasse fumante apparait devant moi que je remarque que le regard de ma copine est braqué sur moi.
— T’es dans un sale état.
— J’ai mal dormi, je rétorque, vexée avant de me souvenir que c'est certainement à cause de l'alcool qu'elle dit tout ce qui lui passe par la tête.
— Y’a pas que ça.
— Quoi ?
— T’as mis un jogging et un sweat.
— C’est mon pyjama, je grommèle en prenant la tasse chaude entre mes mains.
— Ils sont noirs tous les deux.
Je hausse un sourcil, une moue dubitative plaquée sur le visage.
— Tu ne portes jamais de noir Beth, que de la couleur, toujours.
— Eh bien, ce soir je n’avais pas envie d’en mettre.
— La Beth que je connais ne…
— La Beth que tu connais n’est pas là Ellie !
Ma voix raisonne trop fort, la moitié des personnes présentes se retournent pour me scruter bizarrement. Ellie aussi m’observe, en battant des cils, j’arrive presque à voir les engrenages de son cerveau tourner dans sa boite crânienne.
Je me ratatine sur ma chaise et me mordille la joue, honteuse.
Pourquoi est-ce que suis-je incapable de gérer mes émotions en ce moment ?
— Excuse-moi, je reprends d’une voix plus calme, je suis tendue.
— Non, ne t'excuse pas. Je suis ton amie, tu peux aller mal avec moi et me hurler dessus, je m'en moque.
Aller mal. Ces deux mots suffisent à me nouer la gorge. J’ai toujours agi comme ça, dévorant mes propres émotions, les camouflant au plus profond de mon être pour les faire disparaitre.
J'ai quand même la sensation d'avoir dépassé les bornes alors je me décide de me taire. Mais Ellie reste Ellie, elle est capable de trouver le coeur de mon problème et de le déraciner sans que je n'ai besoin d'ouvrir la bouche.
— Je peux te poser un question qui ne va pas te plaire ?
— Même si je te répond non tu le feras, alors ne te gêne pas.
Elle sourit, amusée.
— C’est quand la dernière fois que t’as été vraiment heureuse ?
J'entrouvre la bouche mais elle m'interrompt rapidement :
— Je veux dire, sans lui.
Ma mâchoire claque et je souffle, essayant de démêler le nœud d’émotions qui m’obstrue la gorge.
Mon regard se pose sur la boisson qui est en train de refroidir entre mes mains et je me perds dans mes pensées.
Mes souvenirs affluent, accompagné d'une amère mélancolie, elle me transperce le coeur parce que Liam est présent sur chacun d'eux, il apparait partout : lors de mes derniers éclats de rire, mes nuits de sexe les plus envoutantes, le visionnage de mes films préférés, mon premier Noël à New York, l'achat de mon appartement, mon permis de conduire, le concert de Adèle, la rencontre avec mon auteur préféré...
Je serre les poings pour chasser ces images fugaces qui tentent de m'empoisonner l'esprit.
Je remonte encore plus loin dans ma mémoire.
La dernière fois que j’ai été vraiment heureuse sans lui ?
Je porte la tasse à mes lèvres et le goût de la camomille agit comme une potion magique, il me fait replonger des années en arrière, quand mon seul problème c’était de savoir lequel du gel douche à la framboise ou à la cerise j’allais utiliser.
Et soudainement, tout s’éclaire.
FIN DU CHAPITRE 7
15 commentaires
Nina Fenice
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