Fyctia

Suite :

— Ça dure depuis quand ?

Il passe une main dans ses cheveux et lâche un profond soupire.

— Ça n’est arrivé qu’une fois et c’était la semaine dernière.

J’encaisse le coup. Ou pas. Je dirais juste que je garde la face. Je me lève, pénètre dans la cuisine et récupère le tire-bouchon dans l’un des tiroirs. Puis je reviens sur mes pas. Mon corps me semble trop lourd pour moi, ou peut-être que c’est mon cœur, j’en sais trop bien.

— Et qui est-ce ?

— À quoi ça va t’avancer de le savoir ?

— À pas mal de choses.

— Ma prof.

Je lève les yeux vers lui et le scrute, si je n’étais pas sur le point de m’effondrer peut-être que j’aurais éclaté de rire ou que ma mâchoire se serait décrochée pour aller toucher le sol.

— De théâtre ?

Il hoche la tête, me regardant avec ses yeux de chien battus, ce qui ne me laisse pas indifférente et il le sait parfaitement. Seulement, je ne peux pas éprouver de la peine, c’est lui qui est en train de me briser le cœur, pas l’inverse.

— Elle a quoi ? Quarante ans ?

— Trente-trois.

— Et qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ? je demande en débouchonnant la bouteille.

— Rien du tout, Bénédicte.

— Ne m’appelle pas comme ça.

Je porte le goulot à ma bouche et avale quelques gorgées. Le vin n’est même pas bon mais je me force à boire. Il soupire à nouveau.

— Kelly est… une excellente élève. On est en compétition elle et moi pour le premier rôle de la pièce cette année. Elle m’a surpris la semaine dernière quand c’est arrivé, elle a tiré des conclusions hâtives et s’est dit que…

— Que tu passais sous le bureau pour obtenir ce fameux rôle.

— Entre-autre.

— Et c’est le cas ?

— Non. J’ai dérapé OK ?

Je ricane amèrement.

— Bel accident.

Ses épaules se voutent devant moi et je ravale la bile qui monte dans ma gorge. Je le regarde à nouveau mais cette fois la vue m’est trop douloureuse pour continuer à le fixer, alors je bois une gorgée puis deux, parce que j’écris des histoires et que je le sens venir, l’interminable monologue où le mec décide de larguer sa nana. Mais laissez-moi vous dire que c’est vachement moins plaisant en vrai.

— Écoute Beth… Je ne savais pas comment te le dire mais je te jure que je comptais le faire. Ça fait plusieurs mois que je suis paumé, je ne sais pas ce que je veux, enfin si… Je le sais, mais je n’avais pas envie de t’entrainer là-dedans. Ça fait quatre ans qu’on est ensemble et…

— Cinq.

— Quoi ?

— Ça fait cinq ans.

Il se mord la lèvre, je vois la culpabilité gagner ses traits. J’essaye d’ignorer la faiblesse que je ressens quand je le vois dans cet état-là. J’ai toujours détesté le voir triste, ça m’arrachait le cœur à chaque fois. Le voir sourire était ma première raison de vivre. Liam est un rayon de soleil à lui seul vous voyez de quoi je veux parler ? C’est cette personne qui entre dans une pièce et qui éclaire tout sans s’en rendre compte, avec lui, tout semble toujours merveilleux, palpitant, les gens l’aiment pour ce qu’il dégage et je n’ai jamais fait exception à la règle.

— Et je crois que j’ai besoin de me retrouver seul.

Une larme roule sur ma joue sans que je ne puisse la retenir. Je m’empresse de l’essuyer mais je sais déjà qu’il l’a vu.

— Alors tu ne m’aimes plus ?

Je sais à quel point je peux paraitre pathétique à ce moment même mais laissez-moi vous dire que je n’en ai rien à cirer. Ma fierté a déjà été piétinée et roulée dans la boue, je ne suis plus à ça près.

— Je t’aimerai toujours Beth, t’as été là dans les meilleurs moments de ma vie mais je crois simplement que je ne t’aime plus comme il le faut. J’aspire à mieux. Je veux une grande carrière, une belle maison sur la côte hollywoodienne, des oscars, des fans dans le monde entier, des films à succès… Tu n’as jamais rêvé de tout ça. Notre histoire était belle quand nous étions jeunes mais maintenant je crois qu’on ne se correspond plus…

Je hoche la tête en me mordant la joue jusqu’au sang pour calmer ce ras-de marée qui est en train de déferler en moi.

— OK, je marmonne.

C’est tout ce que je suis capable de dire. Parce que je sais que si j’ouvre la bouche, j’essaierai de le retenir et je serai encore plus pathétique qu’en ce moment-même. Si la vie m’a appris une chose c’est que si quelqu’un veut partir, il ne faut pas le retenir. Il n’y a que les bonnes personnes qui restent. Les autres s’en vont, c’est inéluctable.

Je porte une nouvelle fois la bouteille à ma bouche, le goût du vin ne m’a jamais semblé aussi répugnant, mon estomac se tord, montrant son mécontentement mais je l'ignore.

— Alors prends tes affaires et va-t’en.

Il se lève et fait un pas vers moi.

— Beth, je…

Je secoue la tête pour l’empêcher d’avancer.

— S’il te plait Liam. Pars.

Ses épaules s’affaissent. Son regard cherche le mien mais moi je le fuis.

J’aurais aimé vous dire qu’il est resté, qu’il a changé d’avis, qu’il s’est confondu en excuses et en plainte et m’a supplié de le garder, me déclarant sa flamme comme dans un stupide film romantique mais non, sinon il n’y aurait pas d’histoire à raconter. Je sais que les meilleures d’entre elles commencent toujours avec une âme en peine, je ne pouvais pas imaginer que cette fois, ça serait la mienne qui en pâtirait.

FIN DU CHAPITRE 1