Fyctia
1.1
LONDRES
13 septembre 2023
Je suis incapable d’arrêter de marteler le sol avec mon pied. Depuis que je suis entrée dans ce bureau j’ai la sensation d’être une pile électrique qu’on aurait trop rechargée.
— Donc vous n’avez aucune expérience avec les enfants ?
— Non mais j’apprends vite !
J’adresse le plus beau sourire que j’aie dans ma réserve à la femme assise en face de moi. Elle me dévisage longuement par-dessus le verre épais de ses lunettes rouges puis son regard s’abaisse sur mon CV décoré uniquement des petits boulots sans grandes valeurs que j’ai enchainés durant ma vie, des emplois étudiants pour la plupart. Ses yeux se plissent.
— Mademoiselle Blackwood, j’ai vu une vingtaine de profils depuis ce matin, alors maintenant dites-moi, pourquoi devrais-je vous choisir vous plutôt qu’un autre ?
Parce que j’ai besoin d’argent ?
Je pince les lèvres pour m’empêcher d’être totalement transparente avec cette femme à l’air dédaigneux. Pourquoi se sent-elle obligée de m’interroger comme si j’essayais de décrocher un job à la Nasa ?
Je glisse l’une des mèches de mes cheveux derrière mon oreille et me redresse sur ma chaise.
— J’écris des histoires depuis que j’ai seize ans et je sais qu’il faut beaucoup d’imagination pour tenir occupé un enfant de neuf ans mais justement, ce n’est pas ce qui manque chez moi, j’en ai même à revendre.
Elle se mordille la lèvre, hésitante, non sans me quitter des yeux, avant d’être gouvernante cette femme était flic, j’en mettrai ma main à couper. Elle m’observe avec une telle insistance que je serai capable en ce moment-même de plaider coupable pour un crime que je n’ai pas commis.
Je croise les mains en dessous la table en signe de prière silencieuse. Qu’on abrège mes souffrances, par pitié.
Au bout d’une longue minute qui semble durer une éternité pour moi elle déclare :
— Soyez-là demain à sept heures. Je ne tolèrerais aucun retard, sachez-le.
Je bondis brusquement sur mes pieds et me penche par-dessus la table basse pour attraper la main de Miss Dinkler.
— Merci ! Merci infiniment ! Vous ne serez pas déçus, je m’écris en lui secouant le bras dans tous les sens.
Elle grimace et me repousse d’un geste peu délicat.
Je quitte la demeure Adams en étant au comble de la joie, le cœur plus léger. Je resserre mon écharpe rouge autour de mon cou et tourne au bout de la rue en sautillant. Une rafale de vent vient soulever le bas de ma jupe tandis que je pénètre dans la bouche de métro, je retiens les bords plaqués contre mes cuisses sans être capable de me départir de mon sourire.
J’ai enfin un travail. Fini les fins de mois difficile. Fini de manger des assiettes de pâtes à toutes les sauces. Je vais pouvoir me reprendre en main.
C’est comme si avec ce « oui », les problèmes qui me pesaient depuis des mois s’étaient envolés dans les airs. Ce mois d’octobre, ne pouvait pas mieux débuter.
Je suis tellement heureuse que je décide de faire un arrêt imprévu au supermarché pour aller acheter une bouteille de vin. Liam m’a promis qu’on passerait la soirée ensemble, il repasse le premier volet de la saga Harry Potter à la télévision et c’est notre tradition à tous les deux de le revoir chaque année. Je fais aussi un détour par mon restaurant chinois préféré pour acheter des soupes avant de reprendre mon chemin.
Il est huit heures passé lorsque j’arrive en bas de mon immeuble, trempée de la tête au pied à cause de la pluie qui faisait rage dehors. Mes cheveux sont en train de gonfler sur le sommet de mon crâne et mon mascara a coulé sous mes yeux. Je n’ai qu’une hâte, me glisser sous une douche bien chaude puis annoncer la merveilleuse nouvelle à mon copain. Je suis certaine qu’il se réjouira tout autant que moi. Et j’ai déjà une petite idée sur la meilleure manière de conclure cette soirée.
Une fois sur le seuil, je déboutonne mon manteau et ouvre un peu plus le décolleté de mon chemisier pour qu’il laisse entrevoir une belle partie de ma poitrine, je passe une main rapide dans mes cheveux, lisse le devant de ma jupe que je remonte un peu sur mes cuisses et plaque un sourire enjôleur sur mes lèvres, un de ceux dont j’ai le secret.
Je m’apprête à toquer, le cœur battant à cent à l’heure à cause de l’impatience lorsque des voix qui retentissent de l’autre côté de la porte m’interpellent.
— Va-t’en !
— Non ! Tu ne penses pas qu’elle mérite la vérité ? Arrête de berner ton monde Liam.
Je fronce les sourcils. Mon cerveau se met à tourner à plein régime sous ma boîte crânienne mais j’ai beau y réfléchir je suis presque certaine de n’avoir jamais entendu cette voix féminine auparavant. J’essaye de ne pas tirer de conclusion hâtive mais c’est plus fort que moi, le poison de la jalousie se propage dans mes veines et mon premier réflexe est de me pencher à nouveau en avant. Écouter aux portes est impoli me diriez-vous, mais cette règle ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de votre appartement et en l’occurrence de VOTRE porte.
Celle-ci d’ailleurs s’ouvre brusquement à la volée, me faisant perdre l’équilibre. Je me heurte de plein fouet à une femme et effectivement je ne m’étais pas trompée, je ne la connais pas. Une fragrance florale flotte autour d’elle tandis qu’elle passe devant moi d’un pas rapide.
Je veux la retenir mais c’est finalement elle qui s’arrête au milieu du couloir pour me faire face. Ses longs cheveux noirs comme l’ébène flottent dans son dos et son regard de lionne se pose sur moi. Elle doit faire une tête voire deux de plus que moi et porte une longue robe sombre marquée à la taille par une ceinture dorée et surmontée d’un long manteau Longchamp. Là, tout de suite je me sens pitoyable dans ma jupe à carreaux sale, avec mes bottines rouges usées et mon nœud blanc dans les cheveux.
— Tu dois être sa petite amie ?
À suivre...
18 commentaires
Nina Fenice
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GwendolineBrument
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C. E. Rivetto
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