Fyctia
Chapitre 2
La pluie s’était abattue sur nous, et rendait les recherches pénibles. L’air était lourd, les gouttes qui s’écrasaient sur nous brûlantes, et la végétation m’écorchait les mollets à chaque pas. Mais je ne m'arrêtais pas de marcher. Un pas, puis l’autre, me répétais- je, avancer en ligne, ne pas perdre de vue les autres.
“Morte ou vive”. Ça n’était pas une phrase de la vraie vie, de cela, j’étais persuadée jusqu’à récemment. Un cowboy, oui, il pouvait dire ça, une espionne au service d’un roi, tout à fait, mais un homme ? Un vrai ? “Morte ou vive”, j’avais peur.
La nuit, j’avais arrêté de dormir. Marcher, avancer en ligne, ne pas perdre de vue les autres, il n’y avait que ça.
Tant que ma mère ne serait pas revenue, j’avais mis ma vie sur pause. Mon père lui, avait pris la situation en main avec une dextérité que je ne le lui avais jamais vue. Bien sûr, les premières heures, la panique s’était emparée de lui, mais il avait vite réussi à reprendre contenance. Il avait appelé la police, organisé les recherches, offert du café aux bénévoles à tours de bras. Je le voyais dans son bureau, batailler avec des montagnes de papiers administratifs. Une ride lui barrait le front et ses lunettes, qui auparavant me paraissaient drôles, ne le quittaient plus et lui donnaient un air sévère.
Je repoussais le drap qui me recouvrait et me levais pour éteindre le ventilateur qui ronronnait dans un coin de la chambre. Il faisait trop et pas assez de bruit en même temps; je pouvais entendre mes pensées battre des ailes et se heurter entre elles.
Je m'approchais de la fenêtre et entrouvrit les rideaux épais, la lune n'était encore qu'un croissant très fin, je pouvais à peine la voir. La lumière verte fluorescente de mon réveil me fit mal à la tête, mais je réussis à déchiffrer l’heure; 2h46, me disaient fièrement les chiffres clignotants. Je n’avais dormi que 3h. Je m’étirais pour tenter de réveiller mon corps engourdi, mais cela n’eut d’effet que de me faire bailler. Je retirais une mèche de cheveux blonds qui s’était coincée entre mes lèvres et les relevais avec une pince. Avant de sortir de la pièce, je reconsidérais quelques instants l’option de retourner dans mon lit. Mais ma mère était toujours dehors, je ne savais pas où et je ne savais pas avec qui.
Ma tête était embrumée, et quand je pénétrais dans la salle de bain, je me dis, pendant un instant, que ce que je voyais était une hallucination. Mais les bruits de verre cassé qui résonnaient sur le carrelage me ramenèrent très vite à la réalité. Une femme inconnue, vêtue de noir, était en train de soulever, de vider, de briser chacun des bibelots de la pièce. Je voulus me cacher, m’enfuir, mais sa tête se tourna vers moi dans un craquement. Un éclair fendit le ciel. Ses yeux jaunes s’étaient attachés à moi, elle était immobile, me fixait. Une sueur froide coula dans mon dos. Ma cage thoracique était écrasée sous le poids de son regard. Mes jambes ne m’obéissaient plus, elles étaient devenus du coton, je vivais littéralement mes pires cauchemars. Mais quand la femme se mit à sourire, dévoilant ses minuscules canines, mon traitre de cerveau reprit enfin le contrôle de mon corps. Je hurlais. D’un hurlement à faire trembler les murs, à effilocher mes cordes vocales. D’un hurlement qui, j’y croyais presque, pourrait créer une barrière entre le monstre et ma peau tendre.
Sans prévenir, elle bondit. En un seul mouvement arachnéen, elle était devant moi. Je me mis à courir, si vite que je ne voyais ni ne sentais plus mes jambes se mouvoir. Je me dirigeais vers la chambre de mes parents, il n’y avait pas d’issus.
Je tournais la tête, les yeux exorbités. Je devançais encore la créature de quelques mètres. Je respirais. Un second coup d’oeil derrière moi. Elle était là, un pas de plus et elle pourrait attraper ma cheville de ses longs doigts fins. Un pas de plus et …
J’y étais presque, une porte était ouverte devant moi. En un battement de cil, j’étais dans la pièce noire, la poignée m’était rentrée dans les côtes, mais j’avais continué. J’aurais arraché mes os si ils étaient restés coincés.
Mon père n’était pas dans son lit. Heureusement, pensais-je, je l’aurais réveillé.
Un claquement, puis un bruit sourd. Je fermais la porte à clefs. Et maintenant, le monstre grattait contre la porte en bois. J’imaginais ses mains se couvrir d’échardes et d’écailles de peinture. Les bruits s'arrêtèrent soudain.
Je jetai un regard à la fenêtre, le ciel retenait son souffle.
Je blêmis, impossible de détendre mes sourcils arqués et mes traits tirés. Je restais immobile pendant de longues minutes, attentive au moindre souffle de vent qui viendrait du couloir. Mes battements de coeur résonnait dans mes oreilles, ils emplissaient ma tête. J’hésitais à ouvrir la porte maintenant que le couloir avait l’air silencieux, je me sentais prise au piège dans la chambre noire et vide. Je repensais à me mère, il y a quelques jours à peine, qui avait dû ressentir la même terreur que moi à cet endroit exact. Allais-je disparaitre, moi aussi ?
Et alors que j’allais abaisser la poignée, quelque chose vint cacher la lumière qui s’infiltrait sous la porte. Quelque chose qui poussait, s'agrippait au sol et gagnait du terrain à chaque millième de seconde qui passait. Je reculais à pas rapide mais la chose était trop rapide, trop vive. Elle frôlait mes chevilles, tentait de s’enrouler autour d’elles. C’était une plante. A la lumière des étoiles, je reconnus le vert vif d’une jeune pousse. Bientôt, la moitiée du sol de la chambre fut envahi de la même couleur. Je dansais comme un pantin, essayant d’éviter les attaques végétales et de poser mon pied sur les tiges du mieux que je le pouvais. Mes muscles me brulaient, mes poumons aussi. Acculée contre le mur, je me voyais déjà perdue.
Les tiges clouaient mes chevilles au sol. Je pouvais encore les bouger légèrement mais c’était peine perdue, plus aucun moyen de m’échapper. Je n’ai plus que mes yeux pour pleurer, je me répétais cette expression.
Le porte de la chambre s’ouvrit, la femme réapparut. Sa démarche était lente, cette fois ci. Elle prenait son temps, elle savait qu’elle avait gagné. Un nouvel éclair dans le ciel, une pluie fine se mit à tapoter contre la fenêtre. La fenêtre.
La fenêtre, chuchota-je, comme pour me donner du courage
Je me penchais en avant, pris de l’élan, et d’un coup d’épaule, tentais de briser la vitre en verre. Je dus m’y reprendre à plusieurs fois, mes coups étaient acharnés, brouillons et douloureux, mais quand je sentis enfin un courant d’air me caresser la joue, je n’hésitais pas une seconde, je sautais dans le vide.
Je sentis les doigts osseux de la créature se resserrer autour de mon mollet. Et je vis son corps, masse informe, se rapprocher à toute vitesse du mien. Je ne pouvais rien faire.
Notre chute fut longue, lente.
4 commentaires
Mary Lev
-
Il y a 2 mois
Mary Lev
-
Il y a 2 mois
Mary Lev
-
Il y a 2 mois
Mary Lev
-
Il y a 2 mois