Fyctia
Chapitre 27
Mes pas font bruisser l’herbe foulée plusieurs fois autour de ma tente. Je ne peux pas dormir. Pas sans avoir vu Hyacinthe, une dernière fois. Mais je sais que je ne le pourrais pas. Il a perdu, lui qui est si fort, et le règlement interdit aux Élus de revoir leurs anciens camarades. Seuls nos soutiens peuvent nous parler. L’ironie, c’est que, parmi toutes les personnes à mes côtés, Hyacinthe était celui qui parvenait le mieux à me remonter le moral.
Et, en ce moment, c’est ce dont j’ai le plus besoin. Sans lui, je suis perdue. Sa réconfortante présence près de moi lors des épreuves, son soutien à la fin, son écoute et son empathie toujours disponibles quand j’allais mal… À partir d’aujourd’hui, je ne les aurai plus. Sans mon camarade de tous les combats, je ne vais pas m’en sortir.
Pourtant, je devrais me réjouir de son salut. Hyacinthe, terrassé par sa plus grande peur, a tout gagné : une vie paisible, avec sa compagne et son futur enfant. Une vie dans laquelle le Courroux n’a plus son mot à dire. Une vie peut-être empreinte de la honte d’avoir, selon tous, lamentablement échoué, mais une vie heureuse. En cet instant, je comprends que la gloire, le fait de se démarquer, n’est pas le plus important dans la vie. L’important, c’est de vivre. Et Flamme elle-même ne trouve rien à ajouter à cela.
Mais moi, je ne suis pas en sécurité. Je dois continuer, poursuivre le tournoi jusqu’au bout. Je me battais seulement parce que Hyacinthe le faisait aussi. Finalement, j’ai réussi, et il a échoué. Il ne reste plus que moi, et trois amis. L’un de nous mourra, et c’est inévitable. Quoi qu’il arrive, je ne m’en relèverai pas. Aux portes de la dernière épreuve, celle du mental, qui se jouera de nos peurs et narguera notre ténacité, je n’ai qu’une envie, celle d’abandonner.
À quoi bon continuer sans mon compagnon d’armes ? À quoi bon aller au bout s’il ne m’y attend que tristesse et désolation ? Je pourrais rester là et me laisser tomber dans l’abîme sombre sans passer par la case finale car, peu importe, toutes les routes y mènent. Souviens-toi : quoi que tu fasses, tu n’échapperas pas à ton destin.
Je me sens plus impuissante, plus vulnérable que jamais. Le faucon erre au dessus de moi, prêt à plonger à chaque instant. Je ne survivrai pas à ce qui va suivre. Pas sans l’œil doux du grand frère qui a remplacé celui que j’ai perdu dans les flots, au moment où, moi-même, j’allais m’y perdre… Il est mon pilier, mon bouclier face au désespoir. Sauf qu’il ne peut plus allumer la lumière qui me ferait y voir plus clair, alors l’obscurité m’emporte.
Je n’ai plus la force de marcher sous l’immensité du ciel étoilé, d’où peut surgir à tout moment une menace qui me détruirait. J’entre, vaincue, sous ma tente, même si je sais que l’insomnie me tiendra compagnie jusqu’à l’aube. Lorsque l’on est deux dans un seul cerveau, c’est dur de ne plus penser… Flamme intervient pour confirmer mes dires, alors je ne réplique pas et m’allonge sur mon lit de mousse. Puis j’attends. Je ne sais pas quoi exactement, peut-être un miracle, une porte de sortie, une solution pour échapper à ce supplice et rentrer, avec lui, à la maison…
Étrangement, ce miracle ne vient pas, mais c’est le sommeil qui finit par m’emporter. Et il me ramène à la maison, à mon village qui m’a tant manqué… Je zigzague entre les arbres, pressée de retrouver ceux que j’aime. À l’entrée des fortifications, j’aperçois un éclair roux sombre, qui me saute dans les bras et pleure. Je croise le regard bleu gris de Prune, rassuré que je sois de retour, que j’aie tenu ma promesse. La minuscule couette blonde et sautillante d’Écume suit, et ma petite sœur s’agrippe à ma jambe.
Je ris, très heureuse de les revoir. Devant moi, les villageois forment une haie d’honneur. Ils me saluent, me félicitent, m’acclament, me complimentent et m’honorent. Tout le monde semble joyeux, content de me revoir. Une grande allégresse règne sur le Village de la Forêt, tandis que je me jette dans les bras de ma mère, qui m’enveloppe de son doux parfum de fleurs. Je suis en vie, aimée est reconnue de tous. Aucun doute : c’est un rêve.
Tout semble si vrai que j’en ai les larmes aux yeux. Pourquoi mon cerveau m’envoie-t-il ce songe, alors qu’il sait très bien que ça n’arrivera jamais, que je ne pourrais pas être heureuse ? Fait-il cela pour me narguer ? Est-ce une invention de Flamme, pour me faire craquer, une fois de plus ? Quoi qu’il arrive, c’est réussi. Ces visages joyeux, libérés de tout souci, qu’est-ce que j’aimerais les revoir…
Avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, tout bouge autour de moi. Les couleurs se mêlent en un tourbillon perturbant, à en donner le vertige. Était-ce comme ça, les changements de décor au théâtre, de chaîne à la télévision ? Je n’en sais rien, mais je dirais que non. Je me retrouve dans un endroit étrange. Je flotte dans un espace infini coloré d’un bleu nuit. L’immensité de ce lieu lisse, sans défaut, me met mal à l’aise. Mais je ne suis pas totalement seule : un regard brûlant et ambré m’observe.
Je retrouve, après plus de vingt jours sans avoir croisé son regard empli de haine, le loup. Ce fier canidé à la fourrure bicolore, semblable à un tronc couché maculé de neige, m’observe en silence. Seules ses folles prunelles rougeoyantes crépitent et se meuvent dans la pénombre. Jusqu’à ce que sa gueule, démasquant ainsi une rangée de petits poignards de fer, s’ouvre, et qu’un grognement s’en élève :
« Je t’avais prévenue. Jamais tu ne remporteras les batailles que tu mènes. Jamais tu ne vaincras ton conflit intérieur, tes pires peurs, et surtout le Courroux. Car le Courroux est roi, et nul n’échappe à ses lois vénérées. »
Tout mon être est ébranlé, mais déjà une autre scène se matérialise sous mon regard confus. Cette fois, je suis agenouillée sur la terre tapissée de rares feuilles mortes. À vue d’œil, je me trouve dans ma forêt, hors du village. Mais un bruissement fluide et incessant me fait tourner la tête et apercevoir le ruisseau. Tout de suite, j’ai un mauvais pressentiment. Et c’est là que je le sens. Je sens l’humidité sur mes joues, qui coule encore de mes yeux douloureux. Mais surtout, je sens ce liquide chaud et poisseux qui macule mes mains blanches et ma tunique verte d’écarlate. Et je sens le poids de son corps dans mes bras.
Lorsque mon regard accroche ses mèches blondes cendrées et son visage hâlé qui semble endormi, si l’on ne voit pas la plaie béante à son cou d’où coulent des flots rouges, ma main se porte à ma bouche. Mes yeux s’agrandissent, ma respiration se bloque, pas un seul de mes doigts ne bouge. Et j’observe, violemment heurtée par son immobilité molle, sa bouche grande ouverte et ses yeux noisettes qui semblent éteints, Hyacinthe, que je serre dans mes bras.
Le choc m’empêche de bouger. J’oublie qu’il s’agit d’un rêve, tant il me semble vrai. Et Flamme martèle incessamment mon esprit, plus impitoyable que jamais. C’est de ta faute ! Idiote ! Assassine ! Bonne à rien, seulement à crever !
8 commentaires
Vanilla_monnard
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Il y a 7 mois
Jessica Goudy
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Il y a 7 mois
C. Tardielle
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Il y a 7 mois
Emilie M.
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Il y a 7 mois
Jehan Calu de Autegaure
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Il y a 7 mois
Manon Graulier
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Il y a 7 mois
Rouka
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Il y a 7 mois
Emilie M.
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Il y a 7 mois