Fyctia
Chaud et froid - Lucie (2/2)
Célia se raidit, puis rit et enfin s’échappe pour prendre son bus, sans explication. Ignore-t-elle vraiment l’embarras dans lequel elle nous plonge tous les deux, Clément et moi ? Gênée, j’entends les remarques que mes camarades balancent sur le premier de la classe. Tout est complètement abject, sans fondement. Ils aiment ça, ils se délectent du mal qu’ils peuvent lui infliger. Ils insinuent que Clément m’a payée pour lui adresser la parole. Ils avancent même que je devrais avoir honte d’avoir côtoyé un garçon si minable.
Je n’ose pas croiser mon regard avec celui de Clément, qui ne bouge pas de son pupitre. Je suis tellement embêtée d’avoir rajouté de l’eau à la fontaine. Si seulement je n’avais pas parlé à Célia. Je dois apprendre à me taire. Clément se lève tandis que nous sommes seuls à présent. Aussitôt, je m’empresse de présenter mes excuses. Il approche et je n’ose toujours pas affronter ses yeux. Je ne veux pas y retrouver l’éclat si sombre que j’avais pu percevoir à l’époque. Mon cœur en supporte déjà trop pour gérer sa rancœur. Toutefois, lorsqu’il est juste à côté de moi, il affirme que lui non plus n’a pas oublié notre bonhomme de neige. Sa voix masculine et plus grave est étonnamment douce. À l’inverse des reproches que j’attendais, quelque chose résonne dans son intonation. Il veut me rassurer, il n’est pas fâché, il semble même… ému ?
Je ne peux m’empêcher de connecter mes yeux aux siens, pour y dénicher des réponses. Cela ne m’avait jamais choqué auparavant, mais je me rends compte que le visage de Clément est particulièrement harmonieux. Tout à coup, il me paraît décontenancé et tressaute. Sans me laisser le temps de lui parler encore, il s’enfuit presque, chamboulé.
Je me doute qu’il a pris peur parce qu’il ne sait pas comment m’aborder. Peut-être même regrette-t-il d’avoir tenté de me rassurer ?
Je ne bouge toujours pas de ma chaise, désormais seule. Inconsciemment, je crois que je retarde l’heure de mon retour à la maison. Je pose ma tête sur mes mains, calée sur ma table. Je ferme les yeux et réfléchis. Clément reste un garçon inaccessible, emmuré dans sa carapace, seule figure qu’il concède à montrer aux autres. Je m’interroge si j’ai déjà vu sa vraie personnalité, même enfant. J’expire l’air de mes poumons, en plongeant encore plus dans la réflexion. Mes émotions ressurgissent. Je sais qu’il me détestait en fin de primaire, et je n’osais plus l’approcher à cause de sa déception vis-à-vis de moi. J’ai eu beaucoup de mal à vivre cette situation, et je lui en ai voulu aussi. J’ai désiré tout oublier pour chasser mes regrets.
Seulement aujourd’hui, le constat est évident : alors qu’il m’évitait jusque-là, ce soir il vient de faire un pas vers moi. Je crois qu’il m’a pardonné. Et de mon côté, je hais la rancune. Cela nous laisserait-t-il une chance de retrouver un jour un semblant de complicité ?
Enfant, il paraissait fragile. Maintenant, il a l’air plus sûr de lui. Du moins, il n’a plus l’air touché par les moqueries qu’il entend tous les jours. Je ne pense pas que ce soit l’habitude qui l’a endurcie. Il est tout simplement plus fort, il a un but, il se porte sur le futur.
J’envie sa résilience et sa capacité à absorber le mal qui l’entoure.
Moi, je n’y parviens pas.
Mon cœur se serre quand j’imagine ce qui m’attend ce soir. J’avale ma salive, anxieuse. Lorsque je me compare Clément, je me rends compte combien j’ai stagné, alors qu’il a continué à avancer. J’ouvre les yeux et souffle entre des dents :
— Avant de pouvoir guérir les autres, je dois me soigner moi-même.
Je me lève, il est temps de rentrer. J’oublie que ma détermination est prétentieuse. Il suffit d’un seul mot pour tout détruire.
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Gottesmann Pascal
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Il y a 2 ans
MarionH
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Il y a 2 ans
Véronique Rivat
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MarionH
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Cate&Moth
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MarionH
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Miia
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Miia
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