Fyctia
44. Soupe de Citrouille (Flashback)
Je me souviens...
Thomas était revenu pour Noël comme le lui avait demandé sa sœur. Je ne savais pas pourquoi à l’époque. J’ai d’ailleurs appris son retour de manière brusque.
J’étais sur le parking de l’auberge, je montais dans ma voiture pour passer un entretien auprès de My Music Major, lorsque maman m’a annoncé d’un air étrange :
— Au fait, ma chérie, il me semble que celui qui te fera passer l’entrevue c’est Thomas. Il travaille pour la Triple M depuis qu’il a été diplômé de son école de commerce.
Sur le coup de la surprise, je suis presque tombée de mon siège :
— Quoi ? Mais maman, ça ne va pas de me dire ça comme ça ? Je n’ai aucune envie de voir Thomas ! Pas après tout ce temps.
— Ma chérie, pas de souci : reste toi-même ! La maman de Sophie dit qu’ils ont besoin d’une assistante pour leur petit groupe de musique. Rien de difficile : il faut faire quelques courses, prendre des photos, gérer un emploi du temps, faire de la communication. Que des choses que tu sais très bien faire. En plus, c’est du rock, alors c’est ton créneau.
— Mais…
— Allons, Emilie. Tu dois avoir un stage pour valider ton année et tu n’as plus le temps de traîner ! Et puis, la maman de Sophie a fait jouer ses relations et Thomas également. C’est la moindre des choses que d’aller le voir et au moins le remercier. Si ça se passe mal, tu pourras toujours évoquer tes souvenirs d’adolescente avec lui, ça te fera du bien.
— Du bien ? Mais…
— Allez, file ma chérie !
Elle m’avait même fait un clin d’œil avant de rentrer à la maison. Mais qu’est-ce que c’était que ce délire ? Thomas ? Ici ? Mais pourquoi ? Ah, mais non ! Je ne voulais pas y aller !
J’avais mis un tailleur noir et je m’étais maquillée pour faire plus professionnelle, mais on voyait toujours mes cernes creusées par le chagrin et mon manque de confiance en moi ! J’imaginais presque le sourire de Lucifer devant mes joues rouges de honte. Moi, je l’avais quitté en disant que je réussirais ma vie sans lui mais, aujourd’hui, je n’avais rien. Je n’étais qu’une fille qui s’était lamentablement fait plaquer pour sa sœur cadette et je venais quémander un stage dans sa compagnie grâce à l’aide de sa mère ! Autant mourir d’humiliation sur place, me liquéfier, creuser un trou dans le sol ou un tunnel jusqu’à Tombouctou pour m’enfuir comme un rat. Thomas face à moi ? JAMAIS ! Enfin, pas dans ces conditions.
Quelqu’un a frappé sur ma vitre avant que ne me je me tape volontairement la tête sur le volant de ma minuscule voiture.
— Emy ! C’est ta marraine préférée ! Que dirais-tu d’un remontant ?
Ma marraine loufoque passait parfois me voir à l’improviste. Elle me ramenait toujours des présents incongrus ou me donnait des conseils incompréhensibles sur la vie, les hommes, le destin, les miracles. J’écoutais toujours d’une oreille distraite. Elle avait cependant le mérite de toujours tomber à pic pour me faire rire. Mais en cet instant précis, je n’avais pas spécialement envie d’écouter ses délires.
— Tatie, je n’ai pas le temps. Je cherche comment m’enfuir ou mourir (sans douleur de préférence).
— Ouh, comme ça a l’air intéressant ! s’est-elle moqué. J’ai une infusion spéciale : « comment rétrécir », une autre « sommeil de cent ans », sinon je te propose un cocktail détonant dont tu me diras des nouvelles !
— Ce n’est pas vraiment le moment ! avais-je soupiré.
— Si, si, si ! Justement, c’est le bon moment.
— J’ai un rendez-vous, ce n’est pas possible.
— Je sais bien, Emy, que tu as un rendez-vous ! m’a-t-elle repris. C’est pour ça que je suis ici. Allez, de toute façon, tu es toujours tellement en avance à tous tes rendez-vous que je suis sûre que tu as largement le temps.
Et elle avait couru à sa camionnette et en était revenu avec un thermos. Mais qu’est-ce qui se passait ce soir ? Ma mère et maintenant ma marraine ? Tout le monde tramait dans mon dos pour faire monter mon stress avant l’entretien ? Avais-je une famille de fous ?
Elle me tendit un gobelet fumant.
— Une soupe de citrouille ? ai-je grimacé devant la mixture orange.
— Un velouté magique.
— Non, mais ça ressemble vraiment à de la citrouille. Ça en a même le goût.
— Mais nooooon ! C’est dans ta tête tout ça ! fit-elle d’un petit geste de la main indiquant que j’étais folle.
— Non là, c’est dans mon estomac.
— Et comment te sens-tu ? demanda-t-elle curieuse.
— Comme avant : stressée !
— Oh, ça prend quelques minutes, je suppose. Le temps pour toi d’aller à ton entretien et tu verras : effets garantis.
— Quels genres d’effets ?
— Tu vas te sentir complètement libérée. Ce sera idéal.
— J’ai mal au ventre.
— C’est possible aussi, admit-elle.
— Tu veux me rendre malade ?
— Si tu vomis avant minuit, ça n’aura pas marché, c’est sûr.
— Quoi ? Mais je ne veux pas vomir en plein entretien, moi ! Surtout pas devant Thomas ! Je n’irai pas.
— Ah, non ! Démarre ! Sinon, je t’oblige à finir tout le thermos.
— Si tu me menaces, je n’ai pas le choix, avais-je grimacé en mettant le contact.
C’est comme ça que je suis partie voir Thomas avec un estomac qui gargouillait un peu. L’entretien avait lieu dans les loges, à l’arrière d’une grande salle de concert locale. Je ne suivais plus l’actualité depuis des semaines. Je n’écoutais plus la radio et vivais retranchée dans un silence étrange. Avant, j’aurais pu dire quel groupe était en tournée dans la région, nommer les musiciens indépendants dont je suivais les carrières de loin en loin. Il ne me restait de mon amour pour Thomas que ce lien avec la musique. Parce que mes souvenirs avec Lucifer et Denis étaient pour moi des moments de bien être très particuliers, j’aimais la musique, je rêvais de travailler dans ce milieu.
J’étais douée pour la photographie évènementielle. Durant mes études, j’avais d’ailleurs continué. Grâce à mon expérience, les gens du milieu alternatif et indé me connaissaient. C’était à moi qu’on faisait appel dans la région pour réaliser les photos des pochettes de disques, de maquettes ou capturer l’ambiance d’une scène en plein concert. C’était resté ma passion. Jusqu’au décès de mon père, c’est ce que je faisais de mon temps libre.
J’avais postulé chez des photographes du coin. Mais ma manière de prendre des photos ne leur plaisait pas. C’était « bien, mais trop vivant ». On était loin de la photo de famille ou des portraits de jeunes mariés ou de nourrissons. Moi je jouais sur la lumière des concerts et faisait éclater des personnalités sur pellicule. Je ne correspondais à aucun marché. Les photographes me rendaient mes books avec un sourire. « Pas chez nous ! » disaient-ils.
J’avais abandonné. Quand la maman de Thomas m’a parlé de la Triple M, j’étais ravie. Peut-être que je pourrais reprendre mon appareil et photographier leurs musiciens ? J’avais immédiatement accepté d’aller les voir. Mais maintenant que je savais que c’était avec Thomas, je n’étais plus aussi enthousiaste. Ça faisait quand même quatre ans. Nous n’étions plus les mêmes.
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gabi_1905
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Il y a 9 ans
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Enatora
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Ventilomega
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