Fyctia
Chapitre 24 Rose
Miami, le même jour, en milieu d’après-midi.
J’appelle Jasna pour la énième fois et, pour la énième fois, je suis redirigée vers la messagerie !
Elle devrait être rentrée à cette heure-ci ! Il est vingt-deux heures passées en France ! Je repose le mobile sur le bureau que le patron de Bilie a mis à ma disposition. Il m’a permis d’utiliser les logiciels avec lesquels il réalise les plans de ses projets de construction.
J’ai une chance inouïe… Enfin, si j’occulte le fait que je remplace un artiste qui s’est retrouvé à l’hôpital le 13 novembre. Je n’ai pas osé demander des précisions à Jerry, mais je me doute qu’il était à la terrasse d’un café ou au Bataclan. J’ai la sensation que depuis la veille de ce drame, mon ange gardien, tant est qu’il existe, me mène vers une destinée dont j’ignore les composantes.
Fallait-il une telle tragédie pour changer le cours de ma vie ? Fallait-il un tel malheur pour faire mon bonheur ?
Dans mon esprit subsiste un sentiment de culpabilité. J’avais un billet pour les Eagles… Il était prévu que je sois au Bataclan.
On ne refait pas le monde avec des si, me direz-vous. Oui, peut-être bien…
C’est la raison qui m’anime à réaliser un photoreportage en contraste. Comme les fêtes de fin d’année sont proches, j’ai choisi de mettre les religions en avant pour mon exposition au Convention Center. Sur le mur qui m’est destiné dans la galerie, j’associerai le bien et le mal par deux événements marquants : le 25 décembre 2021 face au 13 novembre 2022.
Ainsi, je rassemble, recadre et imprime les clichés des plus beaux sapins de Noël de la ville de Paris, photoreportage qui m’a permis de faire la Une de Paris Match, le mois dernier et ceux que j’ai pris devant le mémorial éphémère installé au pied de la tour de l’ambassade de France à Miami.
J’ai passé des heures là-bas à shooter le consulat illuminé des couleurs françaises, les visages déformés par les émotions, les gestes de compassion.
Un soir, une femme est arrivée, le visage drapé dans une étoffe bleu, blanc rouge, une pancarte «Pray for Paris» dans une main et une rose blanche dans l’autre. Au début, je suis restée en retrait, la shootant discrètement. Quand elle a déposé la rose, j’ai avancé de quelques pas et lorsqu’elle a sorti la bougie de son sac à main, j’étais à quelques centimètres d’elle. Elle l’a allumée, on s’est souri, puis on a discuté.
Elle m’a appris qu’en tant que musulmane, elle luttait contre les amalgames entre Islam et extrémisme religieux. Après s’être serrées dans les bras, nous avons décidé de sceller nos convictions communes à travers une photo.
J’ai installé l’appareil sur le pied et j’ai mis le retardateur. On s’est mises de profil, l’une face à l’autre et elle m’a m’envelopée avec elle dans le tissu tricolore. Ce cliché magnifique, voire magique, remplace tous les mots. Naïma m’a donné ses coordonnées.
Je l’ai contactée ce matin. Elle m’a autorisée à utiliser son image, me promettant de venir voir mon expo.
Je suis tout excitée à l’idée de pénétrer dans un endroit mythique pareil ! On me l’aurait dit, il y a quelques jours encore, je ne l’aurais pas cru ! D’ailleurs tant que je n’y suis pas, j’ai du mal à me persuader que je ne suis pas au milieu d’un rêve… Un rêve que j’ai fait si souvent.
Ne dit-on pas qu’il faut vivre ses rêves ?
Silencieuse, Bilie, assise à mes côtés, m’assiste. Alors qu’on fait des associations avec différentes photos, nos doigts se frôlent et nos regards, aimantés l’un par l’autre, se rapprochent . Son souffle erratique me trouble. Je ferme les yeux, tandis que ses lèvres effleurent les miennes...
Ce sont les vibrations de mon téléphone qui interrompent cet instant de sensualité. Je passe le revers de ma main sur ma bouche avant de décrocher, comme si Jasna, à l’autre bout de la ligne, pouvait s’apercevoir de quelque chose.
Je ne la laisse pas parler et l’enguirlande :
— Qu’est-ce que tu fous ? Ça fait quinze fois que j’essaie de t’appeler !
— Moi aussi, je suis contente de t’entendre ! Comment ça va ? grogne-t-elle. Et Malik ? Mes parents ne t’ont pas causé d’ennuis ?
Elle a raison de me recadrer, je me comporte comme une fille à papa, parfois. Je déglutis et corrige :
— Excuse-moi, Jasna. T’as des ennuis avec mes parents ? Avec mon père ?
— Tu peux le dire, France Rose !
Quoi ? Vous avez entendu ?
Si je n’étais pas déjà assise, je tomberais sur le cul. Je lui fais répéter.
— J’ai dit France Rose ! T’as oublié de me dire que tu faisais la Une de Paris Match ! T’avais peur que je cafte ? hurle-t-elle si fort que j’éloigne le mobile de mon oreille.
Elle ne me laisse pas répondre et me raconte, d’un seul tenant, tout ce que mon père leur fait subir, à Malik et à elle, depuis hier. Je peux juste placer un « Respire ! », de temps en temps, touchée par les efforts qu’elle déploie pour me couvrir.
— Je rentre tout juste de chez tes parents, poursuit-elle. Aussitôt dans ta chambre, je me suis mise à quatre pattes sous ton lit pour vérifier que tu n’y étais pas et j’ai balancé ton téléphone rose parmi les boîtes de godasses qui y sont entreposées. C’est les chaussures Bata sous ton plumard !
Les comparaisons loufoques de mon amie m’extirpent un sourire que je me risque à partager avec Bilie en la cherchant du regard. Elle pose la main sur la mienne, puis pointe l’horloge murale du doigt pour me rappeler que nous sommes pressées. Je hoche la tête en répliquant à l’intention de Jasna :
— Et il l’a trouvé ou bien c’est toi ? Et pourquoi tu m’appelles France Rose ?
— D’abord, ton père est tombé sur un Paris Match parmi une pile de fringues. Il s’est assis sur le lit pour le feuilleter jusqu’à l’article qui parle du lauréat de leur concours avec sa photo à la quatrième page. Aucun doute, France Rose c’est toi ! Je ne savais pas que ton deuxième prénom était France ! D’ailleurs, il ne m’a crue qu’à moitié quand je lui ai juré ne pas être au parfum ! Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
— Je ne sais pas… Je n’aime pas me vanter et puis je n’avais pas envie que tu le dises à Malik.
Un silence de quelques secondes s’instaure, avant qu’elle n’admette :
— Je crois que tu as raison quand tu dis qu’il n’est pas complétement honnête avec toi, il…
— Oui, oui, dépêche-toi de finir car on est pressé, là ! J’expose à l’Art Basel Miami Beach à partir de demain et pour cinq jours !
— C’est quoi, l’Art Basel machin ?
— Demande à Google ! Qu’est-ce qu’il a dit mon père pour le Paris Match ? Il va me tuer ?
— Il est resté sur le cul, tu penses bien… Comme moi ! Je ne savais pas que tu avais autant de talent, tu…
— Et pour mon téléphone rose ?
— Il m’a aidée à sortir tes boîtes de souliers de dessous ton pieu et c’est lui qui l’a ramassé. Il était à genoux quand il s’est confondu en excuses, j’ai bien rigolé !
— Tu m’étonnes ! En tout cas, t’es forte, ma Jasna !
Les portes de l’agence s’ouvrent sur Louka qui vient se planter devant Bilie et moi.
— OK, les filles ? Prête à installer votre expo au Convention Center, Mademoiselle l’artiste ?
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clecle
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cedemro
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Rose Lb
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Marylène Tranchant
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