Fyctia
Chapitre 7 - Salomé
A travers la fenêtre, je regarde les voitures passer à vive allure. Nous roulons depuis déjà deux heures, j'ai les jambes ankylosées et une envie de faire pipi urgente.
- On arrive bientôt ? je demande timidement.
Gabriel et Jennie, tous les deux à l’avant de la voiture, se retournent vers moi en même temps.
- Dans un peu plus de deux heures je pense, estime Jennie en réfléchissant quelques secondes. - Quelque chose semble attirer son attention sur mon décolleté. - Oh, j'adore ton collier !
- Merci, je l'ai acheté sur le marché de Noël, je réponds en souriant.
- Jennie adore Noël, c'est son moment préféré de l'année, explique Gabriel.
- Ah, je m'étrangle.
- Mais je suis allergique aux chocolats, elle ajoute, un sourire en coin.
- Ah, je soupire, soulagée.
Je vois l'air amusé de Gabriel dans le rétroviseur et je ne peux pas m'empêcher de sourire aussi. Quand on y pense, en l'espace de 24 heures, j'ai foiré les chocolats, trouvé une solution, foiré cette solution, retrouvé une autre solution et maintenant je suis sur la route avec deux inconnus.
J'ai encore du mal à croire que le plan dont Jennie m'a parlé ce matin peut fonctionner. Je n'ai pas tout retenu dans son flot de paroles, mais j'ai cru comprendre que le grand-père avait ri au nez de Gabriel quand il lui avait dit que j’allais gérer et qu’il pouvait le laisser partir.
Frustré, il avait appelé un par un tous les fournisseurs, pour se prendre sensiblement la même réponse : "Noël c’est fini monsieur, y’a plus de stock".
Comme un vrai entrepreneur n'abandonne jamais, il avait appelé Jennie, son ancienne baby-sitter (qui l’a pratiquement élevé de ce que j’ai compris) à la rescousse. La petite soeur de Jennie est une chef reconnue dans la région, posséderait un garde-manger à faire pâlir Philippe Etchebest, et habiterait simplement à quelques heures de route. Pour Gabriel rien de plus facile, il suffirait donc de retrouver tester différentes combinaisons de recettes pour retrouver le goût originel. De mon côté, j'ai beau de pas encore avoir le titre de chocolatière, je doute fort que ce soit aussi facile. Mais quand les jours défilent et que la deadline approche, toutes les solutions sont bonnes à prendre !
- Il y a une aire d'autoroute dans quelques kilomètres, on peut s'y arrêter pour acheter de quoi grignoter, propose Gabriel, interrompant mes réflexions.
Je vais enfin pouvoir faire pipi, dieu merci. Les quelques minutes d'attente sont interminables, et dès que la voiture est garée sur le parking, je cours vers mes toilettes salvatrices. Lorsque je reviens, je trouve Gabriel seul, adossé contre la portière de la voiture, les yeux rivés sur son téléphone. Même le vent qui commence à se lever ne parvient pas à faire bouger ses cheveux drus.
- Tiens, regarde, il me dit en me tendant son téléphone.
Je parcours rapidement le document que j'ai sous les yeux. Il s'agit d'une répartition des tâches pour le plan dont il a décidé avec Jennie. "Aller recycler les pots en verre : Salomé", "Nettoyer la cuisine : Salomé", "Compter le nombre de fèves de cacao : Salomé". Je fronce les sourcils, vexée. Je rêve ou il m'a confié les pires corvées ?
- Sur le partage des responsabilités... tu penses qu'on pourrait avoir quelque chose de plus équitable ?
- Si on veut que ça aille vite, pour que tu puisses respecter l'ultimatum fixé et que je puisse partir loin d'ici, je pense que c'est mieux comme ça, il me répond froidement.
J'avais oublié sa tendance à être égocentrique, fermé et arrogant. C'est fou, il suffit juste que nous commencions à travailler ensemble pour qu’on se foute sur la gueule.
- Gabriel, je tiens vraiment à participer au processus de création. C'est important pour moi de repérer mon erreur et de contribuer à perpétuer cette tradition.
A ces mots, je sens Gabriel se crisper. Dès que j’évoque sa relation avec la chocolaterie, je sens que je m'aventure sur un terrain glissant.
- Arrête. Ce n'est pas ton entreprise, pas ton histoire, pas ton problème. C'est juste une lubie passagère, tu pourras toujours faire autre chose de ta vie. Alors s'il te plait laisse moi gérer comme je l'entends.
Je sens les larmes monter. Je n'ai pas l'habitude de pleurer, mais avec le stress, la fatigue et la frustration, je suis à fleur de peau.
- Mais C’EST ma vie ! C'est ce que je veux faire de ma vie ! Mais moi je dois le construire, ça ne me tombe pas dessus comme ça, tout cru. J’ai 27 ans, toujours pas stable, et je me trouve enfin une passion qui me fait vibrer. C’est mon occasion d’ accomplir quelque chose dans ma vie, d’être douée pour au moins un truc. Ces chocolats c'est ma dernière chance d'y arriver. Moi j'en voudrais bien de cette chocolaterie, de ce grand-père et de cette ville qui ne sont pas assez biens pour toi. On t'offre tout sur un plateau d'argent, avec un don pour le chocolat en prime, et toi tu fais ton difficile.
Je reprends mon souffle. J'ai réussi à retenir mes larmes mais ma voix est cassée par l'émotion. Je suis beaucoup trop gênée pour regarder Gabriel et nous restons là, l’un face à l’autre sans se regarder, en silence. Soudain, il pose doucement sa main sur mon épaule et me caresse du pouce dans un geste de réconfort. Ce contact inattendu me fait tressaillir. Je n’ai pas le temps de réagir que la voix forte de Jennie nous interrompt :
- J'ai pris des jambon beurre, personne n'est végétarien ?, elle crie au loin en agitant les sandwichs triangle.
Gabriel retire précipitamment sa main. Je déglutis bruyamment et essuie mes yeux humides. Ne sachant pas quoi faire, je monte dans la voiture sans un regard pour Gabriel. Alors qu'il prend place sur le siège passager, nos regards se croisent dans le rétroviseur. Je détourne immédiatement les yeux comme une gamine de cinquième. Ressaisis toi Salomé. Tu étais triste, il n’a pas su comment réagir, il a touché ton épaule. No big deal. Maintenant, back to business.
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Merci à tous pour votre lecture et vos commentaires / remarques sur mes chapitres ça fait énormément plaisir 🫶🫶
4 commentaires
Sarael
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Il y a 13 jours