Fyctia
Chapitre 4 (1)
« Les enfants de Pyros, loin de coopérer,
Aimaient au contraire tous entre eux guerroyer
Sur le champ de bataille comme à l’Assemblée,
Où les coups les plus violents étaient assénés. »
– Yoanei Kayan, Vie et mort des Cinq Peuples.
Le lendemain, Jisen se réveilla avec le soleil, qui dardait ses timides rayons par-delà l’horizon pour baigner d’une lumière tamisée le plateau sur lequel se situait le camp militaire. Le ciel s’étendait comme une couverture d’un bleu paisible, aucun nuage n’était en vue.
Dès l’instant où il émergeait de sa torpeur, le général se sentait opérationnel pour une nouvelle journée de réflexions tactiques et de combats en tous genres. Il avait très tôt appris à ne jamais laisser l’ennemi le surprendre, ce qui impliquait d’être prêt à riposter à tout assaut, y compris nocturne. Son sommeil, léger, demeurait réparateur.
Il passa à la va-vite derrière le paravent pour s’habiller puis se rafraîchir le visage. L’eau claire qu’on lui avait apportée la veille s’avérait froide, détail néanmoins qui ne le gênait pas, même alors que la mi-mars n’avait pas encore été atteinte dans la région septentrionale des plateaux d’Uraio.
Quittant le coin du bain, il alla prendre ses armes qu’il gardait toujours à portée de main. Il enfonça son jingum dans son fourreau puis sa dague à sa ceinture. Une impression de puissance se diffusa dans ses veines, réchauffa son corps et lui procura toute la confiance dont il avait besoin.
Prêt à aller s’entraîner pour commencer la journée du bon pied, il s’arrêta toutefois en jetant un regard à Yuro. Allongé sur le ventre, l’oreiller entre ses bras pour y poser la tête, le blessé affichait une mine tranquille. Ses yeux fins demeuraient bordés de cernes marqués, ses lèvres étroites esquissaient l’ombre d’un sourire. Jisen laissa son intérêt dériver sur ses joues creusées sous l’effet de la faim, son nez plat quoique légèrement concave qui apportait une indubitable harmonie à sa physionomie. Enfin, il observa avec tristesse la maigreur de son corps que même l’épaisse couverture sous laquelle il était réfugié ne parvenait pas à dissimuler. Ses bras osseux, ses épaules décharnées… alors que Yuro était un inoffensif passionné de livres.
Le général s’arracha à sa contemplation et se hâta de quitter la tente, dans laquelle entra aussitôt le soldat jusqu’à présent posté à l’extérieur. Satisfait de la parfaite exécution de ses ordres, Jisen se rendit au quartier de ses lieutenants, où il trouva Juyus et Takrin déjà habillés, en train de discuter du prisonnier sawaï. Ils tournèrent les yeux vers leur chef et, après le garde-à-vous, lui adressèrent un sourire accompagné des politesses habituelles.
« Comment avance la situation du côté de nos voisins ? s’enquit Jisen.
— Mes espions sont aux abois, affirma Takrin, j’ai envoyé Samran leur demander des nouvelles.
— Bien. »
La famille du général descendait de la grande noblesse arixienne, leur nom était connu pour leur capacité à élever des aigles aptes, une fois adultes, à servir de messagers. Les volatiles coûtaient si cher que peu d’aristocrates pouvaient s’en offrir, en revanche, chaque membre du clan Kahan en possédait un. Samran était un jeune oiseau accordé à Jisen par sa mère quand il avait atteint le grade le plus haut de l’armée. Intelligent, l’animal reconnaissait tous ceux avec qui on le laissait en contact quelques jours. Il suffisait donc à Jisen de lui indiquer d’un mouvement la direction, et l’aigle la suivait jusqu’à repérer un visage familier à qui remettre la missive attachée à sa patte. Il connaissait entre autres Juyus, Takrin, le chef des espions de ce dernier, l’ancien général de Jisen devenu empereur, un poète avec qui il lui avait fallu correspondre quelques semaines durant par le passé, ainsi qu’un vieil ami qui exerçait à la capitale le métier d’avocat et de politicien. Beaucoup plus rapide, discret et efficace qu’un héraut, Samran représentait un atout majeur.
« Et du côté de ce… Yuro ? demanda à son tour Juyus. Avez-vous obtenu davantage de renseignements ?
— Oui, mais rien d’intéressant : il exerce le métier d’historien, si l’on peut dire, et n’a jamais touché à une arme de sa vie. Quant à savoir s’il ment, je ne peux l’affirmer : il semblait si sincère que s’il avait inventé tout cela, je pense que l’on pourrait l’envoyer dans l’instant parmi nos meilleurs acteurs de théâtre.
— Les Sawaï l’ont peut-être confondu avec quelqu’un d’autre, hésita Takrin.
— Impossible : des yeux aussi clairs que les siens, c’est inédit. Je n’imagine pas la moindre confusion possible.
— Étrange, en effet.
— Tant que nous ignorons qui il est et ce qu’il représente pour nos ennemis, je ne veux pas lui faire courir le moindre risque : le lieutenant Ilas vous l’a sûrement déjà dit, lieutenant Hiro, mais sachez qu’une fois qu’il sera remis de ses blessures – d’ici quelques jours au vu de sa vitesse de guérison –, nous nous dirigerons vers la frontière sud. Le camp permanent n° 5 a besoin de notre aide pour calmer les Tyfodoniens qui essaient d’entrer sur le territoire. Le lieutenant Ilas et moi irons lui prêter mainforte, quant à vous, vous resterez ici avec les vôtres : il est trop risqué, pour l’instant, de se contenter d’une poignée d’hommes ici.
— Bien, mon général. Je veillerai.
— Parfait. Maintenant, venez, lieutenant Hiro : j’ai très envie de m’entraîner, et le lieutenant Ilas a quelques exercices d’endurance à terminer avant de nous rejoindre. »
Au courant des remontrances essuyées la veille au soir par Juyus, Takrin lui adressa un regard à la fois amusé et encourageant.
Il suivit son aîné jusqu’à la cour où déjà plusieurs soldats travaillaient leur posture, leurs attaques, ou bien leur précision à l’aide de cibles sur lesquelles ils lançaient tantôt de fins couteaux, tantôt des étoiles d’acier similaire à celles de leur général. Située au centre du campement, la cour était un vaste espace qui offrait de nombreuses possibilités, ceinte par les seuls bâtiments de pierre du camp n° 7 – armurerie, cantine, infirmerie. Tout autour, les tentes où l’on dormait formaient de longues rues, et contrairement aux lieutenants et leur chef, les plus bas échelons ne bénéficiaient pas de salles de bains privées. Ils devaient se rendre dans l’une des vingt tentes prévues à cet effet, de sorte qu’il avait fallu organiser un roulement pour que chacune des cinq cents personnes actuellement stationnées ici puisse s’occuper d’elle au quotidien.
4 commentaires
Feu follet
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Il y a 7 mois
Jessica Goudy
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Il y a 7 mois
Kelis_42_10
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Il y a 7 mois